1- La situation basique de mise en place des TIC dans les systèmes éducatifs des pays en voie de développement

L’étude met en évidence l’écart colossal qui sépare les pays riches et les pays pauvres en terme d’accès aux TIC. Ainsi, un pays moyen membre de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a un revenu par habitant 11 fois supérieur à celui d’un pays d’Asie du Sud ; il possède également 40 fois plus d’ordinateurs, 146 fois plus de téléphones mobiles et 1036 fois plus de serveurs Internet. D’autre part, même entre des pays possédant approximativement le même niveau de développement économique et des structures économiques presque identiques, il existe des écarts non négligeables sur le plan des ressources et de l’utilisation des TIC. S’il est vrai que les pays riches bénéficient mieux de la technologie avec le temps, il existe une région en développement, l’Asie de l’Est, qui semble rivaliser avec les pays riches en la matière. (Voir les tableaux 2-2 et 2-3)

Tableau (2-2) Indicateurs des TIC dans quelques pays – 2001
Pays Utilisateurs de l'Internet PC Lignes téléphoniques fixes Téléphones mobiles Pays Utilisateurs de l'Internet PC Lignes téléphoniques fixes Téléphones mobiles
Pour 100 habitants Pour 100 habitants
Amérique latine Asie et Pacifique
Brésil 4,6 6,3 21,7 16,7 Chine 2,6 1,9 13,8 11,2
Guatemala 2,0 1,7 6,5 9,7 Rép. de Corée 51,1 25,1 47,6 60,8
Colombie 2,7 4,2 17,1 7,4 Indonésie 1,9 1,1 3,7 2,5
Mexique 3,5 6,9 13,5 20,1 Inde 0,1 0,6 3,4 0,6
Venezuela 5,3 5,3 11,2 26,4 Bangladesh 0,0 0,2 0,4 0,4
Costa Rica 9,3 17,0 23,0 7,6 Afrique subsaharienne
Nicaragua 1,0 1,0 3,1 3,0 Afrique du Sud 7,0 6,9 11,4 21,0
Pérou 11,5 4,8 7,8 5,9 Kenya 1,6 0,6 1,0 1,6
Bolivie 1,4 2,0 6,0 8,7 Nigéria 0,0 0,7 0,4 0,3
Caraïbes Sénégal 0,1 1,9 2,5 4,0
Rép. dominicaine 2,1 N/A 10,8 12,4 Ghana 0,2 0,3 1,2 0,9
Jamaïque 3,8 5,0 19,7 26,9 Afrique du Nord et Proche-Orient
Europe orientale Égypte 0,9 1,6 10,3 4,3
Estonie 30,0 17,5 35,2 45,5 Maroc 1,3 1,3 3,9 15,7
Hongrie 14,8 10,0 37,4 49,8 Jordanie 4,1 3,3 12,7 14,4
Rép. Tchèque 13,6 12,1 37,4 65,9 Algérie 0,0 0,7 6,0 0,3
Échantillon OCDE
Royaume-Uni 40,0 36,6 57,8 78,3 Espagne 18,3 16,8 43,1 65,5
Etats-Unis 49,9 62,3 52,0 44,4 Italie 27,6 19,5 47,1 83,9
Australie 37,2 51,7 66,5 57,8 Allemagne 36,4 33,6 63,5 68,3
France 26,4 33,7 57,4 60,5 Finlande 43,0 42,4 54,8 77,8
Canada 43,5 39,0 65,6 32,0 Japon 45,5 34,9 59,7 57,2

L’impact des TIC sur l’équité est apparemment difficile à déterminer, d’autant qu’il est très variable selon qu’il s’agit d’un pays en développement ou d’un pays développé. Certes, la technologie offre à des régions isolées des possibilités plus larges d’accès à l’éducation, notamment dans les pays développés. Mais, du fait des investissements en infrastructures qu’elle requiert, l’introduction des technologies de l’information à l’école se limite, pour longtemps encore, aux régions urbaines, de sorte que la fracture entre régions urbaines et régions rurales s’élargit et ajoute une fracture numérique aux fractures économique et éducative déjà existantes. Élaborer des politiques et des stratégies d’application des TIC dans l’éducation adaptées à chaque pays et à chaque système est un enjeu qu’aucun système éducatif ne peut se permettre d’ignorer. Au vu de ce qui précède, il est clair que les responsables politiques chargés de définir les politiques et les stratégies applicables en matière d’éducation et des TIC doivent accorder un soin particulier aux questions et aux dilemmes qui sont exposés ci après (Pelgrum, 2004 :108-110).

