Au Royaume-Uni, développement d’une palette d’outils de plus en plus élaborés

L’expérience américaine et les principes de rapprochement public-privé vont inspirer de nombreux pays, dont en premier lieu le Royaume-Uni. Dès 1980, le gouvernement Thatcher réforme la structure administrative britannique avec un double mouvement de centralisation et de privatisation. Il entame aussi une politique de restriction budgétaire radicale, favorisant le développement de partenariats, avec des formes différentes. Le partenariat public-privé se développe à travers une série d’instruments et de dispositifs mis en place d’abord par les conservateurs puis repris par les travaillistes avec quelles nuances. Il existe aujourd’hui des structures dont le comité de pilotage ou le conseil d’administration est composé d’organismes publics et d’entreprises privées, des outils de financement reposant sur des mécanismes de subventions publiques dépendantes du volume d’investissements privés et enfin des organismes publics soutenus par le gouvernement central dont le rôle est de conseiller et d’assister les collectivités locales dans le montage de projets public private partnership « PPP ».

En aménagement urbain, les urban development Corporations (UDCs) illustrent la mise en œuvre de ce mode de gestion. Il s’agit de sociétés d’acquisition foncière et d’aménagement urbain, mises en place par le ministère de l’environnement (DOE)7 sous le gouvernement de Thatcher en 1981. Les UDCs concernent une zone délimitée dans la ville, dans laquelle, la ville perd toutes ses compétences au profit du DOE qui nomme un comité, responsable du bon développement de cette zone. Généralement, le comité est composé de directeurs de grandes sociétés immobilières, d’industriels locaux et de hauts fonctionnaires, la majorité restant au secteur privé (Mathieu & Viala, 1995). Elles agissent comme une autorité administrative en matière d’urbanisme, sur un territoire bien précis. Bénéficiant de dotations budgétaires annuelles provenant de l’État central, elles ont pour mission de favoriser l’investissement privé, à l’aide de subventions (Chapman, 1993). On estime que l’ensemble des UDCs a favorisé un investissement privé à hauteur de £ 10 milliards (environ 70 milliards de F) pour £ 3 milliards (soit 21 milliards de F) (Mathieu & Viala, 1995). Si en France, on considère cette expérience comme un exemple à suivre, certains Britanniques semblent plus critiques. En effet, certains chercheurs soulignent la pauvreté de l’urbanisme produit : forte densité et faible qualité urbaine dues à l’exigence de rentabilité financière des investissements réalisés (Dawson, 1990 ; Chapman, 1993 ; Schalcross, 1994). D’autres reprochent le manque de vision stratégique et à long terme du fait du principe même développé par ces organismes (Lawless, 1994). La création des UDCs est imposée par le gouvernement central. Aussi, elles sont un moyen efficace de contrôle des autorités locales, récalcitrantes aux politiques gouvernementales. Les années 1980 sont donc profondément marquées par cette politique de centralisation et de privatisation.

John Major, successeur de Thatcher en 1990, revient sur les réformes du gouvernement précédent. City Challenge remplacé en 1995 par le Single Regeneration Budget sont deux programmes qui ré-attribuent aux collectivités locales, essentiellement les grandes agglomérations industrielles, des compétences en matière de planification et de développement économique, avec toujours l’intéressement au secteur privé (Booth, 2002). Dans certaines grandes villes britanniques, des entreprises Boards sont constituées. Ces organismes, formes de coopération entre le monde économique et les autorités locales permettent à ces dernières d’intervenir directement dans les entreprises et d’exercer une influence sur l’économie locale. Bras armé des autorités locales, ils offrent une structure plus souple qu’une direction administrative, il leur est ainsi plus facile de travailler en coopération avec les investisseurs privés (Le Gales, 1993, p 67). En outre, certaines autorités consultent régulièrement les promoteurs et les développeurs pour affiner les plans stratégiques de planification (unitary development plans), dont l’élaboration est confiée à des bureaux d’études privés. Les termes de value for money, efficiency, effectiveness et greater accountability deviennent des leitmotivs pour la gestion des services urbains, des affaires sociales et de l'aménagement. Le maire est alors comparé à un entrepreneur, gérant sa ville comme une entreprise (Mc Ewen, Ziggi, 1992).

En 1997, le gouvernement Blair (Travailliste) poursuit la voie engagée par son prédécesseur. Le parlement britannique met alors en œuvre deux autres dispositifs partenariaux : le Private Finance Inititiave (PFI) et les Urban Regeneration Companies (URCs). Les Private Finance Initiative (PFI) sont initiés en 1999, permettant aux autorités locales de faire réaliser par le secteur privé des équipements publics, de leur conception à leur gestion. Le PFI est aussi un moyen pour faire appel à des financements privés, avec un engagement sur le long terme (20 à 30 ans suivant le contrat). Il s’agit d’un contrat passé entre le secteur public (autorité locale, Ministère de la Santé, Ministère de l’Education, etc.) et un consortium d’entreprises privées. Ce dernier réalise un équipement (bâtiment et services compris) pour le compte d’un client public en supportant l’intégralité des investissements initiaux, et donc du risque économique et financier. En contrepartie, le client public le rembourse de manière échelonnée sur la durée totale du contrat. Au début des années 2000, le gouvernement central encourage le recours à ce mécanisme. Ainsi en 2006, plus de 500 équipements (écoles, hôpitaux, postes de police, tribunaux) ont été construits grâce au PFI (Weil & Biau, 2006). Dans le cadre du PFI, le partage du risque est défini lors de la rédaction des contrats et le secteur privé endosse généralement une part importante en réalisant les premiers investissements sans finance publique, celle intervenant sous la forme de remboursement dès les premiers loyers versés. Néanmoins, les PFI font l’objet de vives critiques au Royaume-Uni, de nombreux organismes dénoncent la faible qualité architecturale et urbaine des équipements construits avec ce principe et le manque de compétences techniques du client public. D’autres estiment qu’un bâtiment réalisé en PFI coûte au final plus cher au client public que s’il avait été réalisé en régie. Ceci relance surtout le débat sur les partenariats, les rôles et les compétences de chacun, incitant à la redéfinition de l’action publique. La récente création de la Commission for Architecture and Building Environment (CABE) illustre la prise de conscience du gouvernement central de la nécessité de se doter d’expertises et de compétences pour accompagner les collectivités locales et l’ensemble des clients publics dans la définition de leur commande avant la passation du contrat avec un consortium privé8. Par ailleurs, les critères de performances sont le fruit de négociations entre public et privé (Le Goff & Desjardins, 2005).

À l’inverse, les URCs, également au stade expérimental, s’apparentent plus à des lieux institutionnalisés de négociation sur la stratégie à mener en termes de régénération urbaine. Actuellement, on dénombre seize URCs mobilisés sur des centres urbains en régénération urbaine, ayant pour objectif la conduite de réflexions et des études sur la planification urbaine et sur les projets à lancer. Ces compagnies, financées par le gouvernement central, deviennent des experts au niveau local, regroupant les autorités locales, des employeurs mais aussi des représentants des groupes communautaires. Au Royaume-Uni, le partenariat public-privé coïncide alors avec la remise en cause du rôle et de la place des autorités publiques.

Notes
7.

Ministère qui s’occupe en fait de l’aménagement du territoire, de la protection de l’environnement, de l’urbanisme. C’est l’équivalent de notre ministère de l’Équipement et de l’Environnement.

8.

Séminaire CABE/Certu d’octobre 2006 sur la commande publique. Pas d’actes publiés.