2.5 Le partenariat public-privé comme le renouvellement du débat au sujet de l’action publique

Fin des dichotomies public-privé et central/local

Ces deux premiers chapitres retracent la généalogie du partenariat public-privé et les débats correspondants. Cette notion émerge d’abord aux États-Unis puis au Royaume-Uni dans des conditions semblables : grave crise urbaine et pénurie importante des moyens du secteur public. Dans un tel contexte, favorisé par la redécouverte des thèses néo-libérales et l’échec du modèle de Welfare State, il devient nécessaire de réinventer des outils pour le financement et la gestion des équipements et services publics. Le partenariat public-privé s’impose alors, avec l’idée d’une mise en commun des moyens et des méthodes du secteur privé et de l’ouverture à la concurrence de nombreux domaines du secteur public. Ce principe dépasse même les clivages politiques à quelques nuances près. Au Royaume-Uni, si le gouvernement Thatcher prône plutôt la privatisation, la nouvelle gauche opte pour la conservation d’un contrôle public sur ces activités libéralisées. Il reste néanmoins, que le partenariat public-privé, dans toute sa gamme, s’apparente à une nouvelle boîte à outils contre la crise urbaine. Cette nouvelle approche, se désignant pragmatique, de l’intervention publique se diffuse grâce à des instances telles la banque mondiale ou l’Organisation Mondiale du Commerce (Gaudin, 2004). Réponse à la crise du modèle d’État Providence, sa transposition dans l’ensemble des pays montre de multiples adaptations et de nombreuses pratiques différentes, relevant de cultures distinctes.

‘« Si les pays anglo-saxons, plus particulièrement la Grande-Bretagne, nous proposent des cas de volontarisme politique sous-tendu par une croyance dans le pouvoir régulateur du marché, en France il y a développement autonome du secteur privé, sans volontarisme politique : des principes d’action sont là, une philosophie se diffuse et progressivement le secteur des services urbains se recompose sur la base des initiatives engagées par l’acteur le plus dynamique, l’entreprise privée. Deux raisons expliquent cette consolidation du modèle de gestion déléguée : l’une de nature économique, l’autre de nature politique. »38

Au milieu des années 1980, dans un contexte analogue à nos voisins britanniques (crise du modèle classique du financement des équipements publics, montée en puissance des idéologies néo-libérales et mutations culturelles des instruments de l’action publique) la notion de partenariat public-privé arrive en France. L’idée première est bien de trouver un nouvel outil de financement des équipements publics, en faisant appel massivement aux investisseurs privés. On redécouvre à l’occasion la proximité des sphères publique et privée au sein des régimes juridiques de la concession et de la délégation de services publics. Mais le partenariat public-privé à la Française ne se réduit pas à ces seules formes de coopération. D’autres interactions entre public et privé sont identifiées, posant quelques soucis de légalité et de complexité à la justice. Le partenariat public-privé devient alors le modèle de référence où chacun trouve son compte : le secteur public, car il n’a plus les capacités et les ressources nécessaires pour intervenir seul, le secteur privé car il découvre, avec le développement urbain, de nouvelles activités et de nouvelles sources de croissance économique.

L’analyse de l’évolution des contextes de développement du partenariat montre alors une permanence des outils à disposition des acteurs hormis les récents contrats de partenariat dont l’analyse reste à faire. En aménagement urbain, le partenariat public-privé fait suite à un certain modèle d’intervention publique hérité de l’État Providence. La décentralisation a redistribué les compétences entre l’État et les collectivités locales et ces dernières ont dû faire face à des situations urbaines délicates (régénération urbaine) avec des outils inadaptés de l'urbanisme opérationnel. Parallèlement, les entreprises de construction et de services publics ont développé des savoir-faire et des techniques attrayantes pour les collectivités. Des partenariats publics privés sont ainsi montés entre ces entreprises et les collectivités, où les outils sont « bricolés » pour répondre au mieux aux exigences sociales. Le partenariat puise sa légitimité dans la nécessité qu’il fait agir ensemble, public et privé et participe à un renouvellement des pratiques dont le ministère de l’Équipement a largement fait écho à travers la publication de nombreux « guides » ou manuels issus de la DAEI - Direction des Affaires Économiques et Internationales - et de la DRAST – Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques - (Martinand, 1993 ; Numéros spéciaux dans la revue Techniques, Territoires et Sociétés, 1994 ; Chatelus & Perrot, 2002).

