3. Le mot et le terme

Pour Rastier62 le mot est une unité linguistique ayant un seul sens. Un mot devient un terme par quatre opérations concomitantes :

- La nominalisation.

- La lemmatisation.

- La décontextualisation.

- Enfin, et cette dernière opération couronne le processus, la constitution du mot en type, et l’affirmation corrélative que toutes ses occurrences sont subsumées sous ce type et que celles qui ne le sont point témoignent d’un emploi incorrect. La définition est le moyen principal de cette constitution en type.

La conception traditionnelle de la terminologie établit la distinction entre le mot et le terme. En effet, chacun d’eux possède un signe ayant une fonction distincte dans la communication. Le mot est un signe linguistique qui se compose d’un signifiant et d’un signifié. En outre, il est indispensable pour le mot de posséder un taux considérable de fluidité afin de satisfaire les besoins du contexte. Quant au terme, il est un signe à l’intérieur d’un système de concepts. Filbert l’explique en affirmant, d’après ce qu’a rapporté MuÎammad Íilmī Hulayyil : "Chacun des termes et des concepts a une existence en soi, dans la mesure où le fait que le terme se limite à un concept n’est qu’une opération préétablie. Le terme possède un seul ou plusieurs sens et, sur la base de son sens précis, il appartient à un système précis de concepts. Ce sens reste collé à lui même s’il est utilisé en dehors du système."63

"إن كُلاًّ من المصطلحات والتصورات له وجود قائم بذاته إذ أن قصر مصطلح على تصور ما هو إلا عملية مقررة سلفًا. فللمصطلح معنى واحد أو أكثر (ملحق بتصور واحد أو أكثر) واعتمادًا على ما للمصطلح من معنى محدد يتم إلحاقه بنظام محدد من التصورات ويظل هذا المعنى المحدد لصيقًا به حتى وإن استخدم خارج النظام".

De ce fait, le mot s’appuie, dans une large mesure, du point de vue de son sens sur le contexte dans lequel il est cité, alors que le terme s’appuie de façon principale sur le système de concepts auquel il appartient.

D’après la théorie terminologique traditionnelle, la distinction entre le mot et le terme semble figée. Il se peut que l’absence de texte dans la théorie terminologique traditionnelle soit l’une des causes importantes qui ont poussé à la distinction entre ce qui est secondaire et essentiel, entre le mot, fondé sur l’ambiguïté et la diversité des significations et les termes, reposant sur la clarté de la référence et sur l’unicité de la relation entre le nom et la référence à laquelle il est attribué, en comparaison avec les tendances modernes dans la science de la terminologie qui l’étudient sous un angle nouveau. Outre l’étude traditionnelle de la terminologie indépendamment de tout contexte linguistique et en tant qu’outil de classification dont le but est de servir de structure de connaissance, il faut ajouter une nouvelle étude qui traite des terminologies et des éléments discursifs dans l’opération de communication64.

D’un point de vue pragmatique, les termes et les mots se distinguent selon leur emploi dans un discours. Sager le précise :

« Terme et mot sont mis en rapport selon trois critères : la signification, le mode de désignation et la fonction. Les mots ont une signification "limitée par celle des autres mots avec lesquels ils sont combinés dans le discours" et " il n’y a pas de cadre de référence extérieur pour aider les locuteurs à faire la différence entre les différentes significations des mots". "Les mots sont créés des manière arbitraire". »65

Par ailleurs, les mots peuvent receler des différences très subtiles. C’est pour celad’ailleurs, qu’ils s’appuient dans une large mesure sur le contexte.

Quant au sens du terme, il est déterminé par le système de connaissance auquel il appartient. Il est créé de façon délibérée et pour une fonction particulière, à savoir la contribution à la transmission des informations ou des connaissances66.

En ce qui concerne le critère de fonctionnalité, les termes restent tributaires d’une référence particulière qui leur donne une signification. Par conséquent, la fonction des termes se détermine à travers la transmission des connaissances. Quant aux mots, ils ont pour fonction d’exprimer ce qui est incohérent au niveau technique ou ce qui n’est pas nécessaire d’être compris ou exprimé avec précision. Les mots servent à faire découvrir de nouveaux horizons à la connaissance, dans la mesure où la référence n’est pas définie de façon précise.

Ces deux points de divergence représentent la nature de la terminologie et le mouvement perpétuel qui existe entre les termes et les mots. En effet, comme nous l’avons mentionné plus haut, les mots sont utilisés généralement pour exprimer des concepts nouveaux ou des termes susceptibles de perdre leur référence particulière67. Du point de vue de Sapir (1970), la langue « est référentielle et systématique, elle est une création volontaire et un produit social. Ces caractéristiques se traduisent dans le lexique par la distinction entre termes et mots. Selon le discours utilisé en fonction de la situation de communication, certaines de ces caractéristiques fondamentales seront plus importantes alors que d’autres seront moins importantes. » 68

Il y a lieu de préciser ici que lorsque le locuteur utilise les termes pour distinguer les épreuves et les éléments de connaissance cognitive et les organiser, le système qu’il utilise pour déterminer la réalité de la chose s’appuie sur les buts qu’il s’est assigné pour lui-même ainsi que sur l’infrastructure de la langue composée de l’ensemble linguistique qui organise le fait réel visé.

