VIII.6. Une constance dans l'explication de l'origine du handicap

Notre troisième et dernière hypothèse postule pour une modification pendant ces dernières années, de la perception sociale et de la représentation de la personne handicapée au Congo, au regard des changements sociaux, économiques, politiques et culturels.

Nous avons décrit plus haut la réalité socioculturelle qui a toujours existé au Congo dans la perception et l'explication des causes des handicaps. Dans la société traditionnelle africaine en général et congolaise en particulier le handicap, la maladie et la mort sont le résultat d'un désordre ou des problèmes sociaux. Même si la distinction est clairement faite entre une personne malade et une personne handicapée, les causes à l'origine de ces deux états sont souvent considérées comme identiques. La dominante, c'est l'explication sociale et non médicale de l'origine du handicap, même si cette dernière peut s'ajouter de façon secondaire à la première.

Cet état d'esprit n'a pas profondément changé de nos jours, même en milieu urbain où notre étude a été menée. En demandant à nos sujets de choisir une seule explication de l'origine du handicap parmi trois propositions, les réponses se résument de la façon suivante :

Selon ce modèle explicatif, la constance, c'est l'explication sociale (divine et sorcellerie) qui domine avec 58,4 %, alors que l'explication biologique ou médicale ne recueille que 41,60 %.

Le handicap serait donc dû majoritairement à une agression menée par des êtres vivants (sorcier par exemple) ou par des esprits (ancêtres, Dieu).

L'agression par les hommes se fait directement par un parent ou un voisin (malédiction), ou indirectement par l'intermédiaire d'un tiers : le sorcier, capable de nuire à la demande. L'agression par les esprits a pour base d'explication les systèmes traditionnels (vengeance ou punition d'ancêtres en colère suite à la transgression des tabous et coutumes) et aussi les religions et sectes d'importation faisant référence à un "Dieu" tout puissant à qui ont doit obéissance.

Cette vision des choses est contraire à celle qui domine en Europe, où on se tourne d'abord vers le corps de la personne malade ou handicapée et non vers la société. Ainsi, par exemple, l'hérédité est parmi les premières des causes reconnues ou recherchées par les parents européens, à la naissance d'un enfant handicapé. La tare est dans l'organisme ou dans la chair, à l'intérieur des parents. Cette situation est bien une illustration de l'opposition intérieur-extérieur ou soma-culture.

Les personnes qui ont rempli nos questionnaires sont des citadins, car elles vivent toutes à Brazzaville. En milieu rural nous avons eu juste des discussions et des contacts moins standardisés, donc moins contraignants. Ces personnes sont toutes, à des degrés divers, instruites suivant les modèles occidentaux, mais elles restent très imprégnées des modèles sociaux explicatifs des maladies et des handicaps dominants dans leur société. Les changements des modes de vie de ces dernières années n'ont donc pas totalement ébranlé leur mode de pensée. Ces personnes du milieu urbain appartiennent souvent à des villages, des régions et des ethnies, donc à un ensemble de socio-cultures ou de traditions qui perdurent même dans une grande ville comme Brazzaville où l'on retrouve, par exemple, autant de "ngangas" (guérisseurs, voyants) aussi réputés et célèbres que dans les milieux ruraux congolais.