Chapitre II. TIC et leur rôle dans le système éducatif iranien

1-Iran

L’Iran est sans doute l’un des plus vieux États-nation du monde, dont l’histoire écrite remonte à plus de 2500 ans lorsque Cyrus, roi des Perses, unit, en 550 avant J-C, son royaume à celui des Mèdes, puis s’empara de Babylone et de la Lydie pour constituer l’un des premiers grands empires. Celui-ci connut ensuite une histoire turbulente, où les dynasties se succédèrent au gré des invasions grecques, romaines, barbares, jusqu’à l’avènement, quelque deux siècles avant J-C, de l’empire sassanide, qui dura jusqu’à l’invasion arabe à partir de 637, entraînant la conversion de la Perse à l’islam. Les invasions mongoles, turques, se poursuivirent jusqu’à l’avènement de la dynastie séfévide de Schah Ismaël qui, au XVIe siècle, choisit, pour la Perse, le chiisme comme religion d’État. La prise d’Isfahan par les Afghans en 1722 ouvrit alors une nouvelle période d’anarchie jusqu’à l’avènement, à la fin du XVIIIe siècle, de la tribu turque des Kadjar, qui unifia et gouverna le pays jusqu’en 1921.

Ces données sont la base de cette forte identité de l’Iran qui, pour certains, peut s’expliquer par sa situation marginale et paradoxale : " musulman mais chiite, sous-développé mais riche en pétrole, dominé par les grandes puissances mais jamais colonisé, despotique mais parcouru par tous les courants de pensée, peuplé de Persans, mais aussi de Turcs Azéris, de Kurdes, d’Arabes, de Lors, de Baloutches et de Turkmènes. Entre les mondes arabe, indien, turc et européen, la Perse forme un ensemble ethnique hétérogène mais bien distinct, qui a toujours revendiqué sa différence et réussi à conserver, sinon sa liberté, du moins une indépendance formelle » (Digard, 1998).

La population actuelle iranienne, forte de 75 millions d’âmes, est composée de plusieurs peuples. La plupart des Kurdes, des Baloutches et des Turkmènes possédant leur propre langue et leur culture, sont de confession sunnite. Ils appartiennent dès lors à la fois à une communauté ethnique et à une communauté religieuse. L’identité ethnique dominante est clairement celle des Perses. Les dirigeants iraniens surtout depuis la dynastie pahlavi, ont adopté et promu la langue et la culture persanes, de sorte que le persan est la seule langue officielle et de l’enseignement dans le pays.

De façon générale, les Occidentaux semblent mal connaître l’Iran, car ils le considèrent souvent comme « un pays arabe ». Certes, l’Iran est un pays musulman du Proche-Orient dont l’écriture est fondée sur l’alphabet arabe (plus précisément arabo-persan). Toutefois, là s’arrêtent les ressemblances, car les iraniens sont d’origine indo-européenne.

De plus, l’étude leur langue principale, le farsi (du nom de la province du Fârs au centre du pays), paraît particulièrement éclairante pour comprendre l’ensemble des langues indo-européennes, puisque l’Iran est situé à la rencontre géographique des langues européennes et des langues indo-iraniens. Le farsi est aussi appelé persan (mais dari en Afghanistan et tadjik au Tadjikistan), car Fârs et Pars (Perse) proviennent du même mot, le [f] de Fârs et le [p] de Pars étant phonétiquement très proches. Mais comme le [p] existe en farsi et pas en arabe, il paraît probable que la prononciation Fars soit une altération arabe de Pars ; c’est le la prononciation du [f] qui a fini par s’imposer aux Iraniens.

Carte (1-2), Carte de l’Iran
Carte (1-2), Carte de l’Iran

Les frontières de l’Iran sont peuplées de nombreuses minorités ethniques dont la répartition territoriale est souvent commune avec les États voisins (Arménie, Azerbaïdjan, Turkménistan, Afghanistan, Pakistan, Irak et Turquie). Parmi les groupes linguistiques minoritaires importants, il faut mentionner les Azéris (20 %) et les Louris (6,6 %) au nord, les Kurdes (9 %) à l’ouest, les Arabes (2,1 %) au sud-ouest, les Turkmènes (1,5 %) au nord-est, les Baloutches (1,3 %) au sud-est. On compte aussi une vingtaine de petits groupes dont plusieurs sont en voie d’extinction : takestani, arménien, pashtou, talish, domari, assyrien, géorgien, kazakh, etc. Le kurde, le luri, le baloutchi, le takestani, le pashtou, le talish et le domari appartiennent au groupe indo-iranien. Mais les Azéris et les Turkmènes parlent une langue turque de la famille altaïque (transcrite avec l’alphabet arabe en Iran, mais cyrillique en Azerbaïdjan et en Turkménistan), alors que les Arabes et les Assyriens parlent des langues chamito-sémitiques.

Évidemment, comme la quasi-totalité des Iraniens est de confession musulmane (97 %), bien des Occidentaux croient que les Iraniens sont arabophones et confondent ainsi la religion musulmane et la langue arabe. Or, les musulmans ne sont pas tous arabophones. La grande majorité des Iraniens est composéede musulmans chiites (80 %). L’Iran abrite plusieurs minorités religieuses dont 20 % de musulmans sunnites, quelques petites communautés de chrétiens et de juifs, puis des minorités bahaïs (300 000 personnes) et zoroastriennes (30 000 personnes).

Depuis 1979, la société iranienne a connu de profonds changements qui ne se sont pas nécessairement dus à la Révolution mais qui se sont produits, voire accélérés, durant les vingt dernières années. La modernisation de cette société est un élément prioritaire de ces mutations. Comme le relève Olivier Roy, la révolution a accompagné, voire accéléré cette modernisation. La société iranienne s’est d’abord largement urbanisée. En 1975, sur quelques 33,7 millions d’habitants, 47 % des Iraniens vivaient dans des villes de plus de 100 000 habitants. Lors du dernier recensement, en 1996, sur une population totale de plus de 60 millions, 61 % résidaient dans les villes, et Téhéran est passée, en vingt ans, de 4,5 millions à plus de 10 millions d’habitants aujourd’hui.

Cette urbanisation de la société iranienne est le corollaire d’une expansion démographique exceptionnelle qui voit le pays compter aujourd’hui, par-delà les statistiques officielles, en fait près de 75 millions d’habitants en 2007, contre quelque 35 millions en 1979, soit un quasi-doublement en vingt ans. Il en résulte une population majoritairement jeune : les deux tiers des Iraniens ont moins de trente ans, n’ont pas ou peu connu, en tant qu’adultes, la période du Shah ou les débuts de la Révolution et, a fortiori, se sentent étrangers aux combats idéologiques et politiques de la période révolutionnaire des années 1979-1980, voire à la guerre Iran/Irak. La société iranienne contemporaine est donc jeune, bien éduquée et majoritairement citadine. Elle est également ainsi devenue plus homogène, en gommant les discriminations antérieures entre homme et femmes ou entre villes et campagnes. De ce dernier point de vue, la modernisation des infrastructures –électrification, constructions routières– a contribué à cette homogénéisation de la société (Villepin et Dulait, 2000).