1.2.4 Une culture renouvelée de l’action publique : de nouvelles formes de la régulation

Les débats au sujet du partenariat public-privé dépassent alors l’analyse de pratiques émergentes et de la mise en œuvre de nouveaux dispositifs pour nourrir les recherches et les réflexions sur le rôle de l’État, des collectivités locales et des rapports entre la sphère publique et la sphère privée. Certains travaux menés sur le partenariat montrent que la notion de partenariat reflète aussi une évolution plus profonde culturelle et même idéologique sur le rôle de l’État et de la puissance publique, se distinguant de la privatisation (Ruegg, 1994 : p 93).

‘« Un doux consensus semble régner sur ce monde du partenariat, le flou du terme n’y étant évidemment pas étranger. Le partenariat aurait ainsi permis de dépasser la rivalité historique entre public et privé, entre l’État et le secteur privé.
Le partenariat est un concept étranger à la tradition étatique française, à la coupure entre le public et le privé, notamment sur le plan juridique. La remise en cause de l’État et plus généralement des relations entre État, autorités locales, entreprises, associations et agences diverses a ouvert voie à l’irruption de partenariats en tous genres. »18

Outil des collectivités locales pour le financement de leurs projets ou principe d’action publique, le partenariat public-privé fait consensus et cultive son ambiguïté sur ces deux registres. D’une notion a priori empirique sur les modes de coopération entre public et privé, nous aboutissons à des réflexions plus générales sur l’action publique. Ces travaux se concentrent sur le partenariat public-privé appréhendé non plus comme un outil de l'action publique, mais comme un indicateur de nouvelles pratiques. Les mutations annoncent une évolution plutôt culturelle des modes de faire, notamment en intégrant les mécanismes de marché et un perfectionnement des collaborations jusqu’alors existantes comme la Société d’Économie Mixte (S.E.M.) ou la procédure de Zone d’Aménagement Concerté (Z.A.C.) (Ascher, 1994,pp 198-199). À cet égard, Claude Martinand, dans l’introduction de l’ouvrage qu’il dirige, relatant l’expérience française du financement privé des équipements publics, envisage ce changement culturel comme le renouvellement du système d’action publique, basé sur l’économie de marché, recherchant un équilibre, entre les interventions publiques et privées, u ne forme de libéralisme tempéré en quelque sorte (Martinand, 1993, p 3). C’est sur ce point que se situerait l’innovation contenue dans la notion de partenariat public-privé, dont le développement de nouvelles pratiques serait la conséquence. Pour d’autres auteurs, la notion de partenariat public-privé désigne plutôt des résistances à la vague libérale qui traverse l’Europe à partir des années 1980, redéployant la puissance publique.

‘« La notion de partenariat public-privé recèle en effet une idée nouvelle, […], celle d’une association et d’une solidarité entre les associés. En ce sens, elle s’oppose à la représentation traditionnelle que donnent les doctrines libérales des rapports entre l’État et l’économie, et qui est fondée sur l’idée de leur séparation. L’idée de partenariat comporte elle-même cette ambiguïté. Elle n’inclut pas seulement l’exercice de missions publiques par des entreprises privées, ou plus généralement des sujets de droit privé, mais aussi, au-delà d’un simple contrôle, l’idée d’une co-action avec la puissance publique. »19

Gérard Marcou se demande alors s’il ne s’agit pas d’une forme déguisée de privatisation ou au contraire une forme nouvelle d’intervention publique dans un contexte caractérisé par l’extension du marché et la consécration des libertés économiques, soutenues en Europe par le droit communautaire (Marcou, 2002, p 15). Dans le même temps pour d’autres chercheurs, le partenariat public-privé s’inscrit plutôt dans une continuité de l’action publique française, en renouant avec des principes d’action qui ont prévalu avant la seconde guerre mondiale. En ce sens, le partenariat public-privé n’a rien de neuf et s’inscrit dans des traditions nationales souvent anciennes et en tout cas antérieures à la mise en place de l’État Providence, qui était notamment fondé sur des investissements massifs de l’échelon central dans les domaines du logement et de l'aménagement urbain. Ce constat conduit aussi à envisager que les politiques urbaines vont à l’avenir dépendre beaucoup plus étroitement des fluctuations conjoncturelles sur les marchés immobiliers (Novarina, 1994 : pp 84-85). « L’État Providence » n’est ainsi qu’une parenthèse à une longue histoire des rapports public-privé (Gaudin, 1999, 2004). Mais le partenariat public-privé n’est pas non plus la reproduction ou la requalification de rapports qui existaient auparavant. En ce sens il y a bel et bien une évolution, qui se saisit à travers des mutations des contextes sociaux, économiques et politiques.

‘« Depuis la fin du XXe siècle, les situations politiques se sont transformées en profondeur, avec la décentralisation, l’intégration européenne et la multiplication des partenariats publics privés. En France, le volontarisme public et l’autorité étatique sont remis en question. Dès lors, on s’interroge sur l’existence de nouveaux modes d’ajustement entre les pouvoirs. C’est dans ce contexte qu’on avance l’hypothèse de mécanismes renouvelés de régulation politique, où l’État serait relativisé mais toujours important par ses impulsions et incitations. L’emploi du terme régulation en science politique est ici un peu différent de celui des juristes (la régulation juridique étant d’abord référée à une nouvelle « flexibilité » du droit) et de celui des économistes (la régulation publique venant compléter, ou bien corriger celle du marché). Son point de départ est plutôt l’actuel recours très intensif à des procédures, qui formalisent des démarches de négociation explicite et d’ajustements entre acteurs impliqués dans la production contemporaine de l’action publique. »20

Les débats français reflètent alors les préoccupations des pays voisins et de la communauté européenne et échouent devant une définition précise de ce que représente le partenariat public-privé. Toutefois, suite aux débats, il s’avère que cette notion s’inscrit sur plusieurs registres : innovation ou permanence ; outil ou principe d’action voire renouvellement du modèle d’action publique. Plusieurs interprétations du partenariat public-privé sont ainsi possibles et sont à l’origine d’usages divers de la notion.

Notes
18.

LE GALES P., 1996, « Aspects idéologiques et politiques du partenariat public-privé » in CHATRIE I., UHALDEBORDE J.M., Partenariat Public-Privé et développement territorial, Le monde éditions, Paris, p 52

19.

MARCOU G., 2002, « Le partenariat public-privé : retrait ou renouveau de l'intervention publique ? » in Colloque de la Caisse des Dépôts et Consignations, Partenariat public-privé et collectivités territoriales, éditions La Documentation Française, Paris, p 14

20.

GAUDIN J.P., 2004, L’action publique : sociologie et politique, Presses de Sciences Po & Dalloz, Paris, p 160