3.2.1. La maîtrise d'ouvrage urbaine comme un système d’action

3.2.1.1 L’approche organisationnelle comme toile de fond de notre cadre analytique

Notre recherche se focalise sur les collaborations entre les acteurs, « professionnels » de l’urbain, concernés par la conduite de l’opération d’aménagement étudiée. Yves Janvier scinde le déroulement de ces conduites en trois fonctions primordiales : le pilotage, la concertation et la médiation (Janvier, 1999). Les deux dernières fonctions constituent la mission d’interface entre le projet, l’ensemble des praticiens concernés par le projet et les habitants. La fonction de pilotage permet d’intégrer, sous une notion simple et un vocable assez évocateur, deux piliers importants pour la conduite d’une opération :

‘« D'abord, l'organisation qui associe les pouvoirs lorsqu'il y a plusieurs partenaires (État, communes, intercommunalité, département, propriétaire foncier, intervenants privés...). Les supports de cet assemblage peuvent être divers : depuis le simple Comité de Pilotage (Vaulx-en-Velin) jusqu'à l'Établissement Public (Euroméditerranée), en passant par les G.I.P. (Argenteuil) ou les Sociétés d'Économie Mixte avec participation de l'État (Clichy Montfermeil),
D'autre part, la fonction technique qui assure la liaison entre le niveau politique et les opérateurs : le pilotage définit la configuration du projet, assure les tâches de guidage des divers opérateurs impliqués dans un projet et la coordination entre eux. Cette fonction technique peut être internalisée dans les services propres des collectivités publiques (Communauté Urbaine de Lyon) ou externalisée chez des opérateurs qui ont alors des missions plus globales que des missions simples d'aménagement. »57

De ces différents travaux de recherche portant sur l’urbain et les acteurs de l’urbain, nous retenons la dimension « pilotage du projet » essentielle pour l’étude de l’émergence de nouvelles formes organisationnelles. Lieu de toutes les confrontations public-privé, de mélange et de l’échange des compétences, des savoir-faire, des expériences, cette dimension au cœur de l’opération d’aménagement concentre les interactions public-privé où se jouent la négociation et les conflits inhérents à toute opération d’aménagement. La notion de pilotage de projet permet ainsi de dépasser la dichotomie maîtrise d'ouvrage/maîtrise d'œuvre, cadre d’analyse insuffisant pour penser le partenariat public-privé. Sans véritable renouvellement des outils, il s’agit plutôt d’un renouvellement des systèmes d’action. Dans ce contexte, la dimension du pilotage de projet apparaît au centre du processus, où se joue l’organisation des jeux d’acteurs et l’élaboration de leurs stratégies. Nous nous inscrivons alors dans le champ de l’analyse stratégique initiée par Michel Crozier et Erhard Friedberg publiée en 1977 et approfondie par Erhard Freidberg.

‘« C’est là à mon avis tout l’intérêt de l’approche organisationnelle que de fournir un cadre pour l’analyse et la compréhension de l’action entendue comme la structuration sociale de champs d’action. Au lieu de séparer artificiellement marché du travail, systèmes professionnels, marché économique et organisations, elle part d’un continuum d’acteurs interdépendants et concurrentiels à la fois autour de la définition et de la résolution de problèmes, continuum dont la notion centrale est la règle ou encore mieux la régulation à découvrir. Celle-ci suppose à la fois l’existence de règles du jeu et de jeux d’acteurs permettant de définir et/ou de modifier ces règles du jeu, car le comportement des acteurs ne peut jamais être compris seulement par référence aux règles existantes. Il doit se comprendre aussi par rapport à leurs tentatives de modifier, changer, transformer ces règles du jeu en leur faveur. »58

Cette approche empirique des organisations permet ainsi de dépasser le clivage formel/informel et de mieux comprendre le fonctionnement du système d’action. Elle se focalise sur l’analyse des mécanismes et processus de construction d’une action collective, étant entendu que l’ajustement et la coordination entre les comportements d’acteurs sont au cœur des mécanismes de régulation et permettent tout simplement à l’action collective d’exister. Le système d’action est donc un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c'est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux (Crozier & Friedberg, 1977, p286). Nous assimilons alors la conduite d’une opération d’aménagement à un système d’action dont l’objectif final de transformer l’espace au sens géographique délimité par le périmètre d’intervention. Ce concept vise alors à rendre compte de la manière dont le pilotage d’une opération est structuré par un ensemble de règles formelles (respect des lois, des procédures, des contrats juridiques établis entre les acteurs) et informelles.

Notes
57.

JANVIER Y., 1999, « Évolution des structures d’aménagement », rapport pour le Club Ville Aménagement, 8 mars 1999, p 3

58.

FRIEDBERG E., 1992, « Les quatre dimensions de l’action organisée » in Revue Française de Sociologie, octobre-décembre 1992, vol 33 n°4, p 553