II.3. La classification internationale des handicapes : CIH

Mise au point dans les années 70 par Philip Wood (médecin de formation), la CIH, a été publiée par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1980 dans sa version anglaise et en 1988 en français. Le document publié en 1980 en anglais était assez éloigné du document initial. Il s'agit d'un document expérimental, soumis à des révisions chaque dix ans, proposé par l'unité de la Classification Internationale des Maladies (CIM) dont le but est de classer les conséquences des maladies et des accidents à l'aide d'un nouvel outil : la Classification Internationale des Déficiences, Incapacités et Handicaps (CIDIH).

Si la première édition en langue anglaise de la CIDIH date de 1980, la traduction française n'a été effectuée et diffusée par l'Institut National de la Santé et de Recherche médicale (INSERM) que quelques années plus tard 47. D'après Claude HAMONET "le mot "handicap" y a été remplacé, à tort, par le mot "désavantage" 48.

La CIDIH ne concerne plus uniquement le domaine médical comme la CIM, mais s'intéresse également aux conséquences sociales des séquelles des maladies et traumatismes. Elle tient compte, conformément à l'évolution des idées dans ce domaine, des particularités de chaque personne et de son environnement immédiat.

Les quatre éléments suivants, reliés entre eux, composent le processus d'apparition des handicaps :

La CIH a pour objectif, entre autres, de venir compléter la Classification Internationale des maladies et pour objet de clarifier la notion de handicap en distinguant trois dimensions :

Ces trois notions de la CIH : déficience, incapacité et désavantage, ont permis, en déplaçant la reconnaissance du désavantage social du seul diagnostic lésionnel (la déficience) vers l'évaluation fonctionnelle (l'incapacité), puis en étendant la notion de désavantage social à l'analyse des rôles sociaux, de passer d'une vision du handicap considérée comme irréversible à une conception plus ouverte. La CIH apporte ainsi un éclairage nouveau, permettant d'affirmer que le handicap n'est pas un monolithe, tout en définissant les trois niveaux de conséquence des maladies :

La déficience. "Dans le domaine de la santé, la déficience correspond à toute perte de substance ou altération d'une fonction ou d'une structure psychologique, physiologique ou anatomique".

Ce champ de la déficience se situe au niveau de l'organisme, des organes d'un individu. C'est une anomalie, une malformation, une insuffisance ou une perte d'un organe, d'un groupe d'organes ou d'une fonction spécifique de ceux-ci. Elle peut être congénitale ou acquise, permanente ou temporaire. Il s'agit en quelque sorte des dysfonctionnements organiques ou psychiques que constate la personne atteinte ou son environnement, des signes qui amènent l'un ou l'autre à considérer que l'état de santé n'est pas pleinement satisfaisant, que le corps ou l'esprit n'assument pas la totalité des fonctions habituellement réalisées.

Le domaine de la déficience se voit ainsi subdivisé en neuf grandes catégories :

1 - Déficiences intellectuelles ;

2 - Autres déficiences du psychisme ;

3 - Déficiences du langage et de la parole ;

4 - Déficiences auditives ;

5 - Déficiences de l'appareil oculaire ;

6 - Déficiences des autres organes ;

7 - Déficiences du squelette et de l'appareil de soutien ;

8 - Déficiences esthétiques ;

9 - Déficiences des fonctions générales, sensitives ou autres.

L'incapacité. "Dans le domaine de la santé, une incapacité correspond à toute réduction (résultant d'une déficience), partielle ou totale, de la capacité d'accomplir une activité d'une façon, ou dans des limites considérées comme normales pour un être humain" 49.

Le champ de l'incapacité se situe au niveau de l'individu dans son intégrité. L'incapacité résultant de la déficience, se manifeste dans la réalité des activités et comportements quotidiens de la vie par un excès ou une diminution de certaines fonctions de l'individu. Elle peut être permanente ou temporaire, réversible ou non, progressive ou régressive. Il s'agit principalement des gênes ou impossibilités auxquelles la personne va se heurter pour la réalisation des actes de la vie quotidienne.

Le domaine de l'incapacité se subdivise également en neuf catégories :

1 - Les incapacités concernant les comportements ;

2 - Les incapacités concernant la communication ;

3 - Les incapacités concernant les soins corporels ;

4 - Les incapacités concernant la locomotion ;

5 - Les incapacités concernant l'utilisation du corps dans certaines tâches ;

6 - Les maladresses ;

7 - Incapacités révélées par certaines situations ;

8 - Les incapacités concernant les aptitudes particulières ;

9 - Autres restrictions d'activités.

Le désavantage. "Dans le domaine de la santé, le désavantage social d'un individu est le préjudice qui résulte de sa déficience ou de son incapacité et qui limite ou interdit l'accomplissement d'un rôle considéré comme normal compte tenu de l'image, du sexe et des facteurs socioculturels."

