5.2.1. À l’ère de la mondialisation de la culture : les TIC contre les pays en voie de développement

Les nouvelles technologies de la communication et de l’information apparaissent comme un moyen indispensable pour compléter et renforcer les systèmes éducatifs traditionnels des pays en voie de développement. Mais un grand problème lié à leur développement dans les systèmes éducatifs se pose : celui des choix politiques et culturels pour y accéder. En fait comme Dominique Wolton (2003 :18) l’a montré la mondialisation de l’information n’est que le reflet de l’occident, lié à un certain modèle politique et culturel. Il n’y a pas d’équivalence entre le Nord et le Sud : la diversité des cultures modifie radicalement les conditions de réception. Si les techniques sont les mêmes, les hommes d’un bout à l’autre de la planète ne sont pas intéressés par les même choses, ne font pas le même usage des informations. L’abondance d’informations ne simplifie rien mais complique tout.

Cette mondialisation de la communication a connu trois étapes. La première est liée à la conquête du territoire entre le XVIe et le XVIIIe siècles ; la deuxième étape, du XVIIIe au XXe siècle, a été celle de l’exploitation physique du monde sur un mode qui présupposait que ce monde était « infini ». La troisième étape – celle que nous vivons– nous place devant le fait que le monde est fini, fragile et que les problèmes de cohabitation entre peuples et cultures sont désormais prédominants. Pour comprendre l’importance de la dimension culturelle dans la communication, il faut revenir aux caractéristiques mêmes de la communication. Celle-ci comporte trois dimensions : la technique, la politique et les conditions socioculturelles. Si les deux premières dimensions évoluent vite et finalement en parallèle, la troisième est la plus compliquée et la plus lente à se mettre en place. Les individus modifient moins vite leur manière de communiquer qu’ils ne changent d’outils. Pour qu’il y ait une « révolution » dans la communication, il faut qu’il y ait une rupture à chacun des trois niveaux. Cette rupture existe aujourd’hui aux niveaux technique et économique, mais il manque encore la troisième dimension, la plus importante. Les techniques et les réseaux ne suffisent pas à accroître l’intercompréhension- c’est même l’inverse qui se produit.

Donc, lorsqu’on réfléchit au rôle des TIC dans les systèmes éducatifs des pays en voie de développement, on constate qu’elles font évoluer non seulement la forme d’éducation et son fonctionnement, mais qu’elles changent également la culture et la société dont l’éducation fait partie. En fait, l’arrivée des TIC dans les systèmes éducatifs des pays en voie de développement se manifeste par le changement culturel. Elles ouvrent à chacun de nouveaux champs de réactions et surtout aux gouvernements des pays les moins avancés. Cette modification du domaine éducatif ne se limite pas à lui, mais touche tous les niveaux de la vie sociale, culturelle et économique.

Comme Benjamin William Mkapa l’a constaté, la révolution de l’information a également affecté les cultures et les valeurs sociales. Ce type de changements est cependant difficile à quantifier et à documenter. L’impact de la révolution de l’information sur les cultures et les valeurs locales à travers le monde est un sujet controversé. L’écrasante domination de la culture et des valeurs des États-Unis, et d’autres pays occidentaux, sur l’industrie mondiale des médias et des loisirs préoccupe beaucoup de personnes qui craignent que l’exposition permanente à des représentations des modes de vie et des modèles occidentaux n’entraîne des tensions susceptibles de créer des divisions tant sur le plan culturel que sur le plan social (William Mkapa, 2004).

À l’heure de la mondialisation et de l’émergence d’un nouveau libéralisme, c’est le propriétaire du capital qui domine la sphère politique, sociale et culturelle. grâce aux technologies, elle dicte les normes et les valeurs. À l’ère de la mondialisation, l’influence du libéralisme ne s’arrête pas aux frontières nationales. En fait, avec la révolution des technologies de l’information et de la communication, comme le confirme le rapport Mondial sur le Développement Humain, le commerce de produits culturels en tout genre a augmenté de plus de 200 % au cours des dix dernières années, et de plus en plus de gens s’inquiètent des effets d’une possible mondialisation homogénéisante de la culture (Rifkin, 2000 : 238). Donc pour ces raisons, les pays en voie de développement ont peur d’entrer dans une nouvelle époque où l’expérience humaine est de plus en plus une marchandise consommée sous forme d’accès à des réseaux polyvalents inscrits dans le cyberespace. Ces réseaux électroniques, sur lesquels se branchent quotidiennement pour de longues heures un nombre croissant d’individus, sont contrôlés par une poignée d’entreprises transnationales du secteur des médias et des télécommunications. Ces entreprises sont propriétaires des réseaux à travers lesquels ces individus communiquent et elles contrôlent l‘essentiel du contenu culturel qui définit cette expérience-marchande à l’heure de la post modernité. Il n’y pas de précédent historique à ce contrôle exhaustif de la communication humaine. Les pourvoyeurs de contenu liés aux géants des médias deviennent les « gardiens » qui contrôlent l’accès de centaines de millions d’êtres humaines aux circuits de communication avec leurs semblables. Il s’agit là d’une nouvelle forme de monopole commercial, un monopole qui s’exerce sur l’expérience vécue d’une fraction importante de la population de la planète. Dans un monde où l’accès à la culture humaine est plus en plus soumis au caprice des entreprises transnationales qui la véhiculent et la commercialisent, la question du pouvoir institutionnel et des espaces de liberté existants est d’autant plus importante.

En tout cas, à l’aube de la mondialisation et grâce aux technologies de l’information et de la communication, nous ne savons pas encore exactement quelle part de notre expérience quotidienne sera vécue dans l’espace physique et quelle part le sera dans les espaces virtuels. La révolution des TIC peut également potentiellement transformer une bonne partie de notre l’expérience culturelle. La mondialisation des TIC aujourd’hui comme le dit Jeremy Rifkin a créé « un environnement tellement exhaustif que d’autres formes de communication directe –rituels, cérémonies, fêtes, représentations théâtrales, arts, religions, discours civiques– perdent de leur importance et n’ont plus autant d’influence sur les relations humaines» ((Rifkin, 2000 : 219). Cependant l’adaptation des systèmes éducatifs aux TIC devrait servir à renforcer les identités des pays en voie de développement, par la création de mécanismes, dans le respect des valeurs culturelles, qui visent à empêcher les système éducatifs de perdre leur culture propre en participant à la société de l’information. Les TIC peuvent servir à relier les cultures, les identités locales et nationales de ces pays. Cependant il faut être conscient des conséquences et des défis possibles et s’assurer que les TIC fourniront un élargissement de la culture plutôt qu’une imposition de la culture dominante. Des outils sociaux propres et des investissements équilibrés devraient être développés ; les expressions culturelles et les moyens de communication spécifiques doivent être reconnus, promus et protégés. L’utilisation des TIC peut alors engendrer de nouveaux niveaux de confiance en soi et d’estime de soi. Un ensemble de principes devrait être élaboré en tenant compte des différentes méthodes de communication.