5.2.2. Les pays en voie de développement et les identités menacées

Les technologies de l’information et de la communication jouent un rôle majeur dans les processus de mondialisation de la culture et leurs conséquences négatives dans des pays en voie de développement. Les TIC font surgir une nouvelle culture technologique susceptible d’avoir une influence sur le processus de recomposition des identités des pays en voie de développement. Comme on l’a dit plus haut, ces pays se retrouvent confrontés à deux possibilités différentes concernant la relation entre les TIC et leurs identités culturelles: d’un côté, ils souhaitent bénéficier des moyens que représentent les TIC pour l’expression , la création et une éventuelle diffusion possible de leurs cultures à l’échelle planétaire et de l’autre, simultanément, ils craignent profondément de perdre leurs identités locales et nationales face à la tendance à l’homogénéisation culturelle. Ce processus de diffusion planétaire des modèles culturels provoque une explosion de la problématique identitaire à l’échelle des nations comme à celle des cultures. Car en même temps les ouvertures provoquées par la mondialisation des technologies de l’information peuvent permettre aux identités des pays en voie de développement de participer à la multiplication de dialogues interculturels qui se fait jour. Dialogues avec d’autres cultures et d’autres identités à l’échelle globale.

Cependant l’expansion des TIC aussi risque d’affaiblir la place des cultures et des valeurs nationales et locales en tant que référent identitaire des pays en voie de développement eux-mêmes. Ainsi, il y a sans doute un risque pour la sécurité linguistique9 de ces pays du fait que les produits culturels offerts sur la Toile sont majoritairement anglophones. Le danger d’une déstabilisation identitaire des citoyens et citoyennes des pays en voie de développement, considérés en tant que constituant une collectivité, pourrait-il s’accroître avec l’usage intensif d’Internet ? Ou au contraire, l’expansion des TIC à l’échelon global serai-elle une occasion privilégiée pour repenser radicalement la question des identités de ces pays, c’est-à-dire pour définir une alternative à l’histoire habituelle de notre mémoire collective. Autrement dit, au temps de la mondialisation des cultures, l’heure est-elle venue de repenser en profondeur ce qui constitue le noyau dur de l’identité des pays en voie de développement ?

Dans le domaine culturel plus spécialement, une inquiétude croissante se manifeste devant des TIC souvent considérées comme une vraie menace pour les identités de tous les pays en voie de développement. Cette menace apparaît d’autant plus réelle que, s’il est voisin d’un géant, il lui est déjà difficile de résister culturellement à ce dernier. Le pouvoir d’attraction du Nord dans le domaine culturel, faut-il le rappeler, n’est pas un phénomène nouveau. Depuis plus d’un siècle, les pays en voie de développement vivent sous cette menace, mais aujourd'hui les technologies de l’information et de la communication rendent plus immédiate et plus réalisable que jamais la domination culturelle tant redoutée.

‘« La mondialisation de la communication a en réalité deux conséquences, aussi importantes l’une que l’autre : le renforcement du lien entre culture et communication, mais aussi l’émergence d’une nouvelle problématique de l’identité culturelle collective (Wolton, 2003). Selon le même auteur, l’identité culturelle collective prend en compte deux caractéristiques importantes ; le mélange entre la culture, au sens classique de patrimoine, et la culture conçue comme cet ensemble d’informations, de connaissances et d’intuitions,» (Kalogiannakis, 2003).’
Notes
9.

- Les logiciels et les contenus numériques développés expressément pour l'éducation devraient tenir compte des attentes nationales, régionales ou locales. Chaque pays a ses besoins propres en termes de langue nationale ou de langues minoritaires et veut promouvoir son identité. Étant donné les gros volumes de ventes qu'exige le coût élevé du développement et de la diffusion de logiciels, les pressions commerciales aboutissent souvent à une convergence vers un modèle linguistique et culturel unique. La très large diffusion des produits développés aux États-Unis en est l'exemple le plus visible. Les outils et le contenu numériques dans des langues comme le norvégien, le danois et le néerlandais offrent peu de débouchés en dehors des pays concernés et –compte tenu des populations peu importantes– des perspectives internes limitées. À défaut de produits développés exclusivement pour un marché, l'adaptation du contenu numérique aux besoins nationaux, la « contextualisation », se répand aujourd'hui. Hormis la traduction de la langue du logiciel, il peut être nécessaire de modifier les illustrations – les matériels de mathématiques peuvent par exemple utiliser une monnaie qui n'est pas familière et les références géographiques prendre des exemples de climat ou de région du monde inappropriés. La contextualisation suscite des questions plus profondes quant aux attitudes et aux perceptions culturelles. En histoire ou en littérature, par exemple, un événement ou une réputation peuvent être perçus très différemment d'un pays à l'autre. Il faut tenir compte de ces facteurs, en s'appuyant sur l'expérience de la classe qu'ont les enseignants, lorsqu'on réalise ces adaptations. Le coût assez faible et la facilité de génération du contenu sur Internet – contrairement aux coûts de programmation très élevés des premiers CD-ROM – représentent une évolution importante, qui contribuera à promouvoir la démocratisation du contenu numérique, et les intérêts et préoccupations d'un individu, d'un groupe, d'une collectivité ou d'une nation. (OCDE, 2001 : 46- 47)