2.6.5. L’occupation du Nord et du Nord-Ouest du Paraná et le cycle du café

‘“Paraná celeiro do Café
Pelo teu glorioso passado
Aqui vai a mensagem de fé
Desta viola que chora o teu triste fato
Sou um caboclo que vê com tristeza
O teu café pela geada queimado
Mas que sabe que o teu povo forte
Nem diante da morte se vê derrotado”
“Paraná cellier du Café
Par ton glorieux passé
Voici un message de foi
De cette viole qui pleure ton triste sort
Je suis un caboclo qui voit avec tristesse
Ton café par le gel brûlé
Mais qui sait que ton peuple fort
Même en face de la mort ne sera vaincu”

Geada do Paraná, musique composée par Teddy Vieira, interprêtée par Tião Carreiro et Pardinho, 1964.’

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, après sa séparation d’avec l’Etat de São Paulo, le Paraná fait des efforts pour occuper son territoire et développer son économie. Malgré la décadence de l’élevage de bétail, en raison de l’arrêt de l’activité minière au Brésil central et de l’implantation des chemins de fer, l’exploitation de l’erva-mate se révèle être une activité extrêmement rentable et assure une part importante du budget du Etat. Les premières tentatives d’occuper le nord du Paraná ont été faites dans ce contexte, quand le gouvernement brésilien y a implanté une colonie militaire, afin d’établir une liaison avec l’Etat de Mato Grosso (SERRA, 1992).

A la fin du XIXe siècle, la caféiculture des Etats de Minas Gerais et São Paulo était en pleine expansion, mais les terres encore disponibles ne présentaient pas de bons sols. Ainsi, la pression sur les terres vacantes du nord et nord-ouest du Paraná, qui possédaient de très bons sols, augmentait année après année. En raison de l’absence d’une politique nationale de colonisation des terres inoccupées, les caféiculteurs ont commencé à prendre possession de terres de façon irrégulière. Afin de contenir ces irrégularités et discipliner le processus d’occupation, le Paraná institutionnalise en 1893 la vente des terres vacantes, les prix des terres étant aussi établis par le gouvernement. Pendant cette première phase de colonisation, le gouvernement donne la priorité aux immigrants, avec l’idée que ces derniers rendront la terre plus vite productive.

A partir des années 1920 débute une nouvelle phase du processus d’occupation du nord du Paraná. L’Etat transfère la tâche de la colonisation aux entreprises privées, s’occupant seulement de la réglementation et de la fiscalisation de ces activités. La majeure partie des terres du nord-ouest du Paraná est alors achetée par deux compagnies de colonisation : la BRAVIACO – Companhia Brasileira de Viação e Comércio (Compagnie Brésilienne de Transport et Commerce) et la CMNP – Companhia Melhoramentos Norte do Paraná 6 (Compagnie pour l’Amélioration du Nord du Paraná, en libre traduction).

La BRAVIACO était une branche de la Brazil Railway Company, une entreprise brésilienne propriété d’un groupe américain responsable de la construction du chemin de fer entre São Paulo et Rio Grande. Quant à la CMNP, c’était une branche de la Paraná Plantations, une entreprise anglaise qui était active dans la culture du coton, la construction de chemins de fer et l’achat et la vente de terres. Les deux entreprises reçurent le droit de défricher la forêt, de délimiter les terres vacantes et de promouvoir l’occupation du nord-ouest du Paraná, en ayant en échange de l’obligation de créer des villes et toute l’infrastructure nécessaire au développement de la région (Figure 40).

L’expérience de colonisation de la BRAVIACO a commencé avec l’ouverture d’un chemin entre la ville de Presidente Prudente, dans l’Etat de São Paulo, et les terres destinées à la colonisation, qui se trouvaient placées entre la Paranapanema et Ivaí, dans l’Etat du Paraná. Sur ces nouvelles terres, la compagnie a introduit le café, en faisant venir des migrants du nord-est du Brésil pour travailler dans les plantations. Petit à petit, des villes ont été créées et la forêt a cédé la place aux champs de café. Dans les années 1930, malgré les bons résultats obtenus, les terres concédées à la BRAVIACO ont été récupérées par le gouvernement en raison d’un manquement au contrat. De son coté, la CMNP a commencé le processus d’occupation du nord du Paraná en vendant des petites parcelles destinées à l’agriculture, surtout pour des caféiculteurs venus des Etats de Minas Gerais et São Paulo, attirés par la bonne qualité des sols.

Depuis le début de la colonisation, la caféiculture se développait bien sur les terres du nord du Paraná. Néanmoins, en 1929, en raison de la crise de la bourse de New York et de la surproduction de café, les prix ont chuté sur le marché mondial et les caféiculteurs ont affronté de grosses difficultés. Afin de forcer les prix à la hausse, le gouvernement brésilien a ordonné la destruction des stocks et de champs de café de sorte que les années suivantes, la caféiculture a retrouvé son importance. La reprise des exportations a donné une nouvelle impulsion à l’occupation du nord-ouest du Paraná (SERRA, 1992). A partir des années 1940, la CMNP a amorcé la création des centres urbains. Selon la planification faite par la CMNP, des noyaux urbains majeurs ont été créés, séparés d’environ 100 km les un des autres ; entre ces noyaux urbains, de petites villes étaient fondées. Ce n’est qu’au début des années 1950 que des villes comme Londrina, Maringá, et Umuarama ont été bâties.

