4.3. Les défis de la modernité occidentale dans les pays non-modernes comme l’Iran et l’Inde

Tout d’abord, on pense communément que la mondialisation implique l’homogénéisation culturelle. Toutes les nations –sauf peut-être les États-Unis– s’en inquiètent et prennent des mesures de protectionnisme culturel. L’Inde a entravé la vente du Coca-Cola. Le Brésil et la Corée du Sud, l’Iran exigent que leurs cinémas donnent la priorité aux films nationaux. Les autres pays en voie de développement dépensent chaque année des fonds pour préserver leur culture. En réalité, comme Ata Hoodashtian l’a démontré, l’ouverture à l’Occident moderne produisit des contacts extrêmement riches avec les cultures de différents pays historiquement non modernes. Le monde théologico-poético-mythique d’Asie est étranger à l’émergence technico-scientifique de l’Occident. Autrement dit, « Modernité » est un terme récent dans la culture occidentale. La modernité s’oppose à ce qu’on peut appeler « la tradition », attachée au passé, liée à une conception cyclique du temps. En termes plus généraux, on peut dire que la modernité a deux acceptions conceptuelles distinctes : d’aborde est une notion esthétique et littéraire, et ensuite ’est une « phase de l’histoire de la civilisation occidentale, résultat du progrès scientifique et technique.». La philosophie désigne comme « modernité », ce que l’histoire a appelé les « Temps Modernes ». Ainsi la modernité symbole de la civilisation occidentale s’identifie à son élément le plus décisif, le plus constitutif, c’est-à-dire, la « subjectivité ».

L’œuvre de la subjectivité moderne, élément fondateur et sous-jacent, a fait de l’Occident un continent philosophico-scientifique, un espace de production et de reproduction économique, avec une technologie toujours en avance et finalement une collectivité sociopolitique de multi-discours. Ces éléments constituent l’espace occidental face auquel se trouve l’Orient. La modernité est née en Occident et, dans sa constitution première et conceptuelle, elle parait typiquement européenne. Elle est dans une notion culturelle, géographique et historique. Malgré certaines diversités entre les pays les plus engagés dans la constitution des Temps Modernes, comme l’Italie, la France, l’Angleterre et l’Allemagne, une certaine homogénéité intérieure caractérise cette époque.

L’Asie semble être une notion plutôt géographique, mais l’Orient fait référence à un espace culturel, à une âme ou à une manière d’être. Nous n’avons pas une telle distinction en Occident. Par l’Orient, nous entendons trois grands foyers : la Chine et les civilisations bouddhistes, l’Inde et l’Islam et l’Iran. Mais, de la même manière que la modernité constitue un tout et représente une homogénéité intérieure, on peut constater, avec Shayegan, philosophe contemporain iranien, qu’il existe une certaine homogénéité de vision entre les civilisations asiatiques. Face à la modernité, ces trois grandes civilisations : la Chine, l’Inde et l’Islam sont désormais des civilisations traditionnelles. En dépit d’énormes différences, on peut dire, avec D. Shayegan, qu’elles sont dans une « même constellation, gravitant autour d’un centre invisible » (Shayegan : « qu’est qu’une révolution religieuse » p.31) Ces traits communs caractérisent, comme note Shayegan « une homogénéité structurelle de l’expérience métaphysique ». Partout en Asie, l’homme possède ce rôle intermédiaire. Il s’agit donc d’une « communauté d’optique spirituelle qui fait en sorte que tout s’ordonne à partir du soleil invisible ». L’Asie, avec ses diversités, constitue une identité métaphysique commune et homogène.

Dans ce sens, lamondialisation nous semble être irréductible à un mouvement économique. Marqué de l’esprit du Faust de Goethe animé par le « principe de la vie » : la révolte et l’effort permanent, il s’agit d’une « extériorisation » de la modernité, dans le sens le plus large du terme. Nous l’appelons la « mondialisation de la modernité ». Elle signifie la pénétration de l’Occident dans l’espace culturel, politique et économique des pays historiquement non modernes, faisant entrer ces derniers dans le processus de « la crise d’identité ». Signe d’une situation conflictuelle, celle-ci s’inscrit dans le registre d’une résistance consciente ou inconsciente, face à l’invasion des effets de la modernité occidentale. La crise d’identité souligne que la culture des pays en question n’est pas prête à se donner aisément aux exigences du phénomène pénétrant, porteur du changement, venant du dehors de son histoire, qui est considérée comme « traditionnelle ». Contrairement à ce que proposent certains, nous pensons que cette crise signe la vivacité culturelle et l’agilité permanente des pays non modernes ; c’est elle qui expliquerait, entre autres, la vive attention des Occidentaux à l’Orient.