II.4.2. Inadaptations, Exclusions et Handicaps

Inadaptation : le terme d'"inadaptation" est souvent utilisé dans le milieu socio-éducatif en relation avec celui de "handicap". En France, cette réflexion est liée au phénomène d'exclusion si bien décrit par René LENOIR (1974), ancien Secrétaire d'Etat à l'Action Sociale, dans son livre "Les exclus".

Selon René. LENOIR (1974) : "Dire qu'une personne est inadaptée, marginale ou asociale, c'est constaté simplement que, dans la société industrialisée et urbanisée du XXe siècle, cette personne, en raison d'une infirmité physique ou mentale, de son comportement psychologique ou de son absence de formation, est incapable de pourvoir à ses besoins, ou exige des soins constants, ou représente un danger pour autrui, ou se trouve ségrégué soit de son propre fait, soit de celui de la collectivité".66

Il n'y a guère beaucoup de différence entre cette définition de l'inadaptation et celle du handicap proposée dans la Classification Internationale des Fonctionnements ; malgré la segmentation classique entre physique, mental et social ; et le manque de distinction entre les causes et les conséquences de l'inadaptation.

René LENOIR (1974) utilise, dans son approche sur les inadaptations, une classification distinguant :

A - Les inadaptés physiques :

B - Les débiles mentaux

C - Les inadaptés sociaux parmi lesquels il inclut :

Il rapproche des groupes vulnérables comme certains milieux d'immigrés et sépare, souvent dans son discours, l'inadaptation sociale des autres.

Il semble que le mot "inadaptation" recouvre une réalité plus large que le mot "handicap" qui lui, sous entend une lésion, une atteinte corporelle préalable. Mais nous avons constaté avec le nouveau schéma de la CIF que, le sens du mot "handicap" s'est élargi du fait de sa banalisation et surtout du fait qu'il décrit toujours un phénomène s'inscrivant dans la vie sociale au niveau du cadre de vie d'une personne. Sa signification nous apparaît, aujourd'hui, bien peu différente de celle d'"inadaptation".

D'après R. LENOIR (1974) : "Dire que dans une société donnée des êtres sont en marge de la normale ne signifie nullement que la norme de cette société a valeur divine ou universelle. Quelques-uns de nos plus brillants ingénieurs seraient inadaptés chez un peuple de chasseurs ou de pêcheurs, beaucoup de nos aliénés vivraient libres dans une tribu africaine, l'orphelin ne se sentirait pas tel dans la plupart de nos sociétés dites primitives" 67.

Il apparaît donc que l'inadaptation est une situation dans laquelle la personne est exclue du groupe dominant, c'est-à-dire du groupe composé d'individus qui considèrent posséder les caractéristiques reconnues comme étant la "norme" de leur groupe.

R. LENOIR (1974) a repris de façon très significative l'exemple des Gitans 68 qui, malgré des dispositions législatives destinées à éviter toute discrimination à leur égard et à faire respecter leurs habitudes de vie, on assiste à des phénomènes de rejet.

‘"Et, pourtant, un mécanisme implacable de rejet joue. Il a son origine dans plusieurs siècles d'histoire au cours desquels les sédentaires ont toujours redouté les "nomades", les assimilant facilement aux pillards des "grandes compagnies", mais surtout dans la crainte de comportements présumés mauvais de gens si différents des autres. Nous sommes, là, à la racine de l'exclusion sociale : c'est le refus de la différence qui pousse à exclure l'étranger, le handicapé, le fou et quelquefois le vieillard... La résistance des mentalités est plus forte que la Loi".’

Ce qui suppose donc que, le lot quotidien des Gitans est bien souvent proche de celui des personnes handicapées, teinté par la force des idées préreçues et des archétypes.

Ainsi, le déséquilibre entre les exigences du milieu et les caractéristiques ou le type d'attitudes d'une personne ou d'un groupe de personnes conduit à des phénomènes de rejet qui sont une véritable exclusion.

L'exclusion sociale : c'est un phénomène de rejet d'un individu ou d'un groupe d'individus par un autre. R. LENOIR (1974) relève quelques facteurs générateurs de l'exclusion :

L'Impureté : jadis, à l'origine de l'exclusion, car les interdits bibliques mettent l'accent sur l'impureté liée à l'invalidité ou à toute autre différence corporelle apparente anormale. Cela concerne tout particulièrement les lépreux qui sont déclarés "impurs" et doivent vivre à l'écart du camp. Le rôle de l'impureté reste toujours d'actualité.

La Pauvreté : les exclus le sont aussi souvent de la croissance et du développement et de ce fait appartiennent, bien souvent, à la catégorie des pauvres, même s'il n'y a pas de relation obligée entre pauvreté et inadaptations. L'un des objectifs des mesures politiques et législatives est de réduire la disparité des ressources entre les personnes handicapées, les personnes âgées et le reste de la population. Sur ce plan, en France, une amélioration très sensible est très remarquable ces dernières décennies.

L'Age aussi est un facteur d'exclusion. R. LENOIR (1974) relève que "si l'inadaptation touche plus particulièrement certains milieux défavorisés, elle n'épargne aucune classe sociale et aucun âge de vie" 69.

La ségrégation par l'âge, dont on retrouve les méfaits dans le domaine du handicap, constitue un obstacle ne serait-ce qu'à l'admission ou au maintien dans certains types d'établissements.

L'Espace est aussi source d'exclusion par les barrières architecturales qui posent le problème de la conception d'un urbanisme dans lequel l'accessibilité des personnes handicapées, au sens large, serait une dimension à prendre en compte pour une vie meilleure.

L'Ecole exclue aussi par le biais de l'échec scolaire qui est une situation d'inadaptation, et surtout de perte considérable d'égalité des chances pour l'intégration dans la vie active à l'âge adulte.

Les cloisonnements psychologiques, professionnalistes et bureautiques : des cloisons souvent très étanches existent entre le secteur éducatif, le secteur social et le secteur médical. Les interfaces entre ces trois domaines sont pourtant de plus en plus nécessaires, d'où la remarque de R. LENOIR (1974) : "Il est de plus en plus difficile d'identifier le médical du social".

Cette tendance constitue un obstacle non négligeable au développement des actions en faveur des personnes inadaptées ou handicapées qui se trouvent, "morcelées, éclatées" entre plusieurs professionnels qui s'ignorent.

Notes
66.

Cité par HAMONET C., Les personnes handicapées, PUF, Paris, 1996, p. 66.

67.

cité par HAMONET C., Les personnes handicapées, PUF, Paris, 1996, p. 67.

68.

LENOIR R., Les exclus, Editions Seuil, 1974, p. 99-100-101.

69.

LENOIR R., Les exclus, Editions Seuil, Paris, 1974, p. 38.