VI.2.1. Présentation du différenciateur sémantique

Le Différenciateur sémantique est un outil élaboré par OSGOOD (1952) pour mesurer la signification connotative d'adjectifs, sur la base du modèle du processus d'impression sémantique.

D'après le modèle théorique du processus d'impression sémantique développé par OSGOOD (1952) et OSGOOD, SUCI et TANNENBAUM (1957), on peut considérer limitativement qu'un aspect partiel de la signification d'un mot réside dans l'impression sémantique qu'il évoque chez des parleurs, cette impression correspondant à une certaine "attitude" pratique ou affective ; les liaisons associatives verbales à ce mot, en retour, codent ou connotent au moins une partie de cette impression sémantique et constituent ainsi une certaine signification connotative du mot.

La logique d'OSGOOD (1957) est la suivante : la signification connotative d'un mot S1 pour un parleur consiste théoriquement en l'ensemble des réponses associatives par lesquelles il peut "coder" ou "connoter" l'impression sémantique que ce mot déclenche chez lui ; pratiquement cet ensemble peut être représenté par un échantillon convenablement choisi de réponses associatives différentielles données à S1 présenté comme stimulus, ces réponses étant tenues pour l'indice de la signification connotative de S1 et pouvant être comparées à celles choisies selon la même méthode, concernant la signification de S1 pour un autre parleur ou de S2, S3,..., Sn pour le même parleur.

D'après JODELET (1973) 121 on peut décomposer ainsi les étapes du raisonnement d'OSGOOD :

1) Qu'il s'agit d'une partie "détachable", réduite ou latente rm de la réponse totale initiale Ro, réponse dont elle est en quelque sorte représentative.

2) Qu'elle provoque à son tour une "autosimulation" sm, c'est-à-dire peut déclencher médiatement une nouvelle réponse inédite RX1, de nature verbale (par exemple, le mot "terrible" ou "effrayant").

C) Si l'on prédétermine, parmi l'ensemble des opérateurs verbaux susceptibles de coder les impressions sémantiques, un répertoire restreint de réponses Rxn jugées susceptibles de discriminer fidèlement des impressions sémantiques en soi différentes chez un même parleur, on pourra tenir qu'une réponse Rx1 identique pour S1 et S2 indique une signification connotative semblable de S1 et de S2 pour ce parleur, et que la différence entre deux réponses Rx1 et Rx2 données respectivement à S1 et S2 indique une signification connotative dissemblable pour celui-ci.

D) Les réponses Rxn devront être à la fois pertinentes aux impressions sémantiques que ces mots peuvent communément provoquer et échelonnable, selon une dimension intensive, de telle sorte que la constatation éventuelle de leur différence puisse être traduite en une mesure de leur distance.

OSGOOD imagine de constituer ce répertoire avec un ensemble de paires, d'adjectifs antonymes désignant diverses qualités sensibles ou abstraites (par exemple, beau - laid, fort - faible, froid - chaud etc). On présente ainsi aux sujets, pour qu'ils choisissent une de ces réponses, une alternative de 7 (sept) réponses associatives "forcées" sur une échelle intuitivement métrique et notées de (+ 3) à (- 3) : par exemple :

(+ 3) extrêmement beau

(+ 2) très beau

(+ 1) assez beau

(0) ni beau ni laid

(- 1) assez laid

(- 2) très laid

(- 3) extrêmement laid

(Voir figure ci-après).

Tel est, dans ses grandes lignes, le modèle à la fois théorique et métrologique qu'OSGOOD propose pour le processus d'impression sémantique.

Il faut, selon OSGOOD, nécessairement concevoir ces liaisons comme médiatisées par une impression sémantique ("un état représentationnel"), cette impression étant conditionnée à un ensemble de mots-stimuli et conditionnant à son tour un ensemble de mots réponses ; en retour, le théorème d'existence d'une telle médiation fonde la possibilité d'une mesure de la similitude des mots-stimuli quant à leur "signification connotative".

Il est clair qu'une telle mesure offre un grand intérêt lorsqu'on veut évaluer les "attitudes" des sujets face à certains mots, censés correspondre à leurs attitudes vis-à-vis des objets ou concepts référents que ces mots représentent, par exemple les attitudes des groupes sociaux vis-à-vis des problèmes individuels ou sociaux comme la maladie, le handicap, la religion, la politique etc.

Notes
121.

FRAISSE P. ; PIAGET J. et JODELET F : Traité de Psychologie Expérimentale ; Tome VIII ; PUF ; Paris 1973 ; p. 124.