5.2.3.2 L’opération clé en main ou la spécificité des grands groupes

À partir du milieu des années 1980, les grands opérateurs de l’urbain développent un produit spécifique : le projet « clefs en main ». Il s’agit d’offrir une prestation globale des études préalables au montage financier et à la réalisation, voire parfois jusqu’à l’exploitation des équipements réalisés (Lorrain, 1992). Ciblant des produits urbains spécialisés (centre d’affaires en centre-ville, technopole en périphérie, zone de logements, zone de loisirs intégrés ou ensemble commercial), cette formule séduit de nombreuses communes, qui laissent à l’aménageur privé la responsabilité du suivi de l’opération et les risques liés à son achèvement. Seuls, quelques groupes se permettent de proposer aux collectivités territoriales ce type de projet avec gestion intégrée : la Compagnie Générale des Eaux, Spie Batignolles, SAE, Lyonnaise-Dumez, Bouygues et enfin la Caisse des Dépôts et ses filiales. Ces groupes interviennent dans l’urbain depuis plusieurs années, soit au niveau de la construction, soit au niveau de la gestion des services urbains. Ils ont adapté leurs offres commerciales aux besoins de leurs clients, dont les premiers sont les collectivités locales, depuis la décentralisation.

‘« Ces nouveaux marchés, liés aux transformations urbaines, ne se spécifient pas simplement par une part importante de services qu’ils incluent. Ils se caractérisent aussi par la complexité et la multiplicité des fonctions qu’ils mobilisent. Dès lors, ils encouragent des stratégies d’offre globale que les grandes entreprises ou les grands groupes sont, peut-être seuls, à même de développer. […] Pour s’adapter aux mutations des marchés de la construction, les grandes entreprises ont dû redéfinir leurs stratégies et les moyens de leur développement. Sous l’effet de l’accélération des concentrations financières et des politiques de développement fondées sur la croissance externe et la diversification, elles sont devenues dans certains pays de puissants groupes multi-activités, mais aussi de puissants opérateurs urbains. Il apparaît bien difficile de ne pas rapprocher leur position actuelle – ou celle qu’elles prétendent occuper dans la compétition pour les opérations urbaines complexes- des mutations qu’elles ont elles-mêmes subies. Autrement dit, les politiques qu’elles ont suivies pour s’adapter aux changements d’environnement et de marché ne les désignent-elles pas aujourd’hui comme les véritables opérateurs urbains, du fait des capacités qu’elles ont acquises ou des synergies retirées de leur diversification ? »197

Ce succès s’explique par la mise en place de nouveaux mécanismes juridico-financiers sur les responsabilités entre partenaires, associés à des savoir-faire techniques, développés par le secteur privé. Ainsi, le partage des ressources n’est pas uniquement le fait de connaissances ou de compétences techniques, mais la décentralisation a profondément changé la donne juridique et financière des communes, qui se sont alors tournées vers un type d’acteurs particuliers du secteur privé. Toutefois, la majorité des communes se trouvait aussi dans une position de « demandeur » face au retrait de l’État (financier et techniques) dans les domaines de l'aménagement et de l’organisation des services publics. Elles se retrouvent également dans une situation financière, peu favorable à la prise en charge en régie directe de l’ensemble de l’aménagement et profitent de l’opportunité qui leur est donné par les grands groupes de l’urbain. En outre, dans les années 1980, il existe une forte pénurie foncière dans les agglomérations qui oblige les sociétés de construction et de promotion à s’engager dans des activités de prospection foncière pour leur garantir une activité et un chiffre d’affaires suffisants.

Dans cette perspective, l’opération de la Cité Internationale s’avère être une formidable opportunité pour ces groupes, notamment pour Bouygues ou la Compagnie Générale des Eaux, déjà bien implantés dans la région. Il n’est donc guère surprenant que le groupe CGE propose un tel montage, allant de la conception de l’opération (avec le contrat de maîtrise d'œuvre passé avec Renzo Piano) à la gestion de certains équipements construits comme le Palais des Congrès.

Notes
197.

CAMPAGNAC E., 1992, Les grands groupes de la construction : de nouveaux acteurs urbains, Paris, éditions l’Harmattan, p 8 (introduction)