Lorsque ce fait réel est exprimé dans une forme linguistique, la langue utilisée implique l’existence d’un système particulier de dénomination. En revanche, au niveau du discours, lorsque l’interlocuteur emploie un concept quelconque dans une position de communication, il prend en considération, en sa qualité de récepteur, sa situation de connaissance susceptible de le rendre apte à connaître l’unité lexicale spécialisée et ses références particulières, dans un domaine précis, et à la comprendre. C’est ici que le locuteur et le spécialiste dans le domaine de la connaissance discursive commencent à adapter leur discours en choisissant les mots et les termes qui conviennent au niveau de connaissance supposé de l’interlocuteur, de même que le recours à l’utilisation de phrases expliquées, d’expressions interprétées ou de définitions clarifiantes pour appréhender les concepts inconnus ou nouveaux dans divers domaines ou pour attester de la présence d’éléments terminologiques nouveaux dans le discours69.

La vision moderne de la terminologie considère que les limites entre le terme et le mot sont inconsistantes, dans la mesure où les termes ne sont qu’un groupe fonctionnel des éléments lexicaux qui sont si semblables aux mots par leur forme qu’il est possible à un non-spécialiste de considérer un terme quelconque qu’il croyait spécialisé, comme un mot dans la langue générale. En contrepartie, il est possible pour un spécialiste d’utiliser un « concept » que la majorité des non-spécialistes considère comme un mot dans la langue générale. Ces raisons expliquent la mauvaise compréhension et la confusion qui ont cours dans le discours chez la majorité de ceux qui ne possèdent pas un degré suffisant de connaissance dans un domaine précis. Juan C. Sager résume cette idée dans un passage de son article :

‘« Comme les termes ne sont qu’une classe fonctionnelle des unités lexicales et qu’ils ont souvent la même forme que les mots, il arrive qu’un non-spécialiste prenne pour un terme ce qu’un spécialiste considère comme un mot de la langue générale. De même, il peut arriver qu’un spécialiste utilise un terme qu'un public non spécialisé prendra pour un mot de la langue générale. Ces raisons expliquent les malentendus et les confusions qui se produisent dans le discours, quand les locuteurs n’ont pas la même connaissance du domaine considère, ni de son vocabulaire. De nombreuses unités lexicales pourront même fonctionner à la fois comme des mots et comme des termes selon le choix et interprétation du locuteur et de son interlocuteur Ce risque d’ambiguïté pose un problème difficile au traducteur [car] la langue naturelle est le seul système de communication qui peut fonctionner comme sa propre métalangue car elle peut remplace des termes par des paraphrases constituées de mots ou d’un mélange de mots et de termes. »70

Un autre élément rapproche les mots et les termes. En effet, les domaines spécialisés offrent des moyens expressifs spécifiques à différents niveaux et permettent d’utiliser des mots de la langue générale et de les faire passer à l’intérieur des spécialités scientifiques et techniques.

L’observation des termes dans un domaine de communication ouvre à l’étude terminologique un autre horizon lorsque les termes se composent d’ensembles dynamiques placés dans une relation avec les mots au sein d’un discours. Le rôle assumé par les termes dans un discours peut dépasser le rôle qu’ils assument dans l’opération de classification des connaissances et de leur structure. Il en est ainsi de l’expression dans la langue générale, car c’est le texte qui fait d’elle une langue lorsqu’il donne à chaque concept sa valeur. Celle-ci ne s’inspire pas seulement du même élément mais de sa relation avec les autres éléments ainsi que de son dynamisme dans le texte. De plus, dans le cas où la terminologie est renvoyée à une seule référence – car il est indispensable pour la terminologie scientifique et technique, lorsqu’elle est présentée à son lecteur ou auditeur, de passer à travers les canaux de la langue générale qui lui servent d’intercesseurs – c’est elle qui lui offre ses outils et qui lui permet de s’insérer dans le discours71.

La séparation entre le terme et le mot, d’un point de vue moderne, dans la terminologie, n’est pas appliquée. Il est toutefois possible de la faire dans le discours, en partant du fait que la valeur du terme et sa fonction découlent de son intégration à l’intérieur du texte où il assume son rôle de connaissance dans la présentation de thèses scientifiques et dans l’attestation d’hypothèses.

De plus, à travers ce que nous avons vu dans son contexte au niveau théorique, nous essayerons d’étudier la référence à ces valeurs de connaissance dans l’étude pratique qui concerne la recherche de la terminologie, sa désignation et sa formation pour stabiliser son rôle dans le passage des idées et des méthodes critiques. Ce rôle implique l’illustration de la terminologie et son analyse à l’intérieur du discours critique structurel.

