1.5. Les systèmes multi-agent dans la chaîne logistique

Les systèmes multi-agent sont devenus populaires pour la modélisation des systèmes complexes comme la chaîne logistique. En effet, plusieurs projets concernant l’utilisation des systèmes multi-agent dans la chaîne logistique ont été réalisés. Ces projets se confrontent à des problèmes différents de la chaîne logistique dont la conception et la gestion sont deux grandes catégories de problématiques.Clautier [Cloutier et al., 2001], Maturana [Maturana et al., 1999] et Parunak [Parunak, 1996] ont montré l’intérêt d’utiliser cette approche dans le domaine des chaînes logistiques.En particulier, Cloutier précise que le paradigme des agents est une métaphore naturelle avec les organisations en réseau depuis que les unités de production distribuées possèdent les mêmes caractéristiques que les agents (basé sur la définition d’un agent de [Wooldridge et Jennings, 1995] qui sera présentée dans le chapitre 2) :

  • autonomie : une entreprise exécute des tâches d’elle-même sans intervention extérieure ;
  • capacités sociales : un acteur de la chaîne logistique peut communiquer avec un autre acteur pour, par exemple, lui passer une commande de produits ou de services ;
  • réactivité : une firme modifie son comportement si le marché ou la concurrence évolue ;
  • pro-activité : une entreprise peut initier d’elle-même de nouvelles activités, comme par exemple décider de lancer un nouveau produit sur le marché ;

La littérature montre que les projets utilisant les SMA dans la CL se confrontent essentiellement à trois problèmes principaux : La modélisation, la conception et la gestion (pilotage). De plus, la manière de résoudre ces problèmes diffèrent aussi en fonction des projets : par exemple, le nombre et le rôle des agents varient considérablement. Nous présentons ci-dessous une liste non exhaustive de projets utilisant les SMA dans la CL :

