6.1.1.2 L’expertise

C’est surtout dans le domaine de l’expertise que les redistributions des pouvoirs et des compétences vont être significatives. L’exigence de nouvelles expertises urbaines devient nécessaire compte tenu de la complexification du processus d’aménagement. Nos études de cas illustrent effectivement cette évolution par la mobilisation d’expertises comme celle du groupe Algoe sur le conseil en management de projets et en suivi d’opérations, type d’expertise alors inexistante pour l’opération de la Part-Dieu. Cela peut en partie s’expliquer par la mobilisation d’un plus grand nombre d’acteurs dans le cas de la Cité Internationale que dans celui de la Part-Dieu et de la nécessité pour le pilote de l’opération de se doter de méthodes et d’outils pour les coordonner. Les collectivités locales se dotent également des services d’un cabinet d’avocats pour les assister dans l’élaboration des différents contrats à passer avec l’opérateur privé. Ce cabinet renforce alors la compétence des services publics dans ce champ. Toutefois, nous pouvons appréhender de plusieurs manières cette nouvelle expertise : s’agit-il pour les collectivités locales de faire reporter sur le cabinet privé une prise de risque sur les recours juridiques envisageables ? S’agit-il d’un manque de compétences et/ou d’expériences des services juridiques publics locaux sur des dossiers très complexes (bail emphytéotique lié à une convention d’aménagement dans le cadre d’une Z.A.C.) ? Enfin, s’agit-il de maintenir voire de développer un tissu d’expertises suffisant au niveau local pour permettre aux collectivités locales, notamment à la communauté urbaine de Lyon d’être en mesure de disposer d’une offre de qualité en expertise au niveau local ? A ces questions, nous n’avons pu obtenir de réponse.

Si l’expertise publique locale est quasi-inexistante lors de la réalisation de la Part-Dieu, l’opération Cité Internationale montre au contraire une forte implication des services techniques communautaires et municipaux207, notamment dans des domaines alors investis par le réseau S.C.E.T. (voiries, études urbaines, études de transports). Ces services n’hésitent pas à mobiliser les expertises du secteur privé de manière formelle (marchés publics conclus avec des bureaux d’études privés, un cabinet d’architecture international) ou de manière informelle (la consultation des élites économiques locales). On note ainsi le passage d’une situation quasi de monopole du réseau S.C.E.T. vers la montée en puissance de l'expertise publique locale et de la mobilisation à ses côtés de l’expertise du secteur privé dès l’amont des opérations.

Pour la réalisation de la Part-Dieu, une grande majorité des expertises est réalisée par les bureaux du réseau S.C.E.T. ou par les services de l'État, d’autres expertises sont confiées à des bureaux d’étude privées, dans les domaines où le réseau S.C.E.T. et l’État manquent de compétences (celui des études de pré-commerciales et de marketing notamment, secteur novateur à la fin des années 1960). D’ailleurs, la manière dont ces contrats sont passés entre la S.E.R.L. et le prestataire reste floue, compte tenu du manque d’informations à ce sujet et de l’ignorance du chef d’opération de la Part-Dieu sur les procédures à suivre. L’expertise juridique est confiée dans les premiers temps de l’opération au service compétent de la S.C.E.T., puis la S.E.R.L. recrute ensuite Maître Clayette pour l’assister dans ses démarches administratives et juridiques, toujours sous tutelle de la S.C.E.T.208.

Les architectes urbanistes lyonnais furent également très impliqués dans les opérations locales, caractéristique importante de cette période, puisque de nombreuses grandes opérations d’aménagement (comme les Z.U.P.) ont d’abord mobilisé les architectes lyonnais209. Charles Delfante cumule également deux fonctions, d’abord il est fortement impliqué dans l’opération en tant qu’urbaniste en chef de la ville de Lyon et directeur de l’atelier d’urbanisme communautaire (ATURVIL puis ATURCO) et responsable de la composition urbaine de l'ensemble du centre directionnel. Puis il intervient, avec son cabinet privé d’architecture, en tant qu’architecte sur certains ouvrages, comme la construction de la bibliothèque municipale. Lyon Parc Auto (LPA) complète enfin le dispositif, même si sur la Part-Dieu ce n’est qu’un acteur secondaire, ayant peu participé au processus décisionnel. Mais l’influence de cette maîtrise d'ouvrage urbaine locale reste réduite, comme nous l’avons vu face aux institutions financières et aux grands promoteurs. Elle demeure largement sous tutelle de l'État et des grands organismes à l’échelle nationale (S.C.E.T., Caisse des Dépôts et Consignations, Crédit Lyonnais et dans une moindre mesure la S.C.C.).

La première phase de la Cité Internationale illustre parfaitement ce processus d’émancipation du local et d’un travail coopératif à cette échelle. Dans un premier temps, les expertises mobilisées, qu’elles soient publiques ou privées, sont exclusivement locales. Le concours International d’architecture permet néanmoins d’inscrire l’opération à une autre échelle, en choisissant comme lauréat Renzo Piano, renommé international, mais tout en exigeant une collaboration avec un architecte local. Cette Même si cette association ne fut pas poursuivie, l’intention était belle et bien, de mobiliser sur cette opération des acteurs locaux et des acteurs à dimension internationale. Le premier concours opérateur avec une première sélection du groupement SARI-S.E.R.L. va dans le même sens.

Toutefois, nous devons relativiser la conclusion hâtive entre l’avènement du partenariat public-privé et la coopération public-privé dès l’amont des opérations. L’opération de la Part-Dieu montre en effet, une collaboration importante dès le début des études, via la mobilisation de grandes enseignes commerciales déjà installées à Lyon (Galeries Lafayette et plus particulièrement Serge Careil, et le Printemps) à la conception du centre commercial. Dans le domaine de la planification, la consultation du patronat local est courante (Bonneville, 1997) et les documents de planification sont le fruit d’actions conjointes entre le secteur privé et les services publics du Plan, même si les protagonistes ne sont pas toujours en accord (Linossier, 2006). Deux évolutions nous paraissent alors majeures et caractérisent l’émergence du partenariat public-privé :

Dans ce contexte, il convient alors d’approfondir la tâche de coordination au cœur des rapports public-privé lors d’une opération d’aménagement.

Notes
207.

Nous associons dans cette analyse l’agence d’urbanisme de Lyon à ceux de la communauté urbaine, position tout à fait acceptable jusqu’à la fin des années 1980 (Linossier, Menez, 2007)

208.

Lors de notre dépouillement d’archives à la S.E.R.L., nous avons rencontré une jeune juriste, chargée de la liquidation de l’opération, notamment de redonner à la communauté urbaine de Lyon les voiries aménagées par la S.E.R.L. et qui se trouvent encore, dans le portefeuille patrimonial de la S.E.R.L. Ensemble, nous n’avons pu retrouver dans les cartons, les documents juridiques nécessaires à cette liquidation, notamment les documents concernant le transfert de foncier entre la Ville de Lyon et la S.E.R.L.

209.

Nos recherches d’archives écrites nous ont conduits à la Société Académique des Architectes Lyonnais (SAAL), lieu de mémoires et d’archives des architectes lyonnais à la retraite. On peut d’ailleurs y trouver de nombreux plans d’aménagement des Z.U.P. des années 1960-1970.