Jusqu’à quel niveau est-il possible d’évaluer le rôle de la terminologie dans la conception de la pensée structuraliste et du concept critique ? C’est ce que nous tenterons de rechercher et de démontrer dans les deuxième et troisième parties de cette étude.

Notes
62.
Cf. François Rastier, « Le terme : entre ontologie et linguistique », C.N.R.S. Texte publié dans La banque des mots, 1995, n°7, pp. 35-65. Voir aussi Robert Dubuc, Manuel pratique de terminologie, Linguatech éditeur, Brossard, Québec, 1992.
63.

Voir MoÎammed Íilmī Hulayl, ’al-Mu c Êam ’al-muÌtaÒÒ, Conférence au troisième colloque scientifique international organisé par l’association lexicale à Tunis les 17,18 et 19 avril 1993, pp. 141, 142.

64.

Cf. Juan C. Sager, « Pour une approche fonctionnelle de la terminologie », in Travaux du CRTT Le sens en terminologie, p. 45. Voir aussi Nabil Esber, La terminologie de la linguistique : problème de traduction, français-arabe, tome III, textes traduits, pp. 36-37, et MuÎammad Rašād El-Íamzāuī, ’al-Manha Ê iyyah ’al- c āmmah litar Ê amat ’al-mu ÒÔ ala Î āt wa taw Î īdihā, pp. 50-55.

65.

Voir Juan C. Sager, « Pour une approche fonctionnelle de la terminologie », in Travaux du CRTT Le sens en terminologie, p. 54. Voir aussi Chabridon, Jacky, Lerat, Pierre, « Terme et famille de termes ». La banque des mots, C.T.N. éditions CILF, Paris, N° 5/1993.

66.

Voir Hassan Hamzé, Í arakat ’al-mu ÒÔ ala Î fī ’al- Ì i Ô āb, Tunis du 25 au 27 novembre 2004. Sous presses. Voir aussi Jean C. Sager « Pour une approche fonctionnelle de la terminologie », in Travaux du CRTT Le sens en terminologie, p. 45.

67.

Cf. Manuel Celio, Concei Cao, Concepts, termes et reformulations, p. 49. Voir Juan C. Sager, « Pour une approche fonctionnelle de la terminologie », in Travaux du CRTT Le sens en terminologie, p. 46.

68.

Voir Juan C. Sager, « Pour une approche fonctionnelle de la terminologie », in Travaux du CRTT Le sens en terminologie, p. 46. Voir aussi Chukwu, Uzoma Everest, Le repérage des termes dans un corpus bilingue anglais/français, thèse de doctorat nouveau régime, Lyon 2, septembre 1993.

69.

Voir Juan C. Sager, « Pour une approche fonctionnelle de la terminologie », in Travaux du CRTT Le sens en terminologie, p. 54.

70.

Voir Juan C. Sager, « Pour une approche fonctionnelle de la terminologie », in Travaux du CRTT Le sens en terminologie, pp. 46-47.

71.

Ibid., p. 47. Voir aussi à ce sujet :

- Nabil Esber, La terminologie de la linguistique : problèmes de traduction, français-arabe, thèse de doctorat, pp. 64-65.

- Mathieu Guidère, « La créativité lexicale en arabe moderne : l’exemple de la traduction publicitaire », in Revue turjman, p. 109. Voir aussi à ce sujet MuÎammad Íilmī Hulayl, « ’al-MucÊam ’al-muÌtaÒÒ », in Revue du dictionnaire arabe spécialisé. Travaux du troisième colloque international scientifique 17, 18,19 avril 1993, pp. 143, 144.

- Tawfīq ’az-Zaydiyy, ’A × ar ’allisāniyyat fī ’annaqd ’al- c arabiyy ’al- Î adī ×, p. 173.

- ÑalāÎ FaÃl, Na Û ariyyat ’al-binā’iyyah fin-naqdi-l-’adabiyy, p. 117.

- MuÎammed Rašād El-Íamzāwī, ’al-Manha Ê iyyah ’al- c āmmah litar Ê amat ’al-mu ÒÔ ala Î āt wa taw Î īdihā, p. 47.

- YaÎyā YacÔīš, « NaÎwa ’istrātīÊiyyah liÎalli ’iškāliyyat ’al-muÒÔalaΠ», in Revue ’al-Mutar Êim, N° 3, 2001, p. 45.

- Hassan NāÛim, Mafāhīm ’a šš c riyyah, p. 11.

- Éamīl Ñulībā, ’al-Mu c Ê am ’al-falsafiyy lil’alfā Û ’al- c arabiyyah wa-l-faransiyyah wa-l-’ingil ī ziyyah, vol. 1, pp. 8-9.