Conclusion

Nous avons choisi de mener une réflexion sur la notion de représentation dans le champ des handicaps pour cerner la place faite à la personne handicapée au Congo, non seulement dans l'imaginaire, mais aussi sur un plan pratique.

La notion de "représentation", généralement qualifiée de sociale se définit de plus en plus comme le concept-clé susceptible de rendre compte à la fois des attitudes, des conduites, des opinions et des vécus des différents acteurs sociaux, ainsi que de leurs empreintes socio-culturelles. Il se trouve que la représentation est actuellement l'objet des réflexions à caractère fondamental dans nombre de disciplines des sciences humaines et sociales. Par cette interdisciplinarité, cette notion apparaît alors centrale d'un point de vue théorique.

L'abondance d'études interdisciplinaires dans le domaine de la recherche sociale, ne va pas sans poser de question du fait du caractère polysémique de la notion de "représentation". D'après Lucien BRAMS et Annie TRIOMPHE (1990) "on a parfois l'impression de se trouver face à une forme de pseudo-concept passe partout, dont on peut se demander si la fonction essentielle n'est pas celle de la possibilité de réalisation d'un consensus mou à prétention multi-disciplinaire" 132. Cette critique ne rend pas inutile l'intérêt de cette notion pour une meilleure compréhension des processus de constructions sociales des différentes formes de handicap et des possibilités de recherche et d'action sociale, car une telle inquiétude ne peut porter à l'évidence que sur l'utilisation de la notion à travers certaines pratiques de recherche.

Nous avons pu montrer dans cette recherche l'importance de ce concept, car l'étude des représentations nous a permis de rendre compte des attitudes, des conduites, des opinions et du vécu d'un certain nombre d'acteurs sociaux face à un phénomène social d'une importance particulière qu'est le handicap. En résumé, les représentations sont des modalités de connaissances où s'articulent des informations, des prises de positions, des valeurs idéologiques et culturelles, des attitudes, des conduites, des opinions, des facteurs cognitifs par rapport à un objet ou une situation donnée. La caractéristique essentielle d'une représentation est qu'elle s'impose en l'absence de l'objet représenté. Or la notion de "handicap" est aussi polysémique que la notion de représentation, vu qu'elle renvoie à des phénomènes et à des situations variées se rapportant à l'identité, au statut, aux capacités, au vécu et au rôle social de ceux qui en pâtissent.

L'étude des représentations des handicaps a été abordée ici suivant deux principales approches : les approches psycho-cognitive et psychosociale qui nous ont permis de recueillir par le biais des entretiens et des questionnaires des données intéressantes et nécessaires à la compréhension de la construction mentale des représentations ainsi que leur fonctionnement tout comme les stratégies mises en oeuvre par les sujets. Les valeurs socio-culturelles, les informations et les connaissances, les expériences que possèdent les sujets sont prises en compte dans le processus représentationnel. Les représentations mentales des handicaps rentrent dans la catégorie des représentations cognitives stables, stockées en mémoire à long terme ; en opposition aux représentations occurentes qui sont des constructions circonstancielles que nous faisons pour répondre aux nécessités d'une situation ou d'une action. A travers les représentations sur les situations de handicaps, on retrouve des objets communs à l'étude de la cognition à savoir la mémoire, le contenu de la pensée et le langage. Ainsi, les représentations sur les handicaps sont des représentations abstraites et complexes, qui ont comme support le langage dans son expression verbale et écrite. Pour cette raison, nous avons pu les cerner et les caractériser par le langage à partir des entretiens semi-directifs et des questionnaires.

Au Congo, il n'y a pas une représentation du handicap et de l'inadaptation, il existe des représentations qui varient en fonction des types de handicaps, de l'expérience des acteurs sociaux, des relations ou non avec les personnes en situations de handicaps.

Pendant cette recherche, nous avons formulé trois hypothèses qui ont sous-tendu le déroulement de l'étude vers les principaux résultats.

La première hypothèse postule pour une différence des modes de représentations des handicapés, entre les acteurs en contact permanent avec les personnes handicapées et les acteurs sans interaction directe avec les personnes handicapées. Il ressort des résultats obtenus après l'Analyse de Variance une absence de différence sur les attitudes, les opinions et les jugements des "personnes en contact" et des "personnes sans contact direct", au regard des moyennes des scores de leurs évaluations sur les échelles. La tendance générale au niveau de ces deux types de populations est plutôt celle de la valorisation de la personne handicapée au plan de son intelligence, ses attitudes, sa moralité et son comportement. La tendance élevée du sentiment de compassion est aussi remarquable chez les deux types de populations. Les mêmes résultats s'observent également suivant l'approche psychosociale fondée sur une analyse comparative des entretiens recueillis auprès des sujets appartenant aux deux groupes. Ces résultats dans leur ensemble tendent ainsi à infirmer notre première hypothèse qui prône la différence. La similitude des résultats entre ces deux principales catégories de notre échantillon s'explique par la nature et les caractéristiques du groupe des personnes "Sans Contact direct" avec les personnes handicapées. Si les personnes non concernées se déclarent dépourvues, a priori, de toute situation d'implication avec les personnes handicapées, cela pourrait ne pas s'avérer être toujours le cas avec les personnes que nous avons interrogées. Ces personnes "non concernées" sont peut être des concernées qui s'ignorent. En réalité, il n'y a pas une grande différence entre ces deux catégories de populations, car la vie communautaire congolaise rapproche presque tous les acteurs au niveau des contacts quotidiens. Le groupe des personnes "Sans Contact direct" devient ici comme un groupe témoin ou une catégorie méthodologique fictive qui nous permet de conclure qu'au Congo-Brazzaville, on est concerné subjectivement par les questions liées aux handicaps, même lorsqu'on se retrouve en dehors de toute implication directe avec les personnes handicapées. En outre, la réalité des relations avec les personnes handicapées, ne constitue donc pas le référent unique des élaborations subjectives des "personnes concernées", celles-ci sont soumises à d'autres facteurs d'ordre personnel, social et culturel.