Le débat en France, au sujet du partenariat se translate alors vers celui sur les nouvelles formes de régulation de l’action publique et sur le rôle de l’État et des instances publiques dans la conduite de politiques urbaines. Les conceptions néo-libérales touchent l’ensemble des sphères publique et privée (Jobert, 1994), renouvelant les modes d’action mais surtout les cadres de référence de l’action publique. Le secteur privé est progressivement associé à la décision publique, comme en témoignent l’émergence de notions comme la gouvernance, la démocratie participative et la prolifération de la contractualisation, instrument privilégié d’un État qui se recompose (Gaudin & Novarina, 1997 ; Gaudin, 1999).

Cette première analyse nous conduit à envisager le partenariat public-privé comme un indicateur d’une mutation des modes de faire, due notamment à une évolution contextuelle importante avec la remise en cause de « l’État Providence » et l’émergence de nouveaux modèles d’action publique relevant de la gouvernance. D’autre part, nous constatons aussi une intégration des logiques néo-libérales et une inscription des mécanismes de marché dans les politiques urbaines. Le partenariat public-privé s’inscrit ainsi entre la recherche d’un pragmatisme (faire de la coopération public-privé pour dépasser les situations de blocages) et une nouvelle culture de l’action publique (orientée sur le décloisonnement des sphères publique et privée).

Le terme de partenariat public-privé comme ceux de la gouvernance, de la démocratie participative, etc. traduisent des mutations de l’action publique en cours, dont de nombreux travaux de recherche se font l’écho dans différents domaines. Tous convergent vers l’idée d’une imbrication de plus en plus étroite entre sphère publique et sphère privée. Cela suscite alors des débats sur les nouvelles formes de régulation de l’action publique. Dans ce contexte global du changement culturel de l’action publique, nous nous intéressons à la spécificité du champ de l’aménagement urbain. D’emblée, l’aménagement urbain s’est élaboré à partir d’initiatives privées et d’initiatives publiques (Roncayolo, 1991). Mais le partenariat public-privé ou l’expression d’une certaine collaboration public-privé, s’est imposé en quelques années depuis le milieu des années 1980 comme la solution quasi-miraculeuse (Jouve & Lefèvre, 1999, p 24) et surtout comme quelque chose de nouveau par rapport à la période précédente. Cette période faste du partenariat semble aujourd’hui marquer le pas et si la question du partenariat demeure à l’ordre du jour, elle prend des formes différentes où les aspects financiers toujours essentiels, laissent un peu la place à des considérations sur la répartition des rôles entre partenaires (que doivent faire les acteurs publics et que doivent faire les acteurs privés ?) et sur le pilotage même des formes de partenariat (en clair, qui commande ?). (Jouve & Lefèvre, 1999, p 24). Ainsi d’un problème financier au sujet du financement des équipements publics, le partenariat public-privé est apparu comme une nouvelle forme organisationnelle pour mener une action, basée sur la coopération entre secteur public et secteur non public et intégrant les nouvelles valeurs de l’action publique, dont la modernisation de l’administration publique, la décentralisation et la généralisation de la culture du contrat ne sont que des indicateurs des mutations en cours. L’analyse de deux dimensions du partenariat public-privé (restructuration institutionnelle et mutations culturelles) conduit au postulat suivant :

L’avènement du partenariat public-privé et l’élargissement de cette notion à d’autres problèmes que ceux financiers, illustrent au-delà de l’évolution des pratiques, le renouvellement des cadres de référence de l'action publique et donc de l’action publique urbaine.

L’étude des modes d’action publique en aménagement urbain revient alors à examiner la transformation de la maîtrise d'ouvrage urbaine. Même si ce dernier concept n’est apparu que récemment (cf. chapitre suivant), il permet de rassembler et de signifier sous un même vocable et plus opératoire, différents acteurs du pilotage et de la conduite d’opération d’urbanisme. Dans cette perspective, la notion de partenariat public-privé relève bien plus d’un outil et révèle la transformation de la maîtrise d'ouvrage urbaine qu’il convient de saisir.

Notes
38.

NOVARINA G., 1994, « Le partenariat public-privé dans l’urbanisme : invention ou redécouverte » in Techniques, Territoires et Sociétés, n°26, janvier 1994, p 69