Chapitre IV. Problématique, objectifs et hypothèses

IV.1. La problématique et les objectifs de la recherche

La rencontre d'une personne handicapée est a priori source de diverses appréhensions, au Congo, comme partout ailleurs. Ainsi, parler du handicap et de sa représentation sociale, c'est poser d'emblée la question du regard porté sur la déficience et surtout sur la personne porteuse de cette déficience. Le vécu des personnes handicapées est, en grande partie, déterminé par les représentations du handicap des acteurs de la société à laquelle elles appartiennent.

Nous avons décrit plus haut la manière dont est perçue la personne handicapée au sein de la société congolaise.

Parfois rejetée, discriminée, niée et marginalisée ; parfois assistée, respectée et rapprochée de notre compassion, la personne handicapée revendique de nos jours une identité statutaire accompagnée des droits inhérents à son statut. La question de l'identité et de l'image que véhicule la personne handicapée est donc centrale. En dépit des efforts des Institutions internationales et des Associations pour personnes handicapées, la terminologie pénalisante du handicap renvoie à un regard particulier qui met l'accent sur le "manque" ou le déficit physique ou intellectuel, en occultant les potentialités et les aptitudes que détient encore la personne handicapée.

Au Congo Brazzaville, la loi du 22 avril 1992 portant statut, protection et promotion de la personne handicapée, institue le principe d'insertion, de lutte contre l'exclusion, de solidarité nationale par des aides et des avantages individuelles ou collectives, ainsi que la prise en compte de tous les handicaps, quelle que soit leur forme, par l'État et la collectivité nationale. Quinze ans après, qu'en est-il du vécu réel des personnes ayant une déficience physique, visuelle, auditive ou mentale ?

Entre la tolérance et l'admiration d'une part, ensuite le rejet et la peur d'autre part, le regard porté par la société sur la personne handicapée est ambivalent. La solidarité exprimée spontanément ou décrétée par les textes ne résout pas le problème identitaire. Comment peut-on rendre possible un nouveau regard, dans le but de donner aux personnes handicapées la possibilité de s'épanouir et faciliter leur participation à des activités valorisantes ?

Le travail que nous entreprenons porte sur les représentations du handicap, élaborées par différents entourages des personnes handicapées (parents, amis et professionnels) et par des personnes non directement concernées par le handicap, ni impliquées dans des interactions directes avec les personnes handicapées. Cette précision nous permet alors de dégager deux types d'acteurs :

  • les personnes en contact avec les handicapés dans leur vie quotidienne,
  • et les personnes sans contact permanent avec les handicapés.

Cette distinction binaire ne nous fait pas oublier la place centrale qu'occupe la personne handicapée elle-même dans notre processus d'analyse.

Mieux, nous voulons cerner les représentations générées ou mobilisées par le handicap d'une personne au sein de son entourage proche (parents, amis, éducateurs, responsables institutionnels) et au sein de son environnement social global, par une investigation en milieu urbain (Brazzaville) au regard des habitudes et attitudes des acteurs sociaux.

Il s'agit de mettre à jour la place spécifique que fait la société congolaise à la personne handicapée, en référence principalement au handicap physique, à la déficience sensorielle ou mentale, en analysant la situation de son insertion socio-professionnelle. En quoi l'image mentale du handicap physique diffère-t-elle de celle de la déficience sensorielle ou mentale ?

Quel impact peut avoir le perpétuel changement (social, économique, politique et culturel) de la société congolaise sur la représentation de la personne handicapée en prenant en compte les considérations socio-culturelles traditionnelles ou ancestrales qui ont toujours caractérisées cette société ?

Le choix de notre thème d'étude se justifie par un enjeu comprenant à la base cinq (5) dimensions :

  • psychologique,
  • humanitaire,
  • culturelle,
  • socio-économique
  • et scientifique.

Au plan psychologique : la notion de représentation a envahi tous les domaines des sciences humaines et sociales : l'anthropologie, l'histoire, la politologie, la sociologie y ont recours. Le récent développement des sciences cognitives lui donne sa place, non seulement dans les neuro-sciences, mais, à côté de la logique et de la linguistique, dans la psychologie. Consacrée par Freud en psychanalyse et par PIAGET en psychologie génétique, elle a reçu avec MOSCOVICI, par la conceptualisation de la représentation sociale, son élaboration la plus poussée, nous permettant de rendre compte des relations sociales et d'un phénomène de la vie comme le handicap.

