2.3.2 Au-delà de la contractualisation, une autre conception du « gouverner ensemble » ?

Les travaux de Jean-Pierre Gaudin (Gaudin, 1996, 1999, 2004) montrent, que parallèlement au désengagement progressif de l’État, la contractualisation s’accroît, aussi bien entre deux « mondes » public et privé, qu’entre administrations, rejoignant le constat précédemment établi. La contractualisation signifie un renouveau de l'action publique. Jean-Pierre Gaudin rejoint ainsi Sylvie Trosa sur la réorganisation des tâches entre services d’État et administrations locales.

‘« Mais la méthode contractuelle n’est pas qu’affaire de coordination entre compétences institutionnelles ; elle engage tout autant une certaine conception du débat, pour formuler un projet et pour se donner des normes communes d’action. En tant qu’ingénierie institutionnelle, elle s’inscrit dans une perspective négociée de l'action publique. De ce point de vue, elle constitue en France une méthode privilégiée mais non exclusive. Elle se développe en effet parallèlement à la multiplication d’agences de coordination des intérêts publics et privés (telles les agences régionales de l’eau) et d’autorités « indépendantes » de régulation (tels les organismes de contrôle de marchés, de gestion de services concédés, de pilotage des interfaces entre usagers et prestataires de services). C’est dans l’ensemble des formes contemporaines de négociation des normes collectives, inventées à mesure que des administrations traditionnelles sont dessaisies et des fonctions collectives privatisées, qu’il faut situer les procédures contractuelles. »30

Ainsi, le développement de la contractualisation participe à la formulation d’une nouvelle action publique, basée sur la négociation et le marchandage des intérêts de chacun. Jean-Pierre Gaudin met l’accent sur une forme particulière de contrat, le contrat de projet à caractère opérationnel. Ils finalisent la négociation entre secteur public et secteur privé. Les objectifs du projet sont clairement inscrits ainsi que les clauses et garanties du bon aboutissement de ce projet. Désormais, ce type de contrat tend à devenir la procédure majoritaire pour l’encadrement des partenariats publics privés. Chacun se retranche derrière un contrat dont la valeur juridique peut être discutable, mais dont le mérite est de fixer le cadre dans lequel les relations public-privé évoluent et se discutent. Jean-Pierre Gaudin revient sur ces évolutions en « trompe l’œil », dont beaucoup supposent une préfiguration d’une nouvelle façon de gouverner :

‘« Focaliser ainsi l’attention sur l’intensité actuelle des partenariats ne saurait pourtant apporter tous les éclairages nécessaires. On reste, en effet, prisonnier d’une actualité magnifiée par ses protagonistes, qui aiment à y voir tantôt un triomphe irénique de l’esprit consensuel ou, à l’inverse, la valorisation des jeux stratégiques et des concurrences ouvertes de pouvoir. Or, ces modalités se dessinent en réalité sur fond de questions plus larges ; celles relatives à la gouvernabilité et à sa « capacité à rendre compte » (entre représentation et démocratie directe). Car avec la reconnaissance de ces interlocuteurs mis tous sur le même pied que l’État, acteurs locaux par la grâce de la décentralisation, opérateurs privés avec le concours du libéralisme économique, acteurs associatifs par l’appel à la citoyenneté, les dispositifs décisionnels semblent devenus plus fragmentés et multicentrés qu’il y a une génération. » 31

Ainsi le débat autour du rapport public-privé s’élève vers celui des grands principes de gouverner nos sociétés, que de grands changements comme la décentralisation ou l’émergence de la question locale (Pecqueur, 1987 ; Amzert (dir), 2000) ont bouleversé. Dans ce contexte, la notion de « gouvernance » s’impose pour signifie l’art de bien gouverner en célébrant les coopérations entre public, privé, national, local, société civile, élus. Le partenariat public-privé s’intègre dans ce processus. Jean-Pierre Gaudin pose alors une question que l’on pourrait prendre pour nôtre, à propos de la gouvernance. Or, c’est ce mot magique qu’il faut interroger : pratique et pragmatique, en apparence, ne sert-il en fait qu’à rendre raison des concurrences et à euphémiser les conflits ? (Gaudin, 1999, p 12).

Cela nécessite alors d’examiner la manière dont la notion de gouvernance est devenue aussi un cadre d’analyse de ces rapports multiples entre ces différents niveaux.

Notes
30.

GAUDIN J.P., 1999, Gouverner par contrat, Presses de Sciences Po, Paris, p 34.

31.

GAUDIN J.P., 1999, Gouverner par contrat, Presses de Sciences Po, Paris, p 12.