II.2.2. Origines et évolution du mot "handicap"

Handicap est un mot anglais qui tient son premier sens de la compétition interne de jeu. C'est une contraction de trois mots de la langue anglaise : "hand in cap" (ce qui signifie : la main dans le chapeau ou la casquette).

L'usage du terme handicap est passé progressivement du jeu de hasard aux courses hippiques puis au golf.

C'est au 16e siècle, en Grande-Bretagne, qu'on le rencontre pour la première fois 42 . Il sert à désigner un jeu de hasard dans lequel les partenaires se disputent des objets personnels dont le prix est fixé par un arbitre qui est chargé d'égaliser les chances, les mises étant placées dans un chapeau.

En 1754, le mot est appliqué à la compétition entre deux chevaux, puis en 1786 à des courses de plus de deux chevaux.

Ce terme de jeu, selon le Dictionnaire Petit Robert, est repris en terme d'égalisation des chances dans les courses de chevaux, servant à désigner une épreuve où la règle du jeu, compensant les avantages et les désavantages, assure l'égalité de chance.

Selon Claude HAMONET (1996), 43 le mot est mentionné en France dans le supplément du " Littré" édité en 1877 et dans l'édition de 1935 du " Dictionnaire de l'Académie" avec le sens des courses à handicaps que les spécialistes définissent comme " une course ouverte à des chevaux dont les chances de vaincre, naturellement inégales, sont, en principe, égalisées par l'obligation faite aux meilleures de porter un poids plus grand".

D'autres domaines de la compétition sportive ont adopté le terme " handicap" pour classer les joueurs selon leurs performances, le cyclisme transitoirement, puis le golf.

D'après Jean-Marc ALBY 44 , l'utilisation figurée qui nous concerne aujourd'hui (désavantage, infériorité que l'on doit supporter) est un néologisme.

De la limitation des performances des meilleurs chevaux le terme est passé au fil de l'histoire, sans une explication précise, à la limitation des capacités humaines. Il n'est pas facile de dater la période de l'extension du sens du mot " handicap" à celui de conséquences d'une limitation des capacités humaines, physiques ou mentales. Il semble que cette évolution tardive soit postérieure à 1906.

Le Dictionnaire Petit Robert date l'apparition du terme " handicap physique" à l'année 1940.

Le sens originel de l'anglicisme " handicap" avec une égalité de chance s'est effacé peu à peu, laissant la place à la notion de désavantage qui l'emporte et donne une nuance défavorable à ce terme.

Par ailleurs, le mot handicap devient un terme juridique, car il apparaît pour la première fois dans la législation française dans la loi du 23 novembre 1957 sur le reclassement des "travailleurs handicapés". Ensuite, il a été largement utilisé et a pris une importance particulière avec la " loi d'orientation en faveur des personnes handicapées physiques, sensorielles et mentales" du 30 juin 1975 qui constitue le fondement juridique du droit français en matière de handicaps. Cette dernière loi envisage l'intégration scolaire de tout enfant handicapé " susceptible d'en tirer profit".

Dans le même temps, les termes les plus stigmatisants tels que " débile" ou " infirme" se sont vus disparaître progressivement des textes législatifs et réglementaires. Le recensement par les COTOREP (Commission Technique d'Orientation et de Reclassement Professionnel) et les CDES (Commission Départementale d'Education Spécialisée) devient obligatoire pour tous les handicapés.

Les COTOREP classaient les travailleurs handicapés en catégories A, B, C suivant la gravité du handicap. Elles se situent sur le plan médical, plus que sur les compétences professionnelles, tout en attribuant un pourcentage d'invalidité ouvrant droit à des mesures de compensation ou d'aide comme les AAH (Allocations aux Adultes Handicapés).

La loi du 30 juin 1975 ne donne pas une définition rigoureuse du handicap qui est une réalité relative et évolutive, ainsi des enfants présentant des troubles mineurs de comportement peuvent être classés "handicapés" par les CDES.

Sur le plan professionnel, ou mieux de l'emploi, la loi du 10 juillet 1987, contraint toute entreprise (publique ou privée) d'au moins vingt salariés exerçant en France, à embaucher 6 % des personnes handicapées parmi son effectif total, au risque de payer une contrepartie financière, qui servira à l'insertion professionnelle des handicapés.

Au fil du temps, les spécialistes du handicap et les autorités françaises ont jugé nécessaire la mise en place d’un nouveau texte législatif sur le handicap.

Ainsi, la loi du 11 février 2005 Pour l’Egalité des droits et des chances, la Participation et la Citoyenneté des Personnes Handicapées, réforme la loi du 30 juin 1975 vieille de trente ans. Cette nouvelle loi, véritablement monument juridique qui comporte une centaine de pages a été signée par plus de vingt ministres et a déjà fait l’objet d’une cinquantaine de décrets d’application et d’arrêtés. Elle est une avancée considérable car elle change le regard sur le handicap. Les spécialistes du handicap et les associations pour handicapés ont été mis à contribution. Le texte du 12 février 2005 donne dans l’article L.114 une définition du handicap, ce que ne faisaient pas les textes précédents :

‘« Constitue un handicap au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou physiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».’

