3.2.1.2 autour du schéma organisationnel : ses apports et ses limites

Michel Crozier et Erhard Freidberg centrent leur analyse stratégique sur la notion de pouvoir pour expliquer la manière dont l’acteur va concevoir sa propre action. Ils distinguent quatre types de pouvoir :

  • Le pouvoir fondé sur la maîtrise d’une compétence ou d’un savoir-faire particulier, faisant valoir ainsi l’expertise comme un enjeu stratégique ;
  • Le pouvoir découlant de la maîtrise de relations avec l’environnement et donc de la place de l’individu dans le système d’action ;
  • Le pouvoir issu de la maîtrise de l’information que l’on peut assimiler à la connaissance ;
  • Enfin, le pouvoir produit par les règles organisationnelles générales, la légitimité légale découlant des règles du droit.

Ces quatre dimensions structurent ainsi la décomposition du système d’action et permettent de resituer l’acteur à travers les pouvoirs dont il dispose et qu’il mobilise lors d’une négociation ou d’une confrontation. De fait, les rôles des acteurs ne sont jamais prédéfinis et se construisent au contraire en interaction les uns aux autres. Ceci nous donne une base analytique pour notre démarche de recherche focalisée d’abord sur les jeux d’acteurs. Il s’agit alors de déconstruire le système d’action par le repérage de chaque acteur et des ressources dont il dispose pour réguler le système. Cette perspective nous a ainsi séduit pour analyser le processus de pilotage d’opération et pour élaborer, à partir de ces dimensions, une grille analytique propre à notre domaine d’études. Notre premier objectif est alors de déconstruire le pilotage d’une opération d’aménagement en un schéma organisationnel explicitant les ressources de chaque acteur et les types de pouvoir qui les lient les uns aux autres. Ceci permet de mettre en évidence les mécanismes de composition/recomposition de la maîtrise d'ouvrage urbaine à l’œuvre, c'est-à-dire d’en analyser la mécanique interne et les conséquences (Friedberg, 1993, p 309). Toutefois, l’analyse stratégique est critiquée pour la place déterminante dans son analyse accordée à l’acteur, sans profondeur historique ou sociale.

‘« Implicitement donc, l’acteur n’aurait aucune existence sociale déterminée en dehors de l’organisation particulière étudiée par le sociologue, et tous les acteurs auraient, au départ, des intérêts identiques qui ne se différencient qu’après, et au coup par coup, selon les occasions qui s’offrent à eux. »59

Effectivement, l’acteur n’est pas isolé mais contraint par sa propre histoire et sa propre culture. Ces remarques nous conduisent alors à ouvrir notre grille d’analyse à d’autres dimensions, notamment en se focalisant plus particulièrement sur les points de tension qui ont eu lieu au cours du pilotage de l’opération d’aménagement. Au-delà d’un schéma organisationnel figé, il s’agit de retracer la manière dont ce schéma s’est construit en tentant de découvrir les motivations et les logiques des acteurs de l’opération. Ce travail permet ainsi de renouer avec les logiques et principes d’action, point de l’analyse qui fait défaut aux analyses stratégiques. C’est alors que le principe de mettre en perspective deux corpus différents dans le temps fut adopté. L’analyse « point par point » des différences et des convergences entre ces deux corpus permet alors de saisir l’évolution des contextes et des comportements.

Notes
59.

CAILLE A., 1981, « La sociologie de l’intérêt est-elle intéressante ? » in Sociologie du Travail, n°3, pp 257-274