6.1.2 La recomposition de la maîtrise d'ouvrage urbaine à l’épreuve des faits : d’une pseudo-standardisation nationale à des « compositions » locales

6.1.2.1 Du système hiérarchique au système réseau

La reprise des schémas réalisés lors des études de cas en mettant en exergue l’appartenance locale ou autre des acteurs illustre parfaitement la complexité croissance du rôle de coordinateur, surtout la multiplication des relations croisées entre les acteurs fait apparaître une organisation plutôt en réseau lors de la réalisation de la Cité Internationale, alors que pour la Part-Dieu, le processus décisionnel suit une hiérarchie du niveau central vers le niveau local.

Part-Dieu en 1975
Part-Dieu en 1975
Cité Internationale en 1998
Cité Internationale en 1998

Dans le cas de la Part-Dieu, la S.E.R.L. va principalement jouer ce rôle de coordinateur, avec à ses côtés Charles Delfante sur les questions d’architecture. Ce dernier sera progressivement écarté au fur et à mesure de l’avancement du projet, apportant souvent à contrecœur, les modifications au plan de masse originel. Mais c’est surtout la S.E.R.L. qui négocie directement avec les promoteurs pour l’ensemble des lots de la Part-Dieu. Pendant les années 1960 et 1970, la S.E.R.L. sera ainsi l’interlocuteur principal de la communauté urbaine et de la ville de Lyon pour la réalisation des opérations d’aménagement. Le rôle de la S.E.R.L. est alors d’assister et de pallier le manque d’expertise et d’expérience des collectivités locales en la matière. Elle devra même déroger à son rôle d’aménageur pour endosser celui de promoteur pour le lancement des opérations de bureaux à la bureau. Cela lui confère alors un rôle essentiel sur cette opération.

Toutefois la marge de manœuvre de la S.E.R.L. est relative. Pour la partie centrale du centre directionnel (centre commercial et tour du Crédit Lyonnais), le promoteur lui sera imposé et elle devra composer avec lui pour la conception de l’opération. Ainsi, si sur la Part-Dieu, le choix de la S.C.C. repose sur des tractations entre les dirigeants de la Caisse des Dépôts, du Crédit Lyonnais et du Ministère de l’Équipement, celui de la SARI est le fruit de longue négociation entre les deux candidats privés (SARI-CGE et Bouygues) et une « Task Force » locale composée essentiellement d’élus et de hauts fonctionnaires territoriaux. La S.E.M.C.I.L., va participer activement à l’ensemble des décisions, auprès des élus locaux (choix de l’opérateur, mais aussi avis sur la conception architecturale et la programmation urbaine, avis sur les autres promoteurs, notamment pour l’hôtel International). Dans le premier cas, Louis Pradel n’a d’autre choix que d’entériner la sélection établie au niveau central et de la reprendre à son compte au niveau local. Mais une fois le choix réalisé, la S.E.R.L. va travailler en étroite collaboration avec la S.C.C. jusqu’à l’assister dans ses démarches auprès des institutions publiques (cas des permis de construire du centre commercial et de la Tour du Crédit Lyonnais). L’État fait ainsi valoir sa position hiérarchique en imposant les décisions majeures et laisse le soin aux acteurs publics locaux de régler les questions techniques et juridiques directement avec les promoteurs.

En revanche, le processus décisionnel dans le cas de la Cité Internationale fait émerger une organisation en réseau avec toujours une société d’économie mixte à l’interface entre le secteur privé (S.C.C. et le groupe Vivendi) et le secteur public (État et collectivités locales). En effet, dans le cas de la Cité Internationale, les relations sont plus imbriquées, avec de nombreuses relations « croisées » et un nombre plus important d’acteurs. Par conséquent, le rôle de coordinateur devient plus complexe. Entre la période de la Part-Dieu et celle de la Cité Internationale, les collectivités locales ont acquis une certaine expertise (surtout la communauté urbaine de Lyon) qui leur confèrent un rôle important aux côtés de la S.E.M.C.I.L., émanation d’ailleurs de ces mêmes collectivités locales. Dans cette perspective, les collectivités, toujours financeurs partiels des projets, prennent également un poids important dans la décision, comme l’histoire de la Cité Internationale peut l’illustrer. Toutefois, dans ce dernier cas, le grand nombre d’acteurs intervenant sur l’opération a permis la justification d’une S.E.M. à statut particulier. Si la S.E.R.L. est quasiment seule face à la S.C.C., la S.E.M.C.I.L., la communauté urbaine et la ville de Lyon forment un triptyque de taille face à l’empire Vivendi. Toutefois, les compétences de chacun, notamment en manière d’aménagement varient. La S.E.R.L. jouissait de l’intégralité des qualités d’aménageur et de relais financier de la Caisse des Dépôts. En revanche, ce rôle d’aménageur est décomposé sur la Cité Internationale : la S.P.A.I.C.I.L. bénéficiant de délégation partielle des compétences en aménagement de la communauté urbaine (pour les surfaces bâties lors de la seconde phase) et la communauté urbaine pour les compétences non déléguées. Toutefois, le choix de conserver une S.E.M. sur la Cité Internationale relève plus de l’adoption d’une certaine stratégie, qu’un choix « technique ». En effet, les collectivités locales auraient pu suivre l’opération sans le recours à une S.E.M. Sur d’autres Z.A.C. privées, le service d’urbanisme opérationnel de la communauté urbaine assure ce rôle de coordinateur face à l’aménageur privé. La S.E.M.C.I.L. permet ainsi de renforcer le poids et l’influence des collectivités sur cette opération, grâce à son statut unique dans l’histoire des S.E.M.

Le cas de la Cité Internationale montre alors, à la fin des années 1990, une variété importante des acteurs locaux mobilisés dans l’opération. D’ailleurs, leurs interventions supportent le triptyque collectivités locales-S.E.M.C.I.L., soit en apportant leur expertise (comme des cabinets privés ou bien au début de l’opération l’investissement informel de dirigeants d’entreprises locales), soit en apportant leur soutien financier et leurs réseaux dans le cas du groupe Partouche. Ceci permet alors aux collectivités locales de jouir d’un « poids » plus important. Les collectivités locales et la S.E.M.C.I.L. vont également trouver des appuis autres. Ainsi, Renzo Piano insistera auprès de la chaîne hôtelière Hilton pour que la rue intérieure puisse traverser l’hôtel, engendrant alors des modifications importantes dans l’accueil des clients vis-à-vis du protocole habituel de la chaîne. Ce soutien et l’arrangement architecturale qui a suivi a permis de conserver les principes majeurs de l’opération. Seules les collectivités locales n’auraient pu aboutir à un tel accord, tant la venue d’une grande chaîne hôtelière sur ce site était fragile. Dans un autre registre, les collectivités locales et surtout la communauté urbaine de Lyon se constituent un réseau de collaborateurs locaux comme les cabinets U2C ou Algoe. Nous avons déjà insisté sur les relations permanentes de ces cabinets avec les institutions locales, qui renforcent les compétences et l’expertise locales face à de grands groupes opérateurs de l’urbain.