Il s’agit d’une nouvelle conception du handicap qui prend en compte la personne handicapée dans sa globalité, quel que soit son âge. Toute cette définition s’articule autour du terme de la personne, le handicapé est d’abord une personne, aux sens humain et juridique alors qu’en 1975 le point de départ était le handicap. Le texte concerne des êtres humains, membres égalitaires d’un groupe social, saisis dans l’une de leur particularité.

Au plan de l’accès aux droits et aux chances, la nouvelle loi prévoit dans l’article 114-1 que : « Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté ».

« L’Etat est garant de l’égalité de traitement des personnes handicapées sur l’ensemble du territoire et définit des objectifs pluriannuels d’actions ». Ainsi donc, par principe, la personne handicapée en tant que membre à part entière de la société, peut prétendre aux mêmes droits et chances que tous les autres. L’idée est de permettre à la personne, en fonction de son état, d’atteindre un maximum d’autonomie et de trouver les aides lui permettant de compenser son handicap.

Au plan institutionnel les COTOREP n’existent plus, la loi du 11 février 2005 tente de simplifier et d’organiser les actions destinées aux personnes handicapées à partir de deux institutions :

  • La Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA),
  • Et les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH).
  • La CNSA est l’organe unificateur des actions en direction des personnes handicapées aussi bien au plan national qu’international.

Les MDPH sont des guichets uniques décentralisés qui aident les personnes concernées, afin d’éviter qu’elles se débrouillent toutes seules dans le dédale social pour l’obtention des allocations, des prises en charge ou des aides existants. Selon le texte, la Maison Départementale des Personnes Handicapées exerce une mission d’accueil, d’information, d’accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation de tous les citoyens au handicap. Elle met en place et organise le fonctionnement d’une équipe pluridisciplinaire, d’une commission, des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, d’une procédure de conciliation interne et désigne les personnes référentes. Elle assure aussi à la personne handicapée et à sa famille l’aide nécessaire à la formulation de son projet de vie, à la mise en œuvre des décisions prises par la commission des droits et de l’autonomie, à l’accompagnement et les médiations que cette mise en œuvre peut requérir. Enfin, elle met en œuvre l’accompagnement nécessaire aux personnes handicapées et à leur famille après l’annonce et lors de l’évolution du handicap.

En France comme partout ailleurs, l'usage du mot handicap devient courant et se banalise. Ces dernières années, nous assistons à une utilisation de plus en plus large de ce mot dans le monde des médias, chez les hommes politiques, les militants associatifs et sportifs, les chercheurs et enfin les organismes internationaux. Malgré son succès dans la communauté internationale, médicale et sociale, le mot "handicap" reste difficile à définir, car chaque langue ou chaque pays a ses mots, et il est aussi contesté par certains. C'est le cas des Américains qui le trouvent stigmatisant et qui l'ont remplacé par disability.

Au Congo Brazzaville, selon la principale loi numéro 009/92 du 22 avril 1992 "portant Statut, Protection et Promotion de la Personne Handicapée" (l'équivalent à peu près de la loi de juillet 1987 en France), "Est considérée comme personne handicapée, toute personne frappée d'une déficience physique ou mentale, congénitale ou acquise, éprouvant des difficultés à accomplir des fonctions normales pour toute personne dite valide de même âge". (Article 1er de la loi).

Cette définition a été élaborée en 1992, dans un contexte de protestation et de revendications socio-politiques généralisées, marqué par la tenue d'une Conférence Nationale regroupant tous les Partis politiques et toutes les Associations que comptait le Congo à cette époque. L'apport des spécialistes du handicap et des personnes en situation de handicap a été moindre. Cette loi définit le handicap en mettant l'accent exclusivement sur l'individu et la déficience que porterait celui-ci, sans prendre en compte les aspects sociaux ni environnementaux. Elle semble être l'oeuvre de quelques administrateurs et spécialistes pressés de résoudre un problème et qui n'ont pris en compte que juste quelques aspects de la classification Internationale des Handicaps. D'ailleurs, cette loi considérée comme texte de base organisant le statut et la promotion des personnes handicapées au Congo, est restée jusqu'à ce jour sans décrets d'application, malgré son acceptation par défaut de mieux, par les multiples et dynamiques associations pour personnes handicapées congolaises.

Notes
42.

Dictionnaire des anglicismes, Dictionnaire Robert, 1984, pp. 376-377.

43.

HAMONET (C) : Les personnes handicapées, PUF, 1996, p. 8.

44.

ALBY (J.M.) et SANSOY (P.) : Handicap, vécu, évalué ; Pensée Sauvage, Grenoble, 1987, p. 11.