4.2 Réalisation du centre directionnel de la Part-Dieu : 1967-1977 ou l’émergence d’un urbanisme coproduit

En octobre 1967, le parti architectural et la programmation du centre directionnel de la Part-Dieu sont donc adoptés par le conseil municipal. Cette décision est ensuite entérinée quelques mois plus tard par le Préfet. La commercialisation des lots peut ainsi commencer. Chaque lot a sa propre histoire et montre bien, combien cette opération fut réalisée de façon décousue, au gré des négociations avec les acquéreurs de lots. Avant de détailler plus précisément la production du cœur de l’opération – emblématique des conditions dans lesquelles la Part-Dieu a été créée- , il convient de présenter succinctement la manière dont s’est déroulée la réalisation des autres lots.

À la fin des années 1960, la S.E.R.L. fait face alors à plusieurs difficultés. Aucun immeuble de bureaux ne trouve d’acquéreur, d’autant plus que le marché immobilier connaît une phase de récession depuis 1965 (Granelle, 1999). Pour lancer l’opération du centre directionnel, la S.E.R.L. demande une dérogation à la S.C.E.T. pour pouvoir développer le premier immeuble de bureaux (Lot N). La SOPREC (groupe S.C.E.T.) assure alors la pré-commercialisation des surfaces construites, en répertoriant les usagers potentiels, ainsi que la publicité autour de cet immeuble et de l’opération. Ces études permettent ainsi de lancer la Part-Dieu dans sa phase opérationnelle et de faire connaître l’opération aux investisseurs parisiens et internationaux. La S.E.R.L. obtient le permis de construire en novembre 1969, au moment où le taux de remplissage de l’immeuble en pré-vente atteint 80%. Finalement, l’immeuble Part-Dieu Garibaldi (ou PDG) est un succès, le marché de l’immobilier de bureaux est enfin créé. La réalisation du Britannia (lot P) va suivre rapidement. Des premiers contacts sont pris avec un groupe néerlandais mais aucun accord n’a pu être finalisé. Du côté de la S.E.R.L. et des élus locaux, on se méfie des investisseurs étrangers, préférant confier les lots à des promoteurs français voire lyonnais. Sur ce programme, un groupe de promoteurs britanniques (Peachey Property) concluent l’achat de cet immeuble en 1972, en association avec des groupes bancaires parisiens dont le chef de file est la Société Générale. Néanmoins, le centre directionnel attire peu d’investisseurs potentiels, ce qui provoque une certaine inquiétude du côté de la S.E.R.L. et du conseil municipal sur la réussite du centre directionnel à la Part-Dieu.

L’étude de l’opération de la Part-Dieu montre une imbrication complexe des jeux d’acteurs et des réalisations. Nous commençons l’histoire du centre directionnel par la conception du centre commercial, conception architecturale et mise en place du pilotage de ce projet, car les acteurs en présence ou du moins les protagonistes, sont les mêmes sur les autres lots qui composent le cœur du centre directionnel. Nous établissons ensuite une petite chronologie de l’opération, indiquant les événements majeurs et leurs enchaînements, pour mieux comprendre les conflits ou les résistances autour de cette opération. Le lotisseur (la S.E.R.L.) et l’acquéreur (la Société des Centres Commerciaux, S.C.C.) cosignent une série de conventions les liant sur certaines missions et entretenant l’illusion d’une collaboration étroite entre ces deux acteurs. Cette présentation clôt une présentation des faits et des acteurs de la Part-Dieu (sous-section 1). Puis, nous abordons les tensions inhérentes à la réalisation de l’opération. De ce point de vue, plusieurs problèmes émergent autour de la conception du centre directionnel et aboutissent à un changement radical du plan masse, où les intérêts du secteur privé prévalent (sous-section 2). L’analyse du pilotage de l’opération Part-Dieu et la mise en perspective de deux moments, avant la commercialisation du centre commercial en 1968 puis vers l’achèvement de l’opération en 1975, montre les prémisses d’une ouverture du système d’action « traditionnel » à de nouveaux acteurs issus de la sphère privée et/ou étrangère. Par conséquent, nous assistons à un renouvellement des modalités de pilotage d’opération, rompant avec la structure habituelle (S.E.R.L.-Pradel – Delfante – État). L’issue de l’opération Part-Dieu permet ainsi de saisir l’ébauche d’un éclatement de la maîtrise d'ouvrage urbaine où les lieux d’expertise et les canaux de financement se multiplient, aboutissant à de nouvelles logiques dénoncées par certains (sous-section 3).

Figure 2 : le plan masse du centre directionnel de la Part-Dieu tel qu’il a été réalisé Les lettres correspondent aux lots.
Figure 2 : le plan masse du centre directionnel de la Part-Dieu tel qu’il a été réalisé Les lettres correspondent aux lots.

Source : Archives de la S.E.R.L.