3.1.2.2 L’avènement de la démarche de projet urbain comme la bonne pratique en aménagement

Justification et hégémonie de la démarche de projets

Partant de l’étude d’une opération singulière, Nadia Arab se focalise sur son organisation, ses enjeux urbains, ses caractéristiques urbanistiques et architecturales, ses acteurs, leurs pratiques et leurs interactions, notamment celles de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'œuvre. L’objectif était de montrer en quoi, il existe de nouvelles formes de pilotage de projet, donnant lieu à l’émergence d’un nouveau modèle pour l’action urbaine, fondé sur une logique de coproduction de la ville (Arab, 2004, p 19). Notre recherche poursuit alors cette direction, partant de la même hypothèse, mais établissant une grille d’analyse distincte. Celle de Nadia Arab permet en effet de comprendre les processus d’élaboration d’un projet, en lien avec son environnement et son contexte historique, en établissant une histoire détaillée et minutieuse du projet, étape par étape. Évinçant la question des partenariats public-privé, elle concentre sa recherche sur la démarche de projet ou « logique de projet » comme nouvelle méthode de conduite d’une opération d’aménagement. Elle conclut notamment sur une redistribution des missions et des tâches en fonction de logiques émergentes, issues du monde de l’entreprise avec une domination du critère économique.

Depuis les années 1970, nous avons effectivement vu le vocabulaire lié à l’urbanisme opérationnel évoluer empruntant des termes issus du management et du monde de l’entreprise. Peu à peu « l’opération d’aménagement » a été remplacée par le « projet d’aménagement » ou récemment par le « projet urbain ». Ce dernier terme remporte l’adhésion parce qu’il concentre l’idée de développement, de stratégie, de processus et correspond ainsi aux exigences de la société actuelle. Il devient alors LE mode d’action de production de la ville. En effet, la notion de projet urbain émerge au moment où la critique du modèle classique de production de la ville (c'est-à-dire les opérations d’urbanisme opérationnel normées et codifiées) s’intensifie. Le projet urbain s’impose alors en l’espace de quelques années comme une pratique innovante, récupéré ensuite par le ministère de l’Équipement, qui en a fait une doctrine, illustrant ainsi la fin de l’urbanisme fonctionnaliste (Tomas, 1995). D’une démarche innovante initiée à l’échelle d’un quartier, la notion de projet urbain est ainsi récupérée par les praticiens et élus pour désigner aussi un projet politique à l’échelle de la ville. (Scherrer, 2000, p 63). Toutefois, pour éviter toute confusion dans la suite de notre travail, nous évoquerons uniquement la dimension « opérationnelle » du projet urbain, en insistant sur la démarche que cette expression évoque. En ce sens, nous nous approchons de Gilles Pinson, qui envisage le projet urbain comme un analyseur heuristique des transformations de l'action publique urbaine en particulier et de l’action de l’État en général, permettant ainsi d’appréhender la tension fondamentale au cœur de l’instrument « projet » entre indétermination et volontarisme (Pinson, 2005, p 201).

Plus récemment d’autres chercheurs ont démontré les similitudes entre la démarche de pilotage de projet et de véritables mutations organisationnelles de l’activité depuis les années 1980 (Bobroff, 1993). Le développement de la démarche de projet est également à mettre en parallèle avec les idéologies émergentes des politiques territoriales (n° de sciences de la société, 200451), dont la constellation libérale qui prône de nouvelles méthodes de management centrées sur le projet, comme mobilisateur des acteurs de l’entreprise ou de la société urbaine et comme forme « organisationnelle » des ressources présentes dans les réseaux (Boltanski & Chiapello, 1999). En ce sens, la démarche de projet découle ainsi de la critique du fordisme et apparaît comme la bonne pratique à mettre en œuvre dans une société post-fordiste.

Notes
51.

voir plus particulièrement les articles de Stéphane Cadiou et Gilles Pinson