Le désavantage est ici, le domaine du handicap et se situe au niveau de la société, c'est l'interaction entre l'individu et l'environnement. Il est une entrave au plein épanouissement d'un être humain dans son milieu de vie. Son existence et son importance dépendent des facteurs sociaux, culturels et écologiques tels que : l'âge, le sexe, le rôle social, les croyances religieuses, l'environnement... Il correspond aux répercussions négatives que la personne atteinte de déficiences ou incapacités peut connaître dans la réalisation des rôles sociaux les plus fréquents.

Ainsi, le handicap se définit par les rôles essentiels à la vie sociale d'un individu, c'est-à-dire les dimensions de l'expérience pour lesquelles la compétence de l'individu est nécessaire. La CIDIH en dénombre sept :

1 - L'orientation ;

2 - L'indépendance physique ;

3 - La mobilité ;

4 - L'occupation ;

5 - L'intégration sociale ;

6 - L'indépendance économique ;

7 - Les autres handicaps.

Il ressort de cette description tridimensionnelle de la CIDIH que le handicap est abordé essentiellement sur un angle médical, même si le rôle social et environnemental est relevé. Le schéma suivant, largement connu, illustre l'analyse du phénomène de handicap et ses liens avec la maladie, tels que proposés dans la classification :

Cependant, la CIDIH précise que ce schéma ne doit pas être interprété comme un enchaînement causal inéluctable : "Bien que ce graphique suggère une progression linéaire, la situation est en fait plus complexe" 50.

La séquence peut être incomplète : une déficience ne conduit pas inéluctablement à une incapacité, tout comme une incapacité ne conduit pas automatiquement à un désavantage. Elle peut également être interrompue ou rétroactive.

Henri PAICHLER 51 fait à la fois une distinction et un lien entre la déficience et le handicap. Selon cet auteur :

‘"La déficience correspond à l'atteinte, aux lésions et altérations de l'organisme au plan physiologique anatomique ou mental".’ ‘Alors que "le terme handicap désigne le désavantage social, conséquence sociale de la déficience et de l'incapacité, et pouvant connaître une importance très variable suivant les milieux sociaux".’ ‘Selon Serge PORTALIER 52, "c'est à Le Sémionovitch VYGOTSKY que nous devons le terme de "Défectologie"... qui qualifie tout ce qui concerne l'état déficitaire d'une personne. Son enseignement plus actuel est de rejeter une représentation entièrement négative du défaut, du déficit telle qu'elle existe traditionnellement. Il formule l'hypothèse maintenant largement admise d'une compensation optimale du déficit par l'émergence de compétences originales et nouvelles chez le sujet handicapé".’

Dans le champ disciplinaire de la Défectologie, l'Equipe de Recherche Perception Cognition Handicap (P.C.H.), à laquelle nous appartenons et qui est dirigée par le Professeur Serge PORTALIER, a toujours choisi d'orienter ses recherches vers le registre cognitif de la compensation.

D'un point de vue des considérations épistémologiques, Serge PORTALIER 53 précise les trois exigences qui concourent à caractériser la Défectologie comme une science :

1 - La défectologie comme une science vise "UNE REALITE" et s'appuie primitivement sur l'expression d'un état : celui de l'homme déficitaire. En ce sens elle s'inscrit dans les sciences de l'homme.

2 - La défectologie comme science cherche "UNE EXPLICATION", c'est-à-dire l'insertion de la réalité qu'elle décrit dans un système abstrait de concepts. Elle introduit, dans ce sens, une continuité dans le mouvement naturel des Sciences de la Cognition. L'intérêt de cette démarche étant de considérer l'état du déficit comme une configuration originale par rapport au statut de la normalité ou de l'anormalité... "L'explication" n'est plus référencée aux configurations classiques des modèles normatifs, mais s'appuie sur des propositions spécifiques propres au sujet déficitaire.

3 - La défectologie comme Science doit se soumettre à des critères de "validité" qui peuvent être explicitement formulables et faire l'objet d'un certain consensus de la part de la communauté scientifique.

Notes
47.

Classification Internationale des Handicaps : déficiences, incapacités et désavantages, Paris, INSERM, 1983 et CTNERHI, Paris, Diffusion PUF, 1988.

48.

HAMONET C., Les personnes handicapées, Paris, PUF, 1996.

49.

Classification Internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages, Paris, INSERM, 1981, p. 109.

50.

Classification Internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages, Paris, INSERM, 1983, p. 26.

51.

Cité par ALBY J.M., Handicap, vécu, évalué ; Pensée Sauvage, Grenoble, 1987 ; p. 17.

52.

PORTALIER (S.) : Recherches en Défectologie, approche épistémologique ; Actes du Colloque Perception Cognition Handicap ; PCH ; Université LYON 2 ; LYON ; Mars 1996 ; pp. 121 et 122.

53.

PORTALIER (S.) : Recherches en Défectologie, approche épistémologique ; Actes du Colloque Perception Cognition Handicap ; PCH ; Université LYON 2 ; LYON ; Mars 1996 ; pp. 121 et 122.