6.2.1.2 la Loi d’Orientation Foncière : le signe d’un basculement culturel/ changement d’état d’esprit

La nécessité de l’intervention du secteur privé dans l’aménagement du territoire est reconnue officiellement par l’instauration des outils prévus dans la L.O.F. Présentée comme une réforme importante de l’urbanisme opérationnelle, cette loi favorise et assouplit l’intervention du secteur privé dans le champ urbain. Si le P.O.S. permet une clarification des règles d’urbanisme et l’instauration d’un document de référence s’appliquant à tous, l’existence de « zones blanches » où l’urbanisme est négociable, fragilise l’idée même du plan volontariste et prospectif. Le premier décret d’application adopté, concerne la procédure de Z.A.C. et légalise par la même occasion, des arrangements plus ou moins officieux (Veltz, 1978). La fin des années 1960 témoigne ainsi de la légitimation de la collaboration des secteurs public et privé, avec l’instauration d’outils encadrant des pratiques existantes. Le partenariat public-privé n’est donc pas encore proclamé mais la voie est tracée pour l’intégration dans les politiques urbaines de logiques et de stratégies propres jusqu’alors au secteur privé.

‘« La L.O.F. apparaît comme le symbole d’un nouvel état d’esprit et d’une nouvelle orientation de l’action étatique : entre l’urbanisme d’interdiction, purement négatif et l’urbanisme de laisser-faire – qui sont paradoxalement reprochés en même temps au régime antérieur – la L.O.F. marque l’émergence d’un grand dessein volontariste et prospectif.»213

L’analyse de cette loi et des outils qu’elle promulgue montre une volonté de l’État, favorisant la coopération public-privé en aménagement urbain et se donnant les moyens de maîtriser ces coopérations. Ces nouveaux principes d’aménagement sont toujours en vigueur aujourd’hui, même si les lois récentes dont la loi Solidarité Renouvellement Urbain du 13 décembre 2000 ont apporté des modifications, visant notamment à introduire davantage de concertation, notamment dans les documents de planification, préalable à l’urbanisme opérationnel.

Si le débat sur les récupérations de plus-values foncières est en partie à l’origine de la L.O.F., et a engendré l’instauration de la Taxe Locale d’Équipement (TLE), la loi permet également de s’affranchir de cette taxe et des rigidités du P.O.S., à travers l’instauration de « zones blanches ». Ces zones d’aménagement concerté (Z.A.C.) correspondent à une procédure d’urbanisme particulière et exceptionnelle, où la participation aux équipements, la densité et le type de constructions sont négociés entre les promoteurs, l’aménageur et la collectivité locale214. L’objectif est de faire supporter le coût des équipements publics nécessaires à l’urbanisation nouvelle par les acheteurs des logements essentiellement. Néanmoins, ce régime particulier existait déjà dans les Z.U.P. et les Z.R.U. Le régime de la Z.A.C perfectionne le système en introduisant une négociation entre les différents protagonistes et instaurant de fait, des relations « privilégiées ». La possibilité d’instruire une Z.A.C. privée, c'est-à-dire de permettre à un aménageur privé d’endosser seul la responsabilité et les risques liés à l’aménagement de la zone ainsi délimitée, constitue à cette époque une véritable innovation. Le réseau S.C.E.T. a d’abord investi cette mission d’aménageur (par convention pour le compte des collectivités locales) avant que cette mission soit assurée progressivement par le secteur privé et les collectivités locales à partir de la fin des années 1970.

Veltz poursuit alors son analyse en supposant que l’adoption de la L.O.F. caractérise un basculement vers de nouvelles représentations de ce que doit être l’action publique en aménagement urbain, nécessairement en collaboration entre secteur public et secteur privé.

‘« Leur invocation215 simultanée peut être considérée comme une réponse possible de l’idéologie à ces nouvelles conditions – et peut-être la seule qui permette de satisfaire la double nécessité qui s’impose : continuer à légitimer l’action étatique, tout en reconnaissant de facto, bien que sous une forme déformée, des évolutions devenues criantes. Ainsi, le libéralisme « reconnaît » le poids croissant des intérêts privés, le volontarisme « reconnaît » l’importance croissante de l’intervention publique dans l’économie. Mais l’un et l’autre en masquant la nature réelle, en laissant croire, ici que l’État reste au-dessus de la mêlée et traite à l’identique tous les intérêts privés quels qu’ils soient, là qu’il continue à tenir fermement les rênes d’une société qu’il domine de toute sa hauteur, - et en évitant ainsi d’infliger un démenti à ce qui reste le noyau dur de la légitimation de l’action publique, c'est-à-dire l’État garant de l’intérêt général.»216

Pierre Veltz soulève alors la question du rapport public-privé, à travers le prisme de l’action de l’État et de sa légitimité vis-à-vis du secteur privé en analysant les premiers outils de l’urbanisme opérationnel. Il s’avère que l’adoption de la L.O.F. et des outils qu’elle implique conduit à une nécessaire collaboration des secteurs public et privé dans l’aménagement urbain, sans pour autant résoudre la question de l’intérêt général ou de l’intérêt collectif. Cette évolution majeure de l’urbanisme opérationnel se fait l’écho d’un autre changement intervenu quelques années plus tôt avec la création du réseau S.C.E.T. A partir des travaux réalisés dans les années 1960-1970, nous pouvons avancer une hypothèse quant au rôle central de l’État, initiateur de ces nouvelles pratiques et de cette nouvelle culture, le réseau S.C.E.T. jouant le rôle d’incubateur auprès de collectivités locales réceptives.

Notes
213.

VELTZ P, 1978, Histoire d'une réforme ambiguë: les plans d'occupation des sols, collection Méthodes & Techniques, éditions du CRU, Paris, p 11.

214.

Pour plus de détail de la procédure, on pourra lire l’ouvrage de Jérôme Dubois, Communautés de politiques publiques et projets urbains, 1997, pp 74-77

215.

Veltz fait ici référence aux représentations issues du volontarisme versus celles issues du libéralisme.

216.

VELTZ P, 1978, Histoire d'une réforme ambiguë: les plans d'occupation des sols, collection Méthodes & Techniques, éditions du CRU, Paris, p 13