D'autre part nous avons relevé une survalorisation des attitudes et des capacités des personnes handicapées par elles-mêmes, qui pourrait s'expliquer par un fort sentiment d'estime de soi, ou une bonne connaissance de leurs propres capacités, teintée d'un mécanisme de défense pour s'auto-affirmer.

Notre deuxième hypothèse, à la différence de la première, parie en faveur d'une forte influence des variables "profession" et "niveau d'études" sur les modalités des représentations des handicaps. Les résultats de l'analyse de variance font apparaître une influence significative des variables "profession" et "niveau d'études" au détriment des critères "âge" et "sexe" moins influents. Ces résultats confirment donc notre deuxième hypothèse, vu qu'au Congo, la profession et le niveau d'études sont des dimensions différienciatrices importantes dans toutes les sphères de la société. La présence au sein de l'échantillon d'un grand nombre de professionnels spécialisés sur les questions des handicaps laisse apparaître des représentations codées massivement par l'idéologie des institutions. Ainsi, par exemple, la définition de la notion de handicap varie selon els milieux socio-professionnels et culturels des acteurs interrogés ; plus le sujet est issu des couches instruites et favorisées, plus les handicaps décrits sont nombreux et concernent aussi bien les déficiences motrices que sensorielles et mentales, alors que les sujets peu instruits ne décrivent surtout que des situations de déficiences physiques.

Il apparaît que le handicap physique, plus particulièrement les personnes sur béquilles, sert "d'icône" et de "grille de lecture" pour l'ensemble des handicaps. La dimension physique ou motrice du handicap occupe une position centrale par rapport aux autres dimensions. Le handicap physique devient l'élément le plus symbolique et le plus handicapant de la condition handicapée. Cette centralité du "handicap physique" s'explique d'abord par le taux élevé des handicapés physiques ou moteurs à Brazzaville, où les deux tiers des handicapés le sont au niveau des membres inférieurs.

Les personnes déficientes sensorielles sont évoquées en référence aux processus adaptatifs et aux performances des personnes considérées théoriquement comme normales. Il apparaît aussi une forme de résignation, surtout si le handicap sensoriel est apparu à la naissance, car il est alors considéré comme une situation surnaturelle qui s'impose à la famille.

Sur un plan culturel, l'insertion est quelquefois fonction de la nature de la déficience sensorielle ; la question est par exemple plus difficile chez une personne privée de langage que chez les aveugles qui, eux, disposent du langage dans une société où la culture est surtout orale.

Enfin, notre troisième et dernière hypothèse, qui suppose une modification de la perception sociale du phénomène du handicap, sous l'influence des changements économiques, sociaux, politiques et culturels, n'a pas été confirmée par les résultats de nos analyses. Les considérations socio-culturelles ancestrales ou traditionnelles sur les handicaps demeurent en vigueur même en milieu urbain. A propos de l'explication de l'origine des handicaps, la constance c'est l'explication sociale et non médicale, même si cette dernière peut s'ajouter à la première de façon secondaire. Les changements des modes de vie de ces dernières années n'ont donc pas ébranlé les modes de pensée sur ce qui est à la base des handicaps.

L'intégration ou l'insertion sociale est évoquée en termes de moyens financiers. Les attentes et les souhaits portent sur les institutions, le travail, l'école, la protection sociale, l'identité. La question de l'identité demeure centrale, car, à ce jour, la principale loi congolaise du 22 avril 1992 portant statut, protection et promotion de la personne handicapée, n'est pas appliquée, par manque de décrets d'application. Le vécu des personnes handicapées dans une société reste, en partie, déterminé par les représentations du handicap dans cette société.

Enfin, pour améliorer l’accompagnement des personnes handicapées en république du Congo les propositions suivantes peuvent être prises en compte, sur les plans de :

A l'issue de cette recherche, il convient de relever quelques limites et de souligner quelques perspectives à venir. Rappelons que pour recueillir les données nous ayant permis de caractériser les représentations sur les handicaps, nous avons eu recours aux techniques d'entretiens et des questionnaires qui ne sont pas exempts de critiques dans le domaine de psychologie. Dans l'étude des représentations en psychologie, ce qui pose problème c'est la fiabilité à la fois dans le recueil que dans le traitement des données. Nous avons pu souligner aussi les difficultés spécifiques aux échelles d'attitudes, quant à leur simplicité. Il se pose aussi la question du statut et de l'identification de l'objet représenté, en d'autres termes, entre le handicap et la personne handicapée, quel est l'objet qui est représenté dans les discours oraux et verbaux qui nous sont communiquée ?

D'autre part, notre étude a été menée auprès des personnes engagées ou non dans des relations avec des personnes touchées par tous types de handicaps. Il est nécessaire et important de poursuivre les analyses en prenant en compte une catégorie bien spécifique du handicap.

Cependant, il ne s'agit là que de quelques remarques venant en appui d'un travail offrant différentes pistes d'entrée pour l'étude des situations de handicap au Congo, en même temps qu'un aperçu de quelques approches éprouvées pour l'étude des représentations.

Notes
132.

BRAMS L. et TRIOMPJE A., Représentations et handicaps : vers une classification des concepts et des méthodes, CTNRHI, PUF, Paris, 1990, p. 2.