3.1.3 L’analyse de la « forme » 

À partir de la connaissance linguistique moderne, Cohen détermine la réalisation d’une analyse de la structure du langage poétique. Il appréhende le poème comme une structure linguistique et applique à la langue du poème les méthodes linguistiques en distinguant le signifié et le signifiant – en se référant à Saussure – ou bien l’expression et le contenu – en se référant à Hjelmslev. Selon le niveau de l’expression et du contenu, il définit la forme comme étant « l’ensemble des relations liées avec chaque élément à l’intérieur de la trame ».

C’est l’ensemble des relations qui permet à n’importe quel élément d’exercer sa fonction. De ce fait, la forme du contenu est la matière elle-même comme elle est construite par l’expression. Il s’agit de tout mot qui ne prend sa signification qu’au sein de relations d’opposition avec les autres mots de la langue. Quant à la matière du contenu, il s’agit de la réalité rationnelle ou de l’anthologie. En effet, tandis que la poétique traditionnelle traite de la différence entre la poésie et la prose du point de vue de la matière, Cohen estime, en se fondant sur la distinction précitée de Hjelmslev, que sa théorie sera axée sur la différence entre la poésie et la prose du point de vue de la forme et non de la matière, c’est-à-dire à travers la création linguistique et non à travers les conceptions et les idées qu’exprime cette création 23. À la lumière de la notion de la forme qu’il détermine, selon laquelle elle est « la relation qui regroupe les mots » et « la matière qui constitue elle-même les mots », il explique les catégories des formes rhétoriques comme étant « des formes de création », des formes d’utilisation. Ces formes de création sont des formes créées par des artistes et des poètes à travers la matérialisation de nouveaux mots dans des formes anciennes24. Quant aux « formes d’utilisation » elles sont des formes déjà utilisées par les poètes. Lorsque la forme est utilisée de nouveau, elle se retrouve au niveau d’utilisation. En effet, les paroles disponibles auparavant, la généralisation de leur utilisation ainsi que leur compréhension, tout cela est devenu courant. Ainsi l’écart est réduit à néant et l’effet stylistique disparaît également.

La théorie de l’écart se manifeste dans une différence méthodique de la règle de la langue25, puisque chaque forme se distingue par son incompatibilité avec l’une des bases qui composent cette règle. Il reste que, dans le langage de la poésie, l’écart ne suffit pas et il est indispensable qu’il y ait une aptitude quant à sa reconstruction sur un niveau plus élevé. La poésie ne détruit la langue normale que pour la reconstruire dans la mesure où le manque est causé par la forme rhétorique.

Cohen traite le premieraspect qui concerne les écarts sans aborder le deuxième aspect en sa qualité de résultat. De ce fait, en vertu de la théorie de l’écart, la poésie n’est pas une prose à laquelle on a ajouté quelque chose, mais elle est le contraire de la prose. Au vu de ce qui précède, elle apparaît soit comme étant négative soit comme étant une forme de maladie de la langue 26. Quant à la poétique, elle est la définition d’une épithète par la voie de la recherche des règles linguistiques, qui considèrent toute modification comme une atteinte envers elles. Et, dans la mesure où la mission de la poétique est l’étude des conceptions linguistiques exceptionnelles ou différentes, elle est en mesure de fournir une bonne compréhension de la façon dont travaille la langue normale.

L’analyse de la forme par Cohen est répartie en fonction des niveaux et des fonctions. En effet, les formes rhétoriques ne peuvent être que des constatations implicites et particulières qui se distinguent d’après le niveau et la fonction linguistique à travers laquelle se réalise cet élément. Dans ce contexte, la rime devient un élément phonétique en comparaison avec la métaphore, qui est un élément significatif. Elle correspond à l’intérieur de son niveau spécifique au paradigme en sa qualité d’élément distinctif, alors que le paradigme représente un élément d’homonymie. En revanche, dans le niveau significatif, la métaphore, qui est un élément d’attribut, correspond à l’épithète, étant lui-même un élément de définition.

Notes
23.

Voir Hassan NāÛim, Mafāhīm ’a šši c riyyah, p. 112.

24.

Voir MoÎammad El-waliyy et MoÎammad El- cAmriyy, Binyat ’allu È ah ’a š-š i c riyyah, pp. 42, 43.

25.

Ibid., p. 49. Voir aussi Hassan NāÛim, Mafāhīm ’a šši c riyyah, p. 115.

26.

Voir MoÎammad El-waliyy et MoÎammad El- cAmriyy, Binyat ’allu È ah ’a š-š i c riyyah, p. 92.