I.2.3.1. Le culte des ancêtres et des génies

Décriées par les missionnaires religieux dès leur arrivée sur les côtes, les croyances et pratiques traditionnelles des Congolais n'ont pas disparu. Bien que le christianisme soit largement implanté au Congo, les religions traditionnelles, que les ethnologues et les anthropologues classent sous l'étiquette commode d'Animisme, sont toujours vivaces dans les milieux ruraux, tout comme dans les grands centres urbains.

Dans tout le Congo, comme partout en Afrique noire, ces religions comportent un certain nombre de traits communs dont la croyance en un principe créateur de toutes choses (Dieu suprême ou démiurge) qui n'est guère accessible directement à l'homme. Aussi, il existe toute une série de divinités intermédiaires (génies ou ancêtres) auxquels on voue un culte pour obtenir chance, protection, conseils, guérisons, bonnes récoltes, etc., par le biais d'offrandes, de sacrifices d'animaux, de libations et d'incantations.

Chez les Mbetis et les Tékés du nord-ouest du Congo, tout événement important (naissance d'un enfant, initiation, long voyage, mariage, chasse collective..) doit être signalé aux ancêtres du clan, soit par un rituel au sein du village, soit par un culte sur la tombe du plus vieil ancêtre connu, ou bien derrière les habitations si la tombe de ce dernier est trop éloignée du village.

Les Tékés, par exemple, croient que les êtres animés ou inanimés sont dotés d'un esprit ou d'un génie (parcelle d'énergie surnaturelle), dont l'hypersensibilité est à l'image de celle des hommes. Nichés dans les arbres, les grottes ou les chutes d'eau, ces génies prennent facilement ombrage si on leur manque de respect et exigent de nombreux sacrifices pour ne pas se venger cruellement, mais ils sont également sensibles à la pitié et à la flatterie.

La conception de la mort et de la maladie est presque identique chez tous les groupes ethniques congolais.

Les ancêtres ont seulement changé de statut après leur mort, car ils sont toujours proches de leur ancien foyer et agissants. Pour se concilier leurs bonnes grâces ou éviter des représailles comme les maladies ou les mauvaises récoltes, l'on se doit, de même que pour les génies, de leur vouer un culte, et leur faire des offrandes et des sacrifices.

Les maladies graves ou handicapantes font rarement l'objet d'une explication biologique ou naturelle ; leurs causes sont souvent attribuées aux ancêtres en colère, et surtout aux actions maléfiques de personnes vivantes (les sorciers) qui cherchent à nuire et à détruire le malade et/ou sa famille.

Le Féticheur (Ngâ en Mbeti et en Téké ; Nganga en Kota, en Mbochi, en Lari, en Lingala et bien d'autres langues) est un personnage important et stratégique dans le traitement des situations socio-sanitaires au sein de la société congolaise.

Pour diriger les cérémonies de culte et des offrandes, et pour dépister les maladies afin de les soigner, les villageois font appel au Nganga qui sait interpréter les messages venus de l'au-delà et connaît la manière de s'y prendre pour satisfaire les génies et les ancêtres. Il a aussi pour fonction de fabriquer des "fétiches" (statuettes, cordes, amulettes etc.), objets investis d'un pouvoir "magique", permettant à leurs possesseurs d'être épargnés par les maladies et les mauvais esprits. Chez les Kongo, par exemple, la personne qui utilise les bons offices du féticheur (nganga) obtient des talismans pour empêcher les sorciers (ndoki) de venir "manger son âme" ou de le faire souffrir par envoûtement.

Certaines pratiques magico-religieux, relevant des sociétés secrètes, sont observées au sein de certaines ethnies, et sont une affaire des initiés et soustraits aux regards profanes :

  • C'est le cas, par exemple, du phénomène d'Andjimba (groupes de sorciers capables de faire disparaître un être humain par simple contact avec une source d'eau) chez les Makouas, ethnie du nord du Congo.
  • Les confréries d'Onkéra (confrérie des jumeaux) qui sacralise la naissance des jumeaux et d'Onkani (confrérie des sages) chez les Mbetis et les Tékés.
  • La cérémonie du Tchikoumbi chez les Vilis de Pointe-Noire qui célèbre l'apparition des premières menstrues d'une jeune fille.
  • L'initiation à la circoncision, qui consiste à couper le prépuce d'un jeune garçon (Létsinda ou Satsi) chez les Kotas, les Bambambas, les Kwelés et certains Mbetis, pendant un "festival" qui est une cérémonie symbolisant le courage et la bravoure d'un garçon, dure plus d'un mois. Loin d'être un simple fait de se débarrasser du prépuce, elle marque non seulement le passage d'un adolescent à la vie adulte, mais aussi une adhésion irréversible à un cercle d'initiés solidaires où le dévoilement des secrets d'initiation conduit, sans autre forme de procès à la mort (par une maladie incurable) du traître.
  • Le Ndzobi : véritable société initiatique et secrète réservée aux hommes est une véritable institution chez les Mbetis, les Tékés, les Kotas de la Cuvette-Ouest, ainsi que les Obambas et les Nzabis. C'est un ensemble de croyances et de pratiques magico-cultuelles ayant pour buts de soigner les malades, de punir les malfaiteurs (voleurs, assassins, comploteurs, sorciers etc.) et de protéger la société. Les rites (culte, initiation, sacrifices) du Ndjobi sont réservés aux seuls initiés et entourés d'un secret total. La violation de ces principes et de l'espace du sanctuaire (situé toujours en forêt) est sanctionnée par une mort brutale du contrevenant. Cependant, l'adhésion n'est pas irréversible, car un initié peut, selon son vouloir, cesser d'appartenir au groupe et demander l'anéantissement des pouvoirs qu'il avait acquis.