3.2.2.2 Un modèle ensemblier éphémère mais illustration paroxysmique du processus

Partant d’une analyse des jeux d’acteurs et des enjeux de pouvoirs dans les collectivités locales après la décentralisation, Dominique Lorrain a développé une sociologie des collectivités locales, étudiant la façon dont elles exerçaient leur pouvoir et leurs compétences, au côté des autres acteurs. Lorrain va dans un premier temps repérer les partenaires publics, mixtes et privés qui gravitent autour des collectivités locales, puis il modélise les rapports en fonction des enjeux de pouvoirs et des jeux d’acteurs (comment les acteurs se positionnent dans la hiérarchie du pouvoir et de la décision). Selon Dominique Lorrain, à partir de la fin des années 1970, les modes de l’action publique connaissent de fortes mutations pratiques et cognitives sous l’influence grandissante des idées néo-libérales.

Si son premier objet d’analyse fut celui des services publics et l’avènement de son « modèle français des services urbains » (Lorrain, 1990), il applique la même démarche de recherche à une opération d’aménagement, développant alors « le modèle ensemblier » (Lorrain, 1992). Partant d’un acteur particulier (les grands opérateurs de services urbains intervenant également dans le champ de l’aménagement), Dominique Lorrain analyse la façon dont il entretient des relations plutôt étroites avec les municipalités. La force de ce type d’acteur est de pouvoir offrir à la collectivité un produit urbain intégrant les travaux de construction et la gestion des services urbains réalisés, important les mêmes concepts de « gestion déléguée » qui prévalent dans le domaine des services urbains. Par ailleurs, ces groupes ont acquis une expertise indéniable en se positionnant sur les marchés internationaux, notamment aux États-Unis, au Japon ou en Australie, où des modèles libéraux prévalent. Ces groupes ont peu à peu intégré les nouvelles formes d’organisation dès la fin des années 1980, les important auprès des élus locaux (Lorrain, 1992, pp 74-75). Lorrain a ainsi appuyé son étude sur les marchés détenus par ces groupes et leur stratégie. Notamment à la fin des années 1980, ces groupes développent une prospection foncière et la production d’un sol constructible pour assurer une activité permanente aux sociétés du groupe – promoteur, constructeurs, etc. D’autres optent pour la conception de nouveaux produits urbains, (parc d’activités couplé à un golf par exemple) qui permettent de les différencier par rapport à une offre plus traditionnelle. Analysant aussi la posture dans laquelle le politique se trouve après les premières lois de décentralisation (recherche d’une légitimité politique, un emploi du temps largement rempli pour ces nouveaux élus locaux), Dominique Lorrain conclut sur l’attrait de cette nouvelle offre urbaine et surtout sur une relation plus étroite entre secteur public et secteur privé, qui caractérise ce « modèle ensemblier ».

Au-delà des débats sur la pérennisation de ce modèle, l’analyse confirme l’idée que le découpage traditionnel français entre maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'œuvre et construction, est dépassé et que ces catégories ne suffisent plus à penser les interactions entre public et privé en aménagement urbain (Novarina, 1994). Mais le modèle de Dominique Lorrain reste très limité à une population spécifique et ne rend pas compte de la pluralité des situations et des autres « types » d’acteurs autres que ces grands groupes de la construction. En outre, son modèle est essentiellement centré sur un type d’acteur privé et l’élu local Mais il ne tient pas compte de l'influence d’autres acteurs, comme l’État ou le monde associatif. Quoiqu’il en soit, ce modèle offre alors un cadre d’analyse théorique simplifié mais qui permet de comprendre le processus en cours, par l’établissement d’exemples paroxysmiques ou d’idéal-type (Jeannot, 1994).