Chapitre 3. Le partenariat public-privé comme l’expression des métamorphoses de la maîtrise d’ouvrage urbaine

D’un éclatement apparent à une recomposition de la maîtrise d’ouvrage urbaine

Au début des années 1990, un club rassemblant des maîtres d'ouvrage d’opérations complexes est créé avec pour objectif d’échanger entre praticiens et chercheurs sur le métier d’aménageur. Ses travaux donneront lieu à un ouvrage, en 1996, « L’aménagement urbain face à la crise » exposant toute la complexité de ce métier et la nécessité de mobiliser une pluralité d’acteurs de différentes sphères. Ce club va devenir ensuite le Club Ville Aménagement qui se réunit régulièrement avec le même principe d’échanges entre les organismes d’aménagement (Sociétés d’Économie Mixte, Établissements publics, etc.) et des chercheurs. Sous la direction de Jean Frébault, un nouvel ouvrage intitulé « La maîtrise d'ouvrage urbaine » est publié fin 2005 et fait la synthèse de dix années de réflexions et d’échanges autour du pilotage d’une opération d’aménagement. Ces deux ouvrages et quelques rapports de recherche établis par ceux qui interviennent également dans ce réseau amorcent une analyse de la maîtrise d'ouvrage urbaine en restant à un stade très empirique et pragmatique.

‘« La maîtrise d'ouvrage urbaine peut être définie comme l’ensemble des missions, portées par la collectivité publique, de pilotage stratégique et de management d’un projet urbain, depuis la conception jusqu’à la mise en œuvre. Elle est positionnée à l’amont de l’activité opérationnelle et constitue le cadre des interventions des différents acteurs »39

En ce sens, la maîtrise d'ouvrage urbaine englobe des missions plus larges que celui d’aménageur en ayant une vision globale et stratégique de l’opération. La maîtrise d'ouvrage urbaine, terme contemporain, recouvre alors une série de questions autour de « Comment faire la ville ? ». Notre recherche vise alors à explorer ce champ de recherche, en proposant un cadre théorique encore absent et surtout en lui conférant une analyse diachronique qui fait actuellement défaut.

Pour autant, ces questions ne sont pas nouvelles. La recherche urbaine s’est intéressée dès les années 1960-1970 aux modes de fabrication de la ville, avec surtout des travaux issus du courant marxiste. Monopolville de Manuel Castells et Francis Godard est l’un des travaux les plus complets réalisés dans les années 1970. Au-delà de la polémique autour des hypothèses et des choix analytiques des auteurs, cet ouvrage montre notamment le rôle prépondérant de l’État dans la planification et le développement d’une région urbaine, l’agglomération de Dunkerque, analysant la manière dont les services de l’Etat vont se mettre au service des grands groupes industriels et bancaires français et internationaux. Toutefois, les choix méthodologiques obligent les auteurs à rester à l’échelle de l’agglomération de Dunkerque et les dispensent ainsi d’approfondir les relations entre les différents acteurs sur une opération précise. Mais suite aux différentes crises touchant la recherche urbaine (Lassave, 1995), la fabrication de la ville devient un objet oublié des chercheurs dans les années 1980.

Les années 1990 renouent avec de nouveaux travaux sur les processus de fabrication de la ville. Les interrogations partent d’un même constat : au cours des années 1970 et surtout début des années 1980, on assiste à un éclatement de cette maîtrise d’ouvrage urbaine, qui n’est plus un système centré sur l’administration publique, mais fragmentée en une pluralité d’acteurs. Plusieurs entrées sont alors prospectées, l’une cherchant à montrer la réorganisation du système d’acteurs autour de cette nouvelle maîtrise d'ouvrage urbaine, l’autre focalisée sur les pratiques et interrogeant les nouvelles démarches à l’œuvre. Le thème de l’éclatement, fortement présent durant la première moitié des années 1990, fait alors place à celui de la métamorphose de la maîtrise d’ouvrage urbaine. Les nombreux travaux sur le projet urbain et la coproduction urbaine convergent en effet vers la démonstration d’une recomposition de cette maîtrise d'ouvrage urbaine. Dans un premier temps, nous exposerons nos hypothèses de recherche, à partir de ces travaux issus de disciplines diverses : sociologie, sciences politiques, économie et géographie ayant une approche centrée sur l’acte d’aménager. À l’issue de cette étude, nous sommes donc en mesure de présenter nos deux hypothèses de travail : la prédominance des enjeux et des acteurs locaux au cœur du pilotage d’opération et un basculement du référentiel dans le domaine des pratiques urbaines, deux tendances qui s’observent dès la fin des années 1970 (section 1). Dans ce contexte, dans quelle mesure la notion de partenariat public-privé est-elle révélatrice d’une transformation de la maîtrise d'ouvrage urbaine ?

Notre travail se fonde ensuite sur les concepts théoriques énoncés par la sociologie de l’action sociale, et plus particulièrement ceux du centre de sociologie des organisations (Crozier & Friedberg, 1977). Dans cette perspective, nous envisageons le pilotage d’une opération d’aménagement comme un système d’action. Ce postulat nous permet de saisir la maîtrise d'ouvrage urbaine comme un objet d’étude et de l’inscrire dans un cadre théorique. Nous nous sommes ensuite inspirés des modèles empiriques construits dans le domaine de la politique urbaine locale (Lorrain, Garraud). Ces modèles donnent ainsi des cadres de référence pour la construction de notre grille de lecture des opérations d’aménagement choisies qui constituent notre corpus de recherche (section 2).

Notes
39.

FREBAULT J., 2005, « La montée en puissance de la maîtrise d'ouvrage urbaine » in FREBAULT J.(dit), La maîtrise d'ouvrage urbaine, éditions Le Moniteur, Paris, p 16