  1. MASCF (Multi-Agent Supply Chain Framework) [Govindu et Chinnam, 2007]: MASCF est un outil qui offre une méthodologie générique conçue pour faciliter et simplifier les phases d'analyse et de conception des applications basées sur les SMA dans les CL. MASCF adopte le modèle standard ‘SCOR’ pour la description de la CL et la méthodologie ‘Gaia’ (cf. chapitre 2. section 2.5) pour le développement des SMA. Puisque le modèle SCOR et la méthodologie Gaia sont les éléments principaux de MASCF, ce dernier est alors considéré comme un outil générique largement applicable pour modéliser des CL par des systèmes multi-agent. MASCF ne spécifie aucune plateforme de développement des SMA, par conséquent, le développeur choisit la plate-forme appropriée.
  2. MASC (Multi Agent Supply Chain) [Chehbi, 2007] [Chehbi et al., 2003]: MASC est une architecture à base d’agents dédiée à la modélisation et la simulation des processus de collaboration dans les chaînes logistiques. Les auteurs ont défini un modèle basé sur des agents distribués de type BDI (Belief, Desire and Intention) qui décrivent les objectifs, les intentions et les croyances des acteurs dans une organisation de type AGR (Agent-Groupe-Rôle) et réifiant quatre principaux rôles: Client, Fournisseur, Négociateur et Producteur. Ces agents appelés ‘agents-acteurs’ représentent les centres de décision de la chaîne. Trois types de décisions: stratégiques, tactiques et opérationnelles peuvent être abordées selon deux visions différentes. Une vision ‘court et moyen termes’ qui ne considère que les facteurs et les critères opérationnels tel que le coût, la qualité, le prix et le niveau de stock. Une vision ‘long terme’ qui s’intéresse quant à elle aux facteurs et critères qui déterminent la viabilité à long terme de l’entreprise sur un marché concurrentiel. Des propositions on été faites afin de rapprocher ces deux visions dans une démarche globale d’aide à la décision.
  3. Dans [Jiao et al., 2006], les auteurs proposent un système multi-agent utilisant une négociation multi contractuelle pour coordonner la fabrication dans une chaîne logistique. Le système est développé à l’aide de la plate-forme JADE et est utilisé dans une compagnie de fabrication de téléphones mobiles.
  4. Dans [Liang et Huang, 2005], les auteurs ont utilisé la technologie des agents pour simuler une CL et les méthodes de gestion du stock de chaque entité qui y appartient. Les agents emploient des algorithmes génétiques pour calculer la quantité optimale à commander pour chaque échelon. Chaque agent communique et partage les informations de la demande avec les autres afin de minimiser le coût global. Les supply chain managers des différentes entités partagent les informations avec confiance. En outre, les agents explorent et stockent les connaissances des supply chain managers sous forme de règles et les réutilisent plus tard en cas de problèmes semblables. Avec cette approche, les auteurs ont montré que le coût total est réduit au minimum.
  5. OCEAN (Organisation and Control Emergence with an Agent Network) est un système de pilotage à architecture ouverte, décentralisée et basée sur des contraintes (distribution des ressources de production, distribution des données techniques, adaptabilité pour répondre à la dynamique de l’environnement). Le but de ce système est de montrer que des coopérations au niveau global peuvent apparaître à partir des compétitions au niveau individuel [Bournez et Gutknecht, 2001]. Ce travail a été réalisé à l’INSA de Lyon (France) et à l’université Montpellier 2 (France).
  6. Le simulateur du jeu du Bois Québécois [Moyaux et al., 2004b] (jeu dérivé du jeu de la bièreJeu de la bière (en anglais, Beer Game) : c’est un jeu qui a été proposé par Sterman en 1989 pour faire prendre conscience aux étudiants et aux industriels de la dynamique d’une chaîne logistique.) est un simulateur à base de système multi-agent servant à modéliser et simuler la chaîne logistique de l’industrie forestière du Québec. L’auteur a implémenté ce simulateur afin de valider deux principes qu’il a proposé pour diminuer l’effet coup de fouet. Ce jeu permet d’enseigner ce qu’est l’effet coup de fouet ainsi que la complexité de la dynamique d’une chaîne logistique.
  7. Le projet développé par Telle [Telle et al., 2003] est dédié aux relations entre Airbus et ses fournisseurs. La méthodologie et l’outil de simulation associés qui sont proposés dans ce projet sont destinés au diagnostic puis à l’aide à l’amélioration des performances des relations Donneurs d’ordres / Fournisseur (DO/F) au sein d’une chaîne logistique. L’outil proposé utilise des techniques relevant de l’évaluation des performances et de l’aide à la décision dans le domaine de la coopération industrielle. La démarche d’aide à la coopération proposée s’appuie sur la chronologie type des étapes utilisant des approches évaluatives. Sa spécificité tient au fait qu’elle est conçue pour être utilisée par un couple d’utilisateurs, acteurs d’une réelle relation DO/F. Dans ce projet, le fournisseur est modélisé par 4 sous-agents. Un sous-agent pour la fonction approvisionnement, un sous-agent pour la fonction production, un sous-agent pour la fonction distribution et un sous-agent système de conduite.
  8. DragonChain [Kimbrough et al., 2001] a été implémenté pour automatiser la gestion de la chaîne logistique, et plus particulièrement pour réduire l’effet coup de fouet. Pour cela, ils se sont basés sur le modèle du jeu de la bière (à savoir les variantes Beer Game et Columbia Beer Game) et ont utilisé des agents utilisant des algorithmes génétiques pour déterminer la meilleure politique de réapprovisionnement. Dans ce projet, chaque entreprise a été modélisée par un agent.
  9. L’Agent Building Shell de l’université de Toronto (Ontario, Canada) est une bibliothèque logicielle de classes supportant des outils d’implémentation d’agents. L’architecture de ces agents est réalisée selon quatre couches : (i) la couche de gestion de la connaissance, (ii) la couche d’ontologie, (iii) la couche de la coopération et des conflits et (iv) la couche de communication et de coordination (cette quatrième couche est supportée par le langage COOL (pour COOrdination language). Plusieurs chercheurs ont travaillé sur ce projet, en particulier Fox et Barbuceanu [Barbuceanu et Fox, 1996, Barbuceanu and Fox, 1995, Teigen and Barbuceanu, 1996, Beck and Fox, 1994]. Dans ce projet, chaque entreprise a été modélisée par un agent.
  10. MASCOT (Multi-Agent Supply Chain cOordination Tool) est une architecture reconfigurable, à niveau et basée sur les agents pour la planification et la coordination qui vise à améliorer l’agilité d’un réseau logistique. Précisément, ce système coordonne la production à travers les multiples installations (internes et externes) de l’entreprise, et évalue les décisions de conception de nouveaux produits/sous-composants et les décisions d’affaires stratégiques [Sadeh et al, 1999]. Ce travail a été réalisé à l’université Carnegie Mellon (Pittsburgh, PA, USA). Dans ce projet, chaque entreprise a été modélisée par un agent.
  11. DASCh (Dynamic Analysis of Supply Chain) a été développé dans ERIM (Ann Arbor, MI, USA) par l’équipe de Parunak [Parunak et VanderBok, 1998, Baumgaertel et al., 2001] pour explorer les techniques de modélisation des réseaux de fournisseurs et des fournisseurs de leurs fournisseurs. En particulier, les flux de produits et d’informations sont agentifiés afin de modéliser le fait qu’ils ne soient pas parfaits (Prise en compte des délais et incertitudes sur les flux par des agents). Chaque entreprise a été modélisée par 2 agents et un agent pour les flux.