En raison de la récupération économique de la caféiculture dans les années 1950, l’intérêt pour les terres situées plus à l’ouest a augmenté. Ainsi, la forêt a cédé devant les labours, la caféiculture a avancé dans la vallée de l’Ivaí et de nouveaux noyaux urbains ont été créés. Dans la moyenne vallée de l’Ivaí, près de la ville de Campo Mourão, les fronts d’occupation de la caféiculture, venu du nord, et de l’élevage de bétail, venu du sud, se sont rencontrés. C’est pour cette raison que l’économie de cette région est des plus diversifiées (SERRA, 1992).

Figure 40. La dynamique d’occupation du territoire du Paraná dans la première moitié du XX
Figure 40. La dynamique d’occupation du territoire du Paraná dans la première moitié du XXe siècle.

Les années 1960 ont été marquées par de fortes restructurations dans le pays. La capitale a été déplacée à Brasília afin de promouvoir l’intégration du territoire national ; les militaires ont pris le pouvoir en 1964  et l’économie a été réorganisée pour développer l’industrie de base. En ce qui concerne la caféiculture, en 1962 les plants de café non productifs ont été détruits et des politiques de protection économique des producteurs ont été mis en place pour augmenter les prix de vente à l’étranger. Au Brésil, des politiques d’incitation à la consommation du café ont été créées. Dans le Paraná, la caféiculture s’est étendue et cet état est devenu le premier producteur de café du pays, dépassant l’Etat de São Paulo. Avec le soutien du gouvernement, la caféiculture a conforté sa place de produit agricole le plus important du pays. Néanmoins, les producteurs de café ont eu quelques problèmes inattendus avec les gels. En 1964, un fort gel a touché le sud du pays ; en 1969 un très fort gel a affecté le Paraná, détruisant environ 80 % de la récolte de l’année suivante (CIC, 2007).

Dans les années 1970, le Brésil a connu une période de très forte croissance, jamais vue précédemment, résultat des politiques économiques instaurées à la fin des années 1960. Cette période est connue comme celle du « miracle économique ». Le gouvernement militaire faisait de gros investissements dans les infrastructures. En ce qui concerne l’agriculture, le soja arrivait au Brésil avec la promesse d’être une culture des plus rentables. Beaucoup d’agriculteurs ont tout abandonné et migré vers l’ouest du pays, pour y travailler le soja. Ceci, conjointement avec la modernisation des techniques de production, a mis au chômage une fraction considérable de la population rurale brésilienne. En conséquence, les centres urbains ont connu une croissance démographique inattendue et les bidonvilles se sont multipliés autour des grandes villes.

L’année 1975 marque une rupture dans l’histoire de l’occupation du bassin versant de l’Ivaí. Au mois de juin, un très fort gel touche le sud du Brésil et la presque totalité des champs de café du Paraná est détruite. L’étendue des dégâts provoqués par le gel n’est enregistrée que l’année suivante (Figure 41). En 1976, la production de café au Brésil a chuté de 1 380 000 tonnes à environ 558 000 tonnes (CIC, 2007). Avant le gel de 1975, les agriculteurs se partageaient entre la production de café et la culture du soja ; après le gel, les caféiculteurs ont tout perdu. Ceux qui ont encore de l’argent se tournent vers le soja, tandis que ceux qui n’en ont plus ont vendu leurs terres migrent vers les centres urbains proches ou vers les autres états du pays. Dans la deuxième moitié des années 1970, le paysage du nord-ouest du Paraná a de ce fait brusquement changé. Le café a laissé la place aux cultures commerciales, de sorte qu’à la fin des années 1970, l’Etat du Paraná est déjà le plus grand producteur de blé et un des plus grands producteurs de soja du pays. La canne au sucre commence aussi à occuper le nord-ouest du Paraná, principalement sur le grès Caiuá, dans les régions de sols plus sableux, où le soja et le blé ne réussissent pas bien.

Figure 41. Production de café au Brésil, entre 1975 et 2005. On observe la chute de production résultant du gel de 1975. Source : CIC, 2007.
Figure 41. Production de café au Brésil, entre 1975 et 2005. On observe la chute de production résultant du gel de 1975. Source : CIC, 2007.

En raison de la crise internationale du pétrole des années 1970, une nouvelle politique énergétique a été instituée par le gouvernement brésilien. Cette politique se basait sur la substitution l’alcool aux carburants dérivés du pétrole. La monoculture de la canne au sucre a dès lors pris une importance stratégique, l’augmentation des surfaces étant stimulée par l’Etat, ce qui explique l’arrivée et l’expansion de la canne au sucre dans le nord-ouest du Paraná. Outre la canne à sucre, les sols sableux du grès Caiuá ont été utilisés aussi pour des pâturages destinés à l’élevage du bétail. La combinaison de ces deux activités a déterminé la physionomie du paysage de cette région.

Au cours des années 1980, le paysage du nord-ouest du Paraná a changé en fonction des prix du soja, du blé et du maïs sur le marché international. L’utilisation des techniques de correction des sols, de contrôle de l’érosion et le développement de nouvelles techniques de production ont augmenté la productivité des terres cultivées. Au début des années 1990, ces nouvelles techniques ont permis l’expansion du soja sur les sols gréseux, ce qui a donné une nouvelle impulsion aux centres urbains de ces régions (Figure 42).

Figure 42. Schéma de l’usage du sol actuel dans le territoire du Paraná.
Figure 42. Schéma de l’usage du sol actuel dans le territoire du Paraná.
Notes
6.

Ancienne CTP – Companhia de Terras do Paraná (Compagnie de Terres du Paraná).