En tout cas, pour ce qui est de l’accès numérique, les pays sont classés en quatre catégories selon leur niveau d’accès (excellent, bon, médiocre ou faible). Les pays dont l’accès est défini comme "bon" sont essentiellement des pays d’Europe centrale et orientale, des pays des Caraïbes, des États du Golfe et des pays émergents d’Amérique latine. Nombre d’entre eux utilisent les TIC comme catalyseur du développement et les politiques publiques les aident à obtenir des résultats spectaculaires en matière d’accès aux TIC. Il faut à cet égard citer d’importants projets tels que l’initiative "Internet City" à Dubaï dans les Émirats arabes unis (venant en tête des pays arabes d’après l’indice), le "Multimédia Super Corridor" en Malaisie (pays d’Asie le mieux classé) et le projet "Cyber City" à Maurice (au premier rang des pays d’Afrique, avec les Seychelles). Cet indice d’accessibilité numérique sera un outil précieux pour suivre l’évolution future de ces économies émergentes qui ne manquent pas d’ambition.

Tableau (2-3) Indice d’accès numérique (DAI), 2002
Tableau (2-3) Indice d’accès numérique (DAI), 2002

Source : Indice d’accès numérique établi par l’UIT

Dans un grand nombre de pays en développement, moins de 1 % de la population - masculine ou féminine - a accès à l’Internet. Il est difficile d’obtenir des statistiques fiables sur l’utilisation de l’Internet par les femmes dans les pays en développement car les indicateurs standards sont rarement désagrégés par sexe et les données disponibles ne sont pas toujours fiables ou comparables. Toutefois, il est évident que les chiffres sont petits et que la distribution est limitée. Les chiffres disponibles indiquent que, par région, les femmes représentent 22 % de tous les utilisateurs d’Internet en Asie, 38 % en Amérique latine et 6 % dans les pays du Moyen-Orient. Les chiffres régionaux par sexe ne sont pas disponibles pour l’Afrique. Il convient de noter que la plupart des utilisatrices d’Internet dans les pays en développement ne sont pas représentatives des femmes dans ces pays, mais plutôt, d’une petite élite instruite et urbaine. Les statistiques par pays sont particulièrement intrigantes car aucune corrélation ne semble exister entre l’utilisation de l’Internet par les femmes et les indicateurs escomptés, tels que le taux d’alphabétisation des femmes, le PIB par habitant des femmes, la représentation féminine dans les emplois professionnels et techniques ou la valorisation de la femme. Les pays en développement avec une utilisation féminine importante de l’Internet connaissent un faible emploi général de l’Internet. Dans les pays où l’Internet est utilisé essentiellement par une élite urbaine, les femmes sont bien représentées, mais quand le PIB augmente, la domination générale des hommes fait baisser le pourcentage de l’utilisation féminine (Hafkin et Taggart, 200).

Il est largement reconnu que l’accès à l’information est connexe à l’accession au pouvoir, qu’il soit économique ou politique. L’équité et la justice sociale veulent que les femmes participent activement et tirent profit des avantages que peuvent offrir les TIC. Les changements technologiques peuvent être utilisés pour promouvoir l’amélioration de leurs conditions économique et sociale, sachant qu’elles représentent généralement plus de la moitié de la population. Ceci est d’autant plus important et urgent que les TIC sont censées jouer un rôle croissant dans le développement économique et social. Or les résultats de recherche montrent qu’il y a une grande disparité quant à l’accès aux TIC et à l’information des hommes et des femmes. Même si les faits montrent que les femmes utilisent les services des TIC aussi bien en zone urbaine que périurbaine, dans les zones rurales, cette utilisation reste marginale par rapport aux hommes.

