2.1.2 À une économie de marché, nouveau référentiel pour le passage des politiques redistributives aux politiques de l’offre

La fin des accords de Breton Woods et le premier choc pétrolier vont considérablement changer le contexte politico-économique, marqué par un fort ralentissement de la croissance économique. Valéry Giscard d’Estaing élu à la présidence française et Raymond Barre nominé au poste de premier Ministre à partir de 1975 vont s’engager dans une politique de la concurrence et rompre avec les positions keynésiennes. Ce choix politique s’explique en partie par les échecs successifs des politiques de relance économique initiées dans les années 1970 pour faire face à la crise économique. Le marché devient alors le nouveau référentiel, conforme aux thèses néo-libérales.

‘« Ces conceptions pénètrent largement les cercles de l’élite dirigeante. Non seulement elles sont mobilisées dans les enseignements qui, dans les grandes écoles, assurent la socialisation des élites, mais encore elles inspirent les travaux de proches conseillers du pouvoir. Des propositions de revenu minimum élaborées par Lionel Stoleru, à la stratégie de maîtrise des dépenses publiques esquissée dans le rapport Nora-Naouri (1979), en passant par la réforme de la politique du logement inaugurée par Raymond Barre et de la fonction publique envisagée par Gérard Longuet, l’ensemble de ces textes converge autour d’une même idée : il est nécessaire d’alléger au maximum l’intervention publique et d’opérer un recentrage rigoureux de son action pour la rendre plus compatible avec le marché. L’intervention publique ne doit plus prétendre réduire les inégalités, mais lutter contre la pauvreté absolue, elle doit donc être réservée aux plus démunis tandis que les classes moyennes doivent rechercher sur le marché des assurances et des services privés les prestations qui leur conviennent. Quand un service est maintenu, sa tarification doit s’approcher de la vérité des coûts et exiger de l’usager une contribution directe plutôt que de faire peser cette charge sur la collectivité publique. Mais à tous égards, il faut préférer les stratégies de revenu aux stratégies de service, qui bénéficient davantage aux corporations qui en sont les gestionnaires qu’aux usagers finaux de ces institutions : mieux vaut garantir la liberté des plus pauvres en leur octroyant une aide financière que de tenter de répondre à leurs problèmes en accroissant la puissance tutélaire des mandarins sociaux et des gestionnaires de service HLM. »24

Cela se traduit concrètement par le passage des politiques de nature redistributive à des politiques de l'offre. À cet égard, l’exemple des équipements publics est révélateur de ce changement de point de vue. Guy Terny et Rémy Prud’homme estiment que dès les années 1970, le modèle classique de financement des équipements publics est en crise (Prud’homme, Terny, 1986). Jusqu’alors, les biens publics étaient produits par les entités publiques, soit distribués gratuitement et payés par le contribuable (tels les écoles, les équipements sportifs, etc.) soit financés partiellement par les usagers suivant le principe de la concession de service public. Le recours à une fiscalité croissante n’est pas envisageable pour permettre d’endiguer les investissements publics nécessaires, d’autant plus que certaines communes sont déjà endettées. Dès lors, la solution est de se tourner vers des partenaires privés et de s’engager dans des contrats ayant déjà fait leur preuve : la concession ou la délégation de service public, érigés en modèle français de gestion des services urbains (Lorrain, 1990). L’émergence du partenariat s’explique plutôt à partir d’une évolution de contexte comme l’entrée dans l’économie de marché à la fin des années 1970, renouvelant les modes de financement de l’aménagement et des infrastructures. Cette entrée en économie de marché s’est traduite à la fois par la banalisation d’une grande partie des modes de financement, à l’exception du secteur du logement social. Il s’est aussi traduit par la globalisation des marchés, en particulier les marchés de l’immobilier d’entreprise, où les investisseurs étrangers ont pris une part croissante (Renard, 2002, p 94). Dans ce contexte, le mécanisme financier du compte à rebours qui prévaut dans l’aménagement exige de prendre en compte de façon croissante la dimension du risque, lié aux aléas des marchés immobiliers (Vilmin, 1999). Dans l’attente de nouvelles techniques financières et gestionnaires, le partenariat public-privé permet de contourner l’absence d’outils adaptés par une collaboration entre public et privé, collaboration qui se solde parfois par des conflits et des rapports de force. Cet état montre bien les situations d’interdépendance entre les deux secteurs.

Au-delà de l’évolution des mécanismes financiers de l'action publique, c’est une transformation plus globale qui se déroule avec une refonte de l’appareil administratif dont la décentralisation n’est que la manifestation la plus évidente.

Notes
24.

JOBERT B., THERET B., « France : La consécration républicaine du néo-libéralisme » in JOBERT B. (dir), 1994, Le tournant néo-libéral en Europe : idées et recettes dans les pratiques gouvernementales, édition l’Harmattan, p 45