Ce bref état de l’art montre bien que les SMA sont devenus populaires pour la modélisation et le pilotage des chaînes logistiques. Néanmoins, nous relevons quelques lacunes:

  • Le développement des applications pour la chaîne logistique à base de SMA reste assez compliqué et prend beaucoup de temps. Actuellement, le processus de modélisation prend beaucoup de temps puisqu’il n'existe pas de méthodes génériques pour la modélisation des CL en utilisant les systèmes multi-agent à l’exception de méthodologies telle que celle proposée dans [Govindu et Chinnam, 2007] qui sont encore en cours de développement. Un nombre limité d’auteurs (comme [Fox et al., 2000], [Swaminathan et al., 1998]) ont discuté l’importance de développer des composants génériques et réutilisables, la plupart des applications utilisent des modèles particuliers liés à une problématique industrielle ou logistique spécifique.
  • La littérature ne considère pas explicitement les phases d’analyse et de conception de l’application à base de SMA (qui sont des phases importantes dans le cycle de développement des applications industrielles) mais s’attaque directement à la phase d’implémentation à partir des besoins.
  • Dans la littérature, il apparaît que la plupart des applications sont orientées recherche. En effet, un nombre important de chercheurs ont utilisé les SMA pour modéliser et simuler la chaîne logistique en vue de tester et d’évaluer des pratiques et des techniques de collaboration basées en général sur le partage d’informations. Pour plus de détail, le lecteur pourra se référer à l’étude effectuée par S. Terzi et S. Cavalieri [Terzi et Cavalieri, 2003] concernant l’utilisation de la simulation dans la CL. Au contraire il existe un nombre réduit de prototypes qui ont utilisé des langages de programmation (comme Java), logiciels commerciaux (comme ADE, G2), ou logiciels gratuits (freeware)/outils libres (open-source toolkits) (comme Swarm, JATLite, JADE) pour développer des applications réelles à base de SMA.

La recherche que nous menons contribue à l’utilisation des agents pour le développement des applications réelles qui aident à la prise de décision collaborative dans la CL. L’intérêt de notre travail réside au niveau des agents d’interface intelligents liés aux systèmes d’informations des différents acteurs pour exécuter une simulation proactive distribuée renseignant les décideurs et les supply chain managers sur les scénarios possibles et acceptables en cas de situations d’urgences.

Comme on a montré ci-dessus, puisqu’il n’existe pas un modèle générique pour la chaîne logistique (ils sont en cours de développement), nous avons développé notre propre modèle (cf. chapitre 3) pour traiter notre problématique. Il est quasi-générique et convient à un grand nombre de chaînes logistiques ou groupements d’entreprises.