4.2.2.2 Des modifications de plan-masse proposées par la S.C.C., défendues par la S.E.R.L. et actées par les pouvoirs publics

Le Centre commercial : d’une apparente collaboration à une coproduction conflictuelle

Dans les plans originaux du centre commercial, il n’y avait que trois niveaux de magasins avec sur la terrasse, un espace réservé aux piétons, une terrasse pour profiter d’une vue sur Lyon. Ceci constituait l’avant-projet du centre commercial. Toutefois, les études économiques de Larry Smith et la recherche d’une meilleure rentabilité pour le projet de centre commercial, vont privilégier un quatrième niveau, recouvrant partiellement la terrasse initiale. En fait, les deux grands magasins (nord et sud) vont demander dans un premier temps un étage supplémentaire, puis d’élever aussi le côté est du centre commercial. En raison des grandes difficultés à libérer de l'espace pour permettre une capacité suffisante en stationnement, l’idée retenue par la S.C.C., la S.E.R.L. et les architectes est de convertir la terrasse en parking. Avec le parking en sous-sol du grand magasin sud, le centre commercial offre ainsi une capacité de 900 places, en plus du parking central.. Or, lorsque le dossier de demande de Permis de construire est déposé, le Préfet émet des réserves quant à ces élévations et cette transformation de la terrasse, fin janvier 1973. La S.E.R.L. va défendre la S.C.C. par courrier du 20 février 1973, au directeur départemental de l’Équipement. Dans ce courrier, James Varnier (directeur de la S.E.R.L.) expose les difficultés d’ordre économique, commercial et juridique, que rencontrera le centre commercial et d’une manière plus générale l’opération Part-Dieu si les réserves préfectorales sont maintenues. Le centre commercial dispose de 100 000 m² de surfaces commerciales, ce qui, compte-tenu des ratios en vigueur – et qui ne valent que pour les centres périphériques – oblige l’aménagement de 6 000 places de stationnement. Un tel chiffre ne peut être atteint, mais la transformation de la terrasse en parking permet de s’en approcher. D’autre part, l’arrivée prochaine de transports en commun (métro et nouvelle gare SNCF) permet de sous-estimer le nombre de places de stationnement exigibles. Le parking de la terrasse permet aussi d’animer le quatrième niveau, qui présente généralement le plus de difficultés à animer (extrait de la lettre). Enfin, la S.C.C. s’est engagé lors du compromis de vente, auprès des acquéreurs des grands magasins de la réalisation de 4 500 places de stationnement (parking central + parking en terrasse et en sous-sol de Jelmoli).

‘« Il faut rappeler que notre société a passé avec la Société des Centres Commerciaux un compromis de vente le 18 mars 1971, complété par un avenant le 3 octobre 1972, auxquels étaient annexés des documents d’urbanisme et des plans de contraintes signés des Architectes en chef de l’Opération, documents qui prévoyaient la possibilité de parking en terrasse, à la côte de 184 mètres 20 sur le centre commercial.
En outre, la Société des Centres Commerciaux a été amenée à signer deux actes de vente avec deux sociétés de Grands Magasins, les Galeries Lafayette le 24 mai 1972 et la société Suisse Jelmoli le 2 août 1972, dans lesquels elle s’est engagée à réaliser 4 500 places de parking, cette disposition constituant l’une des clauses déterminantes dans l’accord des parties. »’

Le non-respect de cette clause met en péril ces contrats, fragilisant ainsi la réalisation du centre commercial. James Varnier assure alors que des efforts seront faits sur les aménagements paysagers de la terrasse. Suite à ce courrier, les réserves sont supprimées en mars 1973. La S.E.R.L. répond ainsi aux attentes de la S.C.C., au sein de la mission assistance auprès des administrations publiques. Le permis de construire modificatif est approuvé le 24 janvier 1974 soit quelques mois après le démarrage du chantier. En outre, les surfaces de vente augmentent, passant de 85 000 m² à 110 000 m² en faveur des deux grands enseignes en leur octroyant un demi-niveau supplémentaire. Cette augmentation a une conséquence directe sur les autres surfaces à construire du cœur du centre directionnel. En effet, chaque m² gagné par la S.C.C. se solde par une réduction équivalente sur les autres programmes. C’est ainsi que le plan-masse se transforme peu à peu, malgré les violentes critiques de Delfante.

Le chantier du centre commercial démarre peu de temps après l’obtention du permis de construire, délivré le 30 janvier 1972. Dès lors, des réunions « maîtrise d'ouvrage » réunissent les architectes (Régis Zeller assisté parfois de Charles Delfante), la S.C.C. (François Douady et parfois des assistants) et des bureaux d’études techniques et de surveillance (BETERALP du réseau S.C.E.T., SOCOTEC117, AGIP du groupe Balkany, Elan-Merlin118) et les décorateurs intérieurs du centre commercial (le plus souvent Mme Raimbault). Dès le début des travaux de construction (novembre 1973), ces réunions hebdomadaires se déroulent à Lyon ou à Paris et font le point semaine après semaine de l’avancement des travaux et de la commercialisation des boutiques. En octobre 1973, la Compagnie Française d’Entreprise est retenue pour la construction du chantier. Elle dépose le bilan quatre mois plus tard et le chantier sera repris par Bouygues. La S.C.C. a alors évincé les « trois grâces » de l’époque, c'est-à-dire Maïa-Sonnier, l’Avenir et Pitance, les grosses entreprises de construction lyonnaise, traditionnelles prestataires de Louis Pradel (entretien Zeller). À ce stade de l’opération, des modifications à la structure générale du bâtiment vont être données, exigées par de Balkany pourtant rarement présent sur le chantier (entretien Zeller). Ainsi, alors que les ouvrages de franchissement des rues de Bonnel et Servient, soutenant la structure globale du centre commercial étaient achevés, Balkany estima qu’il était nécessaire de décaler légèrement le mail sud vers l’ouest, pour agrandir la profondeur des magasins situés côté est de ce même mail. Au milieu de la construction du chantier il a ainsi fallu revoir l’ensemble architectural de la structure et les aménagements intérieurs. C’est ainsi que les poteaux porteurs de la structure du bâtiment sont actuellement visibles, et par un souci de symétrie entre les deux mails, les poteaux du mail nord ont seulement une fonction décoratrice. À l’origine, les mails devaient être libres de tout poteau et les entrées des deux grands magasins devaient coïncider et être visible de part et d’autre du centre commercial. Bien que cette histoire relève de l’anecdote, elle montre combien l’opération de la Part-Dieu est un enchaînement de processus et de décisions, au gré des jeux d’acteurs et de décisions parfois arbitraires.

Notes
117.

Réseau S.C.E.T.

118.

société lyonnaise