Au vu des nombreux problèmes individuels ou humains (frustration, négation, meurtre, marginalisation, manque d'identité) que connaissent les personnes handicapées au Congo, une approche psychologique trouverait sa place parmi d'autres démarches tendant vers l'amélioration du regard de la collectivité vis-à-vis de la personne déficiente.

  • Sur le plan humanitaire le thème que nous abordons est plus que jamais d'actualité au regard du nombre d'Organisations Non Gouvernementales et d'Associations locales qui se disent préoccupées par la situation des handicapés, et qui mettent en place des aides pour leur insertion sociale. Ce foisonnement d'Associations en faveur des personnes handicapées au Congo est assez récent (moins de vingt ans) et traduit la prise en compte d'un phénomène social qui interpelle tous les membres de la société congolaise, quel que soit le niveau de responsabilité de chacun.
  • Sur le plan culturel : la dynamique de changement culturel dans lequel est entraîné le Congo présente un intérêt dans l'observation, de façon synchronique, de l'évolution des mentalités, des coutumes, des attitudes, de la perception, bref des considérations socio-culturelles vis-à-vis des personnes en situation de handicaps. Cette dynamique de changement nous amène à nous interroger sur le devenir des traditions et des pratiques ancestrales auprès des citadins interrogés au cours de cette étude.
  • Sur le plan socio-économique : l'enjeu est plus que nécessaire vu les nombreuses difficultés auxquelles sont confrontées les personnes en situation de handicaps. La résolution de leurs problèmes pose d'abord les questions de la place qui leur est réservée au sein de la société, et du regard, non seulement des décideurs, mais aussi de l'ensemble de la société vis-à-vis d'elles. La société congolaise peuplée majoritairement des jeunes, parmi lesquels il y a aussi des jeunes handicapés, a besoin de la participation de toutes ses composantes pour un développement socio-économique harmonieux. L'insertion socio-économique qui pourrait être proposée aux jeunes handicapés, ne pourrait découler que de l'ensemble des représentations sociales que les décideurs et la société ont d'eux.
  • Sur le plan scientifique : notre travail est à la fois une recherche de terrain, par notre démarche et la nature du thème, et une recherche fondamentale par l'ébauche théorique effectuée sur les notions polysémiques de représentation et de handicap.

Nous n'avons trouvé aucun travail scientifique portant de façon spécifique sur les représentations des situations de handicap au Congo. Cette étude, première sur ce thème, acquiert donc un caractère de précurseur ou d'éclaireur, pouvant servir de base à d'autres qui s'intéresseront au même sujet dans le même contexte.

En plus du questionnement et des enjeux qui viennent d'être explicités, notre étude a pour principaux objectifs de :

  • Sensibiliser et attirer l'attention des pouvoirs publics, des associations et des autres membres de la société congolaise sur les questions (identité, statut, insertion...) du handicap, et sur les nombreuses difficultés auxquelles sont confrontées quotidiennement les personnes atteintes d'une déficience.
  • Analyser et saisir la perception et les attitudes des hommes "valides" face aux hommes ayant des handicaps, afin de repérer les images et les représentations qui président au processus de socialisation de ces derniers au sein de la communauté nationale. Les représentations dont il est ici question, sont plus précisément prises en compte à la fois comme ancrages, traverses et moteurs des attitudes et des comportements des différents citoyens impliqués ou non dans les situations de handicaps ou d'inadaptations.
  • Contribuer à la lutte contre l'exclusion, la marginalisation, le mépris, la stigmatisation de l'homme ayant un handicap, en suscitant une prise de conscience de la communauté face à la différence qu'impose l'état de la personne frappée par une déficience physique, sensorielle ou mentale.

Il est vrai que l'état ou la situation d'un organisme déficient suscite la peur, l'angoisse, l'évitement. Les expressions dévalorisantes (comme le terme kikata) qui mettent l'accent sur les faiblesses des personnes handicapées, occultent les potentialités et les aptitudes que détiennent ces personnes. Le but est donc de rendre possible un nouveau regard, afin de parvenir à l'égalité des chances et de donner à ces personnes la possibilité de s'épanouir à tous les niveaux de la société, tout en jouissant de l'ensemble de leurs droits fondamentaux comme les autres citoyens.

  • Participer à la promotion des personnes en situation de handicaps, en vue de leur réadaptation ou de leur insertion socio-professionnelle adéquate, dans une société où les tabous, les barrières économiques et socio-culturelles sont autant de freins dans la marche vers l'intégration sociale des groupes vulnérables et défavorisés.