6.1.2.2 La redéfinition du rapport public-privé

Quand aménager devient une histoire locale

En définitive, l’évolution majeure de la recomposition de la maîtrise d'ouvrage urbaine entre l’époque de la Part-Dieu et celle de la Cité Internationale se caractérise par le positionnement des collectivités locales vis-à-vis du choix de ses partenaires (publics, privés ou autres) et de son autonomie par rapport à la tutelle nationale dans le processus décisionnel.

Pour la Part-Dieu, les acteurs nationaux (S.C.E.T., Crédit Lyonnais et S.C.C.) rassemblent la majorité des pouvoirs qui compose la maîtrise d'ouvrage urbaine : la connaissance de l’environnement et de la place des individus dans le système (via leurs réseaux étendus surtout pour la S.C.E.T.), l’expertise (savoir-faire technique ou financier) et maîtrise de l’information (via les recrutements de la S.C.C. pour l’opération Part-Dieu et le réseau S.C.E.T.). Par conséquent, Louis Pradel n’a que très peu de marges de manœuvre, la communauté urbaine vient tout juste d’être créée et les services en urbanisme opérationnel sont inexistants, l’obligeant ainsi à s’appuyer sur la S.E.R.L. pour les aspects opérationnels de l'aménagement et sur l’atelier de Charles Delfante pour les questions urbanistiques et architecturales. Quoiqu’il en soit, ce trio local est fortement sous influence nationale, ne disposant pas des ressources techniques, financières et des relations dans le monde de l’immobilier d’entreprises et commercial nécessaires. Néanmoins, l’analyse de la maîtrise d'ouvrage urbaine pour l’opération Cité Internationale montre une évolution certaine et une émancipation des acteurs locaux, avec pour conséquence, une maîtrise d'ouvrage urbaine largement pilotée par des acteurs locaux. Ainsi, le partenariat public-privé révèle une rupture dans le mode d’organisation du système d’acteurs, caractérisée par le passage d’un système hiérarchique « national vers le local » à sa « dé-hiérarchisation », décrit par le passage à une culture de projet. Dans cette perspective, l’opération est pilotée par un groupe d’acteurs-protagonistes faisant appel à d’autres acteurs en fonction des besoins attendus. Dans ce contexte, le choix du public ou du privé apparaît secondaire et se justifie par la recherche de compétences et de savoir-faire précis et appropriés. De ce fait, le principe d’une collaboration public-privé est mieux assumé par les élus locaux.

La communauté urbaine de Lyon est exemplaire dans ce domaine. Elle a créé de nouvelles S.E.M. d’aménagement (Cité Internationale et Confluence pour l’un des grands projets actuellement en cours) mais également développé son principe de « mission » territoriale, avec un mode de fonctionnement équivalent à la S.E.M. pour la conception et le suivi des projets. Ce fonctionnement est quelque peu particulier à Lyon (Vilmin, 2005), et révèle une communauté urbaine ayant acquis une certaine maturité. D’ailleurs, il serait intéressant de poursuivre notre démarche de recherche sur de nouveaux terrains (quartier de Vaise et Confluence à Lyon, Carré de Soie à Vaulx-en-Velin, etc.). Ces exemples, encore lyonnais, démontrent une maîtrise d'ouvrage urbaine dégagée de la tutelle étatique et en perpétuelle adaptation aux différents contextes, en particulier celui du dessein politique et urbain de la communauté urbaine.

L’évolution majeure entre les deux moments de la fabrication urbaine (Part-Dieu années 1960-1970 et Cité Internationale 1980-1990) montre l’existence d’une expertise publique comme non publique importante au niveau locale. Ainsi, les opérations d’aménagement peuvent être conduites en faisant uniquement appel aux acteurs locaux. L’observation des Z.A.C. créées dans l’agglomération lyonnaise depuis 1967 illustre parfaitement ce processus avec l’intervention croissante au cours des années 1980 de promoteurs immobiliers locaux en tant qu’aménageur et la gestion d’opération en régie directe par les services communautaires. Des cabinets privés comme Algoe, spécialiste entre autres de la gestion de projet et de l’administration publique, ou comme U2C (conseil juridique) ont développé leurs activités depuis les années 1970. Ces cabinets interviennent régulièrement auprès des collectivités, supplantant aussi les expertises relevant de l’État. Ainsi, l’ensemble des Z.A.C. de l’agglomération lyonnaise étaient déléguées à la S.E.R.L. jusqu’au début des années 1980.

À l’issue de cette première section il s’avère que la maîtrise d'ouvrage urbaine largement pilotée par les instances nationales (État, S.C.E.T. et grands organismes bancaires) s’oriente vers une gestion locale des enjeux d’aménagement et d’urbanisme opérationnel dès les années 1970. L’analyse de l’opération de la Part-Dieu permet de distinguer les prémisses de ce basculement, celle de la Cité Internationale confirme et précise les mécanismes de cette recomposition. Les tentatives de gestion d’opération d’urbanisme standardisée par le réseau S.C.E.T. auront permis le développement d’une culture urbaine locale et d’un transfert de compétences et d’expertises des organismes nationaux aux organismes locaux.

La seconde évolution majeure concerne l’affichage du rapport public-privé et le besoin de communiquer pour ce rapport afin de leur rendre plus transparent aux yeux des administrés.