II.4.3. L'approche de l'identité de la personne handicapée

Robert MURPHY(1987), anthropologue américain frappé d'une maladie évolutive qui l'amène peu à peu à la tétraplégie, observe avec peine les effets que sa présence suscite auprès de ses collègues.

‘"Pendant le semestre qui suivit mon retour à l'université, je participai à quelques déjeuners au club de la faculté et constatai que l'atmosphère était tendue. Les personnes que je connaissais évitaient de me regarder ; celles avec lesquelles mes relations se bornaient en général à un simple bonjour ne me saluaient pas et, elles aussi, regardaient avec insistance dans une autre direction. D'autres passaient au large de mon fauteuil roulant, comme s'il avait été nimbé d'un halo qui risquait de les contaminer. Bref, l'ambiance n'était pas des plus agréables".70.’

Une forte ambivalence caractérise les relations que nouent les sociétés occidentales avec l'homme frappé d'un handicap. Ambivalence que ce dernier vit au quotidien, puisque le discours social lui affirme qu'il est un homme normal, membre à part entière de la communauté, que sa dignité et sa valeur personnelle ne sont en rien entamées par son état physique ou ses dispositions sensorielles, mais en même temps, il est marginalisé, tenu plus ou moins hors du monde du travail, mis à l'écart de la vie collective du fait de ses difficultés.

‘"L'homme handicapé est un homme au statut intermédiaire, un homme de l'entre deux. Le malaise qu'il engendre tient également à ce manque de clarté qui entoure sa définition sociale. Il n'est ni malade, ni en bonne santé, ni mort, ni pleinement vivant, ni en dehors de la société, ni à l'intérieur, etc...", écrivait R. MURPHY en 1987 71.’

Et pourtant l'humanité de la personne handicapée ne fait pas de doute. L'ambivalence de la société à son égard est donc une sorte de réplique à l'ambiguïté de sa situation et à son caractère insaisissable.

D'après David LEBRETON (1995) : "De tout temps, la représentation sociale du handicap confère à la personne atteinte d'un déficit, un statut particulier, où la relation à l'autre s'accompagne de regards mêlés de curiosités, de compassion, de gêne ou de méfiance" 72. Ainsi, plus le handicap est visible et surprenant (un corps déformé, tétraplégique, un visage défiguré par exemple), plus il suscite socialement une attention indiscrète allant de l'horreur à l'étonnement et plus la mise à l'écart est nette dans les relations sociales.

La définition du "handicap" renvoie à une relation sociale, au fait que pour la collectivité, il existe sans équivoque des individus affligés de cet attribut. La personne handicapée entre ainsi dans une classification qui lui confère un statut particulier. Les sociétés fondées sur le travail, l'efficacité, vouent un culte au corps performant, jeune, séduisant, tout puissant et font de la fragilité de la condition humaine un principe central de la modernité, n'accordant aux individus affectés d'un "handicap" qu'une place secondaire.

Toutes ces approches psychosociales conçues et développées dans les sociétés occidentales n'ont aucun caractère universel ; cependant, elles peuvent constituer pour un chercheur d'une culture différente (africaine par exemple) de solides bases d'appui pour des investigations dans des domaines et des conditions de terrain à peu près similaires.

Notes
70.

Cité par LE BRETON D., Le miroir social du handicap, in Journal des psychologues, n° 130, 1995, pp. 26 à 28, p. 26.

71.

Cité par LE BRETON D., Le miroir social du handicap, in Journal des psychologues, p. 26 à 28, n° 130, 1995, p. 28.

72.

LE BRETON D., idem, p. 26.