Graphique (2-1) : Répartition des utilisateurs selon le sexe
Graphique (2-1) : Répartition des utilisateurs selon le sexe

Source : Enquêtes questionnaires/ICT CBD Sénégal, novembre 2000

Cette différenciation a été mise en évidence par exemple en Malaisie, où une investigation visant à étudier le comportement des filles et des garçons dans les écoles montre qu’il y a une différence significative entre garçons et filles quant à l’utilisation des TIC et aux attitudes adoptées face aux TIC. Selon ces auteurs, les garçons étant plus formés et ayant plus régulièrement accès aux ordinateurs utilisent plus les TIC que les filles ; et contrairement aux filles, les garçons déclarent avoir plus de capacités techniques (programmation et maintenance)

Une étude menée en Australie (Fluck 1995) montre que les filles utilisent relativement plus l’ordinateur que les garçons à l’école alors qu’à l’extérieur de l’école les garçons l’utilisent deux fois plus. Une autre étude menée en Grande Bretagne (Cole 1994) trouve aussi que mises dans les mêmes conditions d’accès que les garçons, les filles utilisent autant qu’eux les ordinateurs mais spécifiquement dans le cadre de leurs cours. Cette même tendance a été notée dans le cadre de l’étude Elsa/Acacia sur le réseau des écoles au Sénégal (Camara et Thioune 2001). Le cas de l’école semble être différent des expériences de types plus communautaires. En effet, dans les points d’accès communautaires aux TIC (télécentres par exemple) en plus des considérations liées à la nature cognitive des femmes, des facteurs exogènes tels que le revenu, les coûts d’accès aux services, le niveau d’instruction, le mode de gestion semblent être en leur défaveur (Ramata, 2003).

Il est important de mentionner que la recherche démontre que les femmes pauvres sont moins portées que les hommes à tirer profit des TIC. Selon la Banque mondiale, cela pourrait être attribuable aux plus faibles niveaux de scolarité des femmes par comparaison aux hommes dans de nombreux pays pauvres, à la tendance pour les hommes à recevoir une formation technique plus souvent que les femmes et à la représentation disproportionnée des hommes dans les milieux de haute technologie. Pour combler ce " fossé numérique " entre les hommes et les femmes, il faut conjuguer des politiques et des initiatives axées sur la problématique hommes-femmes à des programmes de sensibilisation afin que les femmes n’aient pas à renoncer aux nouvelles possibilités sociales et économiques qu’offrent les TIC.

En tout cas, à l'intérieur des pays aussi, l’inégalité d’accès au réseau est encore plus criarde, illustrant toute la pertinence de la crainte d’une division du monde entre " info-riches " et " info-pauvres " nourrie par certains analystes et déjà mise en exergue par le PNUD dans son rapport sur le développement de 1998. On note ainsi que les fournisseurs de services Internet sont prioritairement installés dans les capitales ou les villes principales des pays, au détriment des zones urbaines où vivent plus de 70 % des populations africaines ; ce qui est conforme au schéma de développement des autres technologies comme les télécommunications et même au schéma de développement traditionnel tout court des pays africains. En mi 1999, seuls neuf pays avaient ouvert des points d’accès dans des villes secondaires (Paré, 2005). En Chine, les 15 provinces comptant le moins de personnes ayant une connexion Internet ont une population de 600 millions de personnes pour seulement 4 millions d’internautes. Shanghai et Beijing en revanche, ont une population de 27 millions de personnes pour 5 millions d’internautes. En Inde, sur 1,4 million de connexions Internet, plus de 1,3 million sont dans les états de Delhi, Karnataka, Maharashtra, Tamil Nadu et de Mumbai (UNESCO Asia and Pacific Regional Bureau for Education, 2004). Il est intéressant d’ajouter que ce chiffre d’internautes ne représente que 0,2 % de la population adulte indienne (Uganda Martyrs University, 2003).

