Différents domaines de recherche ont utilisé la technique d'entretien dans le recueil des discours individuels sur un objet précis. C'est le cas de la psychanalyse avec Sigmund FREUD (1895) qui place l'entretien au centre de sa démarche thérapeutique et de l'approche biographique (Dilthey 1986) qui oeuvre en faveur "d'une psychologie des représentations du monde et des perceptions internes des propres états du sujet" 109. C'est l'approche psychosociologique qui, à partir de 1930, a valorisé l'entretien de recherche en étudiant les conditions de travail des ouvriers afin d'améliorer leur cadre de vie et de travail.
Selon BLANCHET (1991), le recueil d'informations par la méthode d'entretien est "une situation complexe... définie comme un échange conversationnel dans lequel une personne A extrait une information d'une personne B, information incluse dans la biographie de B" 110.
L'entretien est donc un échange verbal entre deux ou plusieurs personnes ou entre des groupes de personnes, centré sur une attitude de "questions-réponses" portant sur un ou plusieurs thèmes. Il facilite la communication et favorise l'interaction humaine permettant à un chercheur d'avoir des informations provenant de ses interlocuteurs. D'après BLANCHET (1991), "cette situation met en scène des comportements explicites, verbaux, paraverbaux et non-verbaux et des mécanismes cognitifs de collection des informations" 111.
En psychosociologie, l'entretien est un instrument qui permet d'étudier les systèmes de valeurs, les normes, les savoirs sociaux, les représentations dont le langage en est le principal révélateur. La méthode d'entretien permet de reconstituer les événements écoulés, des expériences vécues et d'analyser les données d'une situation, ses enjeux et les points de vue qui se dégagent. Il convient de rappeler qu'il existe trois types d'entretiens : l'entretien directif, non directif et semi-directif.
L'entretien directif ou guidé est centré sur l'objet étudié et se confond avec le questionnaire, mais les questions ne sont pas préétablies. L'enquêteur définit l'objet étudié et prépare à l'avance des points précis qu'il aimerait aborder avec ses interlocuteurs et relatifs au sujet qu'il veut étudier. L'interview directif portera obligatoirement sur les différents points retenus par l'enquêteur qui suscitera les réponses pertinentes des sujets.
L'avantage de cette technique réside surtout dans la précision des réponses obtenues qui peuvent faire l'objet d'une comparaison avec d'autres réponses. Cette méthode facilite l'interprétation des données recueillies et "valide" en quelque sorte l'information obtenue.
L'entretien non-directif est surtout utilisé par les psychanalystes dans l'analyse des différents niveaux d'élaboration psychique d'un individu. C'est une méthode utilisée dans le cadre des thérapies individuelles et également des recherches exploratoires. C. ROGERS (1945) plaide pour l'utilisation de la non-directivité afin d'éliminer l'influence de l'enquêteur et de parvenir à une expression totalement "vraie" du locuteur. Cette forme d'entretien voudrait que, les biais et distorsions dus aux questionnaires standardisées, ainsi que les réponses toutes faites soient minimisés voire supprimés, afin de pouvoir recueillir des informations très détaillées et approfondies.
Le principe de base est celui de la liberté accordée au sujet du point de vue de ses développements et du temps. On propose au sujet un thème précis (le handicap par exemple) et on le laisse développer comme il veut. La manière de formuler la question est générale et permet de voir les aspects évoqués spontanément. L'objectif principal de la non-directivité est d'aboutir à une authentification des réponses, déterminant ainsi la "fiabilité" de l'information obtenue.
L'entretien semi-directif "est un entretien où alternent l'attitude directive et l'attitude non directive de l'intervieweur : les données correspondent à des variables définies à l'avance et l'analyse des données est soit qualitative soit quantitative" 112.
C'est la conception intermédiaire qui concilie l'entretien centré et l'entretien non directif. Comme son nom l'indique, l'entretien semi-directif n'est ni totalement ouvert ni guidé par beaucoup de questions trop précises. On dispose d'une grille des thèmes à traiter, avec des questions-guides relativement ouvertes et l'enquêteur est tenu de respecter l'ordre du discours de la personne interrogée. Cependant, il "s'efforcera simplement de recentrer l'entretien sur les objectifs chaque fois qu'il (l'interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que possible" 113.
Les entretiens non directifs et semi-directifs permettent d'obtenir de façon générale, des informations sur les attitudes et sur les représentations des personnes interviewées sur un objet précis. GHIGLIONE et MATALON (1978) 114 soulignent que ces informations sont de deux natures :
Nous avons choisi dans notre démarche d'utiliser l'entretien semi-directif, car c'est la technique la plus utilisée dans les recherches en sciences sociales. L'usage de cette technique nous semble adapté aux personnes interviewées : cadres de l'UNHACO et du Haut-commissariat chargé des personnes handicapées, employeurs, certains parents d'enfants handicapés, directeurs d'établissements. Ces catégories d'interlocuteurs évoquent souvent leurs nombreuses occupations et le manque de temps pour remplir et retourner un questionnaire, au risque de le perdre. Et puis le chercheur a plus à gagner, par le jeu de la relance de la question, en discutant en tête-à-tête avec les coordonnateurs et les décideurs des politiques liées au handicap.
Pour BLANCHET (1985) 115, "un entretien semi-directif est un entretien principalement entre deux personnes, l'interviewer et l'interviewé (il peut être étendu à un groupe) conduit et enregistré par l'interviewer pour favoriser la production d'un discours de l'interviewé sur un thème défini dans le cadre d'une recherche ". Le même auteur poursuit que l'entretien semi-directif "constitue un outil essentiel pour étudier les systèmes de valeurs, de normes et de représentations propres à une culture..." 116.
La souplesse relative du dispositif nous permet de recueillir des informations pertinentes en vue d'une analyse des représentations des situations de handicaps.
BLANCHET A. : Dire et Faire Dire : L'Entretien ; A. Colin ; Paris ; 1991 ; p. 10.
BLANCHET A. : Dire et Faire Dire : L'Entretien ; A. Colin ; Paris ; 1991 ; p. 19.
Idem, p. 20.
CHAUCHAT H. : L'enquête en psychosociologie, Paris, PUF, 1945, p. 155.
QUIVY R. et al : Manuel de Recherche en Sciences Sociales ; Bordas, Paris, 1988, p. 185.
GHIGLIONE R., MATALON B. : Les Enquêtes Sociologiques ; A. Colin ; Paris ; 1978 ; p. 73.
BLANCHET A et al : L'Entretien dans les sciences sociales ; Bordas ; Paris ; 1985 ; p. 7.
BLANCHET A et al : L’Entretien dans les sciences sociales ; Bordas ; Paris ; 1985 ; p. 75.