4.2.3.2 Nouvelles perspectives pour l’expertise urbaine et nouvelles sources de financement

Des expertises partagées vers une organisation concurrentielle

Les rôles sont clairement partagés entre les deux protagonistes. Ainsi, la S.E.R.L. est un support technique des collectivités locales et un soutien administratif pour la S.C.C. Ceci permet ainsi à l’aménageur de « contrôler » les réalisations du promoteur mais aussi de le défendre auprès des pouvoirs publics étatiques (obtention des permis de construire, recherche d’arrangements concernant l’oubli de l’élaboration des dossiers sécurité pour le centre commercial et la tour de bureaux). Par conséquent, la S.E.R.L. fait office d’interface entre la sphère publique et la sphère privée, entre les collectivités locales d’une part, le promoteur et ses investisseurs d’autre part. En contrepartie, la S.C.C. bénéficie d’une certaine expérience en matière de promotion et de gestion de centres commerciaux – compétence rare en France au début des années 1970. En revanche, elle possède une connaissance limitée des acteurs locaux. Les missions de commercialisations contractées avec la S.E.R.L. lui permettent alors d’avoir accès à ces informations et de mobiliser l’expertise du BETURE en la matière. L’alliance S.E.R.L.-S.C.C repose ainsi sur un partage des pouvoirs, chacun bénéficiant de sa propre expertise, la S.C.C usant de sa connaissance de la S.E.R.L. et de sa place dans le système d’action local pour faire valoir ses propres intérêts, quitte à écarter le patronat local. La S.E.R.L. sert alors malgré elle de relais et de point d’ancrage local à la S.C.C.

Concernant la réalisation de la tour de bureaux, le choix de la S.C.C. fut l’occasion de travailler aussi avec un grand cabinet d’architecture new-yorkais129, spécialisé dans les Gratte-Ciel. L’opération de la Part-Dieu montre ainsi les prémisses de l’éclatement de l'expertise urbaine à deux niveaux. D’une part, l’expertise de l’État est directement concurrencée par celle de la S.C.E.T. De fait, les S.E.M. du réseau S.C.E.T. se sont implantées dans l’ensemble du territoire, ayant de multiples compétences et des savoir-faire techniques pointus, permettant l’hégémonie du système « S.C.E.T. » et la diffusion de pratiques quasiment identiques à l’ensemble du territoire français. De 1955 à 1976, ce réseau a ainsi contribué à un renouvellement des pratiques et des pensées sur la ville. En effet, le système « S.C.E.T. » consiste à décloisonner deux mondes, traditionnellement opposés, avec leurs propres logiques et stratégies. Ce secteur ne cessera ainsi de se développer, pour tenir au milieu des années 1970, une position majeure y compris dans le monde industriel (Lorrain, 1990, 1991). Une étape importante dans l’aménagement urbain, mais aussi sur la formulation et l’exécution des politiques publiques est franchie.

‘« Ce qui est certain dès maintenant, c’est que nous nous trouvons en présence d’un organisme suscité par l’administration, concourant directement à son activité, et ceci en dehors de toute préoccupation de profit capitaliste. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment un tel organisme a fait naître de nouveaux comportements, modifié des rapports administratifs ou juridiques traditionnels, augmenté les moyens d’action de l’administration, favorisé, le cas échéant, l’autonomie des collectivités locales en élargissant leur marge d’initiative. »130

Ainsi, l’avènement de la S.C.E.T. va modifier considérablement la façon de poser (et donc de résoudre) le problème urbain. Les S.E.M. d’aménagement avaient pour objectif de pallier l’insuffisance quantitative des services techniques des villes et l’absence d’initiative privée dans le domaine de l'aménagement. L’arrivée de la S.C.E.T. sur la scène de l’aménagement urbain contribue, à faire changer les mentalités. Les collectivités locales prennent conscience du rôle qu’elles ont à jouer dans ce domaine, de la prise en charge par leurs services de leur développement territorial. Elle bouleverse le jeu et l’organisation des acteurs, affaiblissent progressivement l’hégémonie administrative et technique des services de l’État. Le système « S.C.E.T. » introduit aussi une alternative en impliquant directement les collectivités locales actionnaires des S.E.M. d’équipement ou d’aménagement. En ce sens, la S.C.E.T. est un vecteur de décentralisation, une étape dans laquelle les collectivités locales vont s’initier à la gestion urbaine, aux côtés de la S.C.E.T.

D’autre part, le développement de la Part-Dieu a permis l’implantation d’opérateurs jusqu’alors peu présents dans le marché immobilier commercial et d’affaires lyonnais, issus du monde bancaire français (la S.C.C. notamment) ou étranger (cas de l’immeuble de bureaux le Britannia, jouxtant aussi le centre commercial). Ces développeurs ne se cantonnent pas uniquement à de simples investisseurs mais prennent également part à la conception de l’opération, n’hésitant pas à restructurer le plan-masse de l’opération en ce qui concerne la S.C.C., tout en mettant l’urbaniste en chef de l’opération en porte-à-faux. Surtout, la S.C.C. va faire appel pour la tour de bureaux à des architectes étrangers, sans associer le milieu local, ce qui constitue une première pour Lyon, où l’ensemble des bâtiments « remarquables » est le fruit d’architectes lyonnais en association ou non avec des architectes français (Collet, 1986). L’histoire de la Part-Dieu montre clairement une ouverture à d’autres expertises, issues de lieux distincts (les États-Unis par exemple) ou de nouvelles logiques (le monde de la finance). Ceci conforte un renouvellement culturel de l’expertise urbaine à partir des années 1970.

Notes
129.

Robert de Balkany ayant fait une partie de son cursus universitaires aux États-Unis avec l’architecte Pei avec qui travaillait Cossutta.

130.

D’ARCY F., 1968, Structures administratives et urbanisation : la S.C.E.T., l’État et les collectivités locales face à l’expansion urbaine, Thèse de droit, université de Paris, faculté de droit et de sciences économiques, p 46