Outre les différences d’ordre géographique en matière d’accès aux TIC, en particulier entre pays développés et en développement, on assisterait également à l’émergence d’un fossé numérique entre des groupes ou classes d’individus au sein d’une société donnée. Les contrastes le plus souvent dépeints à cet égard sont les suivants :

Tableau (2-4). L’émergence d’un fossé numérique entre des groupes ou classes d’individus
Individus nantis / marginalisés
Jeunes contre Vieux
Hommes contre Femmes
Indigènes contre Minorités
Cols blancs contre Cols bleus

Il faut ajouter que plus de 100 millions d’enfants, dont une majorité de filles, restent exclus de l’éducation. Si rien n’est fait, ils rejoindront les 875 millions d’adultes analphabètes, dont près des deux tiers sont des femmes. Dans les pays en développement, on estime qu’un enfant de 6 à 11 ans sur cinq, soit 113 millions, n’est pas scolarisé. 60 % sont des filles. Neuf pays - le Bangladesh, le Brésil, la Chine, l’Égypte, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, le Nigeria et le Pakistan - abritent 70 % des analphabètes du monde. Les filles et les femmes sont les premières concernées. L’Asie du sud compterait 60 % de femmes analphabètes. À l 'échelle mondiale, une femme sur quatre ne sait pas lire. La différence qui existe au plan de l’éducation entre pays économiquement moins développés et pays développés est considérable. Offrir une éducation de base à tous les enfants d’âge scolaire est aujourd’hui encore un défi majeur dans de nombreux pays économiquement moins avancés. Par exemple, près de 40 % des enfants de moins de 10 ans ne seraient pas scolarisés du tout (selon les chiffres de l’Unesco). De nombreuses écoles ne sont pas raccordées au réseau électrique et ne disposent pas des services de base ; l’introduction des TIC risque donc de prendre plusieurs années (Selinger, 2004).

Or il est évident que dans un pays en développement compte moins d’ordinateurs pour les élèves qu’un pays riche. Aux États-Unis, le nombre d’élèves par ordinateur est passé de 125 en 1983 à 5 en 2000, alors qu’au Costa Rica et au Chili le rapport est respectivement compris entre 53 et 73 et entre 68 et 137 pour un ordinateur. L’une des différences les plus criantes entre les pays concerne la disponibilité des équipements. Dans les pays développés, les jeunes disposent d’un meilleur accès chez eux qu’à l’école. En Suède, par exemple, une enquête consacrée en 2000 à la classe des 15 ans a montré que 90 % d’entre eux utilisaient l’ordinateur chez eux presque tous les jours, contre 37 % seulement à l’école. En Lettonie, par comparaison, 15 % seulement avaient un accès chez eux quasi quotidien, et 5 % uniquement à l’école. La quasi-totalité des universités des pays riches sont aujourd’hui connectées, alors que dans les pays en développement la proportion est bien moindre ce qui a une incidence, inévitablement, sur la possible utilisation des TIC ( International Telecomunication Union, 2005).

Dans les pays moins développés, donc l’adoption des TIC dans l’enseignement a été plus lente, généralement à cause du manque de moyens disponibles pour fournir la technologie appropriée. Par exemple, des chiffres récents de l’OCDE indiquent que dans les zones urbaines du Royaume-Uni (c’est-à-dire les villes de plus d’un million d’habitants), il y a en moyenne un ordinateur pour huit élèves dans l’enseignement secondaire. Des résultats similaires caractérisent de nombreux pays de l’UE. La Suède affiche le meilleur taux d’équipement, avec un ordinateur pour quatre élèves. Mais dans les établissements scolaires urbains de la Fédération de Russie, par exemple, ce ratio grimpe à 62 élèves pour un ordinateur, sachant que ces statistiques ne disent rien sur le degré de sophistication de la technologie informatique qui équipe ces deux pays. Le pourcentage d’élèves âgés de 15 ans qui ont déclaré utiliser un ordinateur presque tous les jours à l’école est aussi assez révélateur. Près de la moitié des élèves danois utilisent un ordinateur tous les jours à l’école, contre seulement 5 % d’élèves du même âge dans la Fédération de Russie.

Mais, la mesure dans laquelle les technologies de l’information et de la communication peuvent être utilisées dans le domaine de l’éducation dans les différents pays et territoires dépend d’un large éventail de facteurs qu’ils ne sont pas justes de facteur infrastructure. Certains sont déterminés par les conditions économiques, d’autres reposent sur le contexte « culturel » dans lequel l’éducation s’opère et enfin, d’autres facteurs sont motivés par la priorité politique accordée à l’éducation par les différents gouvernements et le facteur administratif et planification.