4.2.2. La théorie des flux culturels

Contrairement à la théorie de l’impérialisme culturel, selon laquelle l’influence culturelle provient des civilisations occidentales et s’étend vers des récepteurs, les pays non occidentaux, moins développés et placés en périphérie, la théorie des flux culturels ou modèle en réseau implique un processus de transmission dans lequel les influences n’ont pas nécessairement la même origine ni la même orientation. On peut être à la fois récepteur et initiateur. Selon ce modèle, la mondialisation culturelle correspond à un réseau dont le centre et la périphérie ne sont pas clairement définis. La mondialisation comme regroupement de flux et de réseaux culturels est un processus moins cohérent et moins unitaire que l’impérialisme culturel, un processus où les influences culturelles vont dans de nombreuses directions. Les effets de ces flux culturels (les médias, la technologie, les idéologies et les origines ethniques) sur les pays récepteurs tendent davantage vers l’hybridation culturelle que vers l’homogénéisation.

En fait, deux tendances s’opposent dans le phénomène de la mondialisation de la culture. D’un côté, les conglomérats médiatiques internationaux étendent leur influence dominante sur certains types de culture à l’échelle mondiale. De l’autre, l’importance grandissante des zones géographiques en tant que producteurs et marchés pour leurs propres médias vient appuyer la thèse du modèle en réseau de la mondialisation de la culture. Les régions présentent des sous-réseaux de connexions plus denses à l’intérieur du réseau mondial mais ils sont en même temps liés moins fortement aux autres secteurs. Nederveen Pieterse (1995: 50) soutient qu’en termes de structure, la mondialisation signifie l’augmentation des modes d’organisation accessibles : transnational, international, « macro régional », national, « micro régional », municipal, local.

Le nombre de producteurs de contenu médiatique ainsi que le nombre d’autres pays producteurs de ces contenus augmentent de façon constante, ce qui contribue à la diversification de la culture mondiale. L’impact des cultures occidentales à l’échelle mondiale est contrebalancé par le développement des cultures régionales à l’intérieur des cultures mondiales. Certains chercheurs soutiennent que le monde de la télévision n’est pas tant mondial que régional, composé de plusieurs régions distinctes dans lesquelles circule la programmation télévisée. Les cultures régionales représentent des communautés qui partagent le même langage et une même culture. Chaque grande région, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Amérique latine, est dominée par un ou deux pays qui sont des centres de production audiovisuelle comme le Mexique et le Brésil pour l’Amérique latine, Hong Kong et Taiwan pour l’Asie chinoise, l’Inde pour l’Asie indienne et une partie de l’Afrique orientale. Un marché francophone relie la France à ses anciennes colonies et un marché arabe relie entre eux les pays d’expression arabe. De moins en moins chère et de plus en plus flexible, la technologie a entraîné une expansion de la production télévisée dans ces pays. Quelques pays en développement, par exemple, le Brésil, l’Égypte, l’Inde, le Mexique sont devenus exportateurs de cinéma et de programmes télévisés.

Chaque région s’inscrit dans une dynamique particulière. La télévision mexicaine profite de l’existence d’une grande population d’expression espagnole aux États-Unis, laquelle représente un marché lucratif pour sa programmation. Le genre le plus populaire en Amérique latine est le telenovela, produit dans plusieurs pays dont le Brésil, la Colombie, le Mexique et le Venezuela, genre qui attire plus de téléspectateurs dans cette région que les feuilletons américains. Le principal réseau de télévision brésilien exporte ses telenovelas dans plus de 100 pays.

En plus d’un auditoire sur son territoire, chaque région compte un auditoire extérieur, composé généralement de migrants en provenance de cette région qui résident ailleurs mais restent fidèles à la culture disséminée hors de leur région d’origine. Les grandes entreprises régionales diffusent leurs produits tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur région. En Inde par exemple, Zee TV prétend être le plus important réseau de télévision asiatique au monde, couvrant l’Asie, l’Europe, les États-Unis et l’Afrique, avec comme clientèle les 24 millions d’auditeurs de la diaspora indienne qui vivent en dehors de la région tout enconservant leurs liens culturels et linguistiques avec le sous-continent.

Ainsi, Straubhaar (1991 : 55)soutient que les industries de la télévision dans les pays en développement passent de la simple dépendance à l’industrie américaine à une interdépendance plus grande, quoique asymétrique. Les marchés régionaux se développent et augmentent l’interdépendance du marché mondial de la télévision. Les pays d’Amérique latine qui importent les séries télévisées d’Asie aussi bien que des États-Unis en sont un bon exemple. Dans les pays d’Europe également, la télévision est de plus en plus régionale(Mcanany et Wilkinson, 1992). Selon Straubhaar, bien que les États-Unis dominent encore les ventes et les flux médiatiques mondiaux, la position relativement plus interdépendante des industries culturelles nationales et régionales sur le marché mondial de la télévision s’est consolidée (Straubhaar, 1991).