L’affect

Sami-Ali donne sa définition de l’affect comme une

‘“relation particulière à l’autre, d’essence magique et tendant à agir sur lui magiquement, qui passe à la fois par la langue maternelle, par le corps propre impliquant le système neurovégétatif, et par la projection” (2003, p16).’

En outre, l’auteur considère l’affect et la représentation comme les deux faces d’une même pièce, ce qui les rendrait totalement indissociables l’une de l’autre. Dans cette optique, il paraît difficile de supposer que la représentation pourrait subir le mécanisme du refoulement, et que ce ne serait pas le cas de l’affect. L’affect se verrait donc soumis, lui aussi, à un refoulement, suivant des modalités différentes, que Sami-Ali compte au nombre de trois.

Le premier type de refoulement de l’affect se produirait à la suite d’un traumatisme. Sami-Ali évoque tout particulièrement le deuil. Le sujet aurait alors réprimé pour la toute première fois son affect, marquant le début d’un refoulement systématique de tout autre affect associé à des situations du même ordre.

Le souvenir lié au deuil initial demeurerait ainsi en permanence, mais sous une forme dépourvue d’affect, perdant alors son apparence de réalité, et prenant davantage la forme d’une représentation. Car, pour Sami-Ali,

‘“L’affect est l’indice de la réalité”.’

Lorsque, malgré le défaut de rêve permettant de lui laisser une place, l’affect refoulé ferait retour, cela se produirait sous la forme d’une dépression que le sujet lui-même aurait bien du mal à mettre en lien avec le deuil premier.

Le deuxième mode d’action du refoulement de l’affect aurait lieu quand, à la suite du même type de traumatisme que celui évoqué précédemment, l’Inconscient du sujet, pour le protéger de l’affect, aurait refoulé le caractère entier du sujet, afin de le lisser, et de l’adapter à un modèle de conformité sociale, dans le but d’éviter toute souffrance. C’est ainsi la personnalité de l’individu dans son ensemble qui se voit transformée en une personnalité adaptative. L’affect existe toujours, mais il n’est pas conscientisé. C’est ce que Sami-Ali nomme le “fonctionnement banal”.

La troisième modalité de refoulement de l’affect proviendrait, elle aussi, d’une situation de perte. La souffrance liée à cette perte aurait alors provoqué un refoulement de l’affect sous forme de coupure, au sein de la conscience vigile, entre les éprouvés psychique et somatique. Consciemment, il n’existe ainsi pour le sujet aucun pont entre ces deux instances. Les phénomènes d’alexithymie et de pensée opératoire résulteraient ainsi de ce refoulement de l’affect, et ne seraient pas, comme dans la conception martyienne, à percevoir sur un mode structurel et carentiel.

Les quatre dimensions précédemment décrites sont donc les dimensions qui sous-tendent la relation ; et ce serait exclusivement un trouble relationnel qui serait susceptible d’engendrer le phénomène de somatisation. Sami-Ali insiste en effet sur l’idée que ce n’est pas la capacité plus ou moins grande à avoir accès à sa conscience onirique qui influerait sur la somatisation, mais uniquement les expériences et modalités relationnelles avec lesquelles le sujet a dû et doit composer. Le symptôme somatique apparaîtrait, dans ce contexte, dès lors qu’une situation d’impasse se présenterait. Au-delà d’une problématique spécifique à une structure de personnalité tendant à somatiser, il s’agirait plutôt, du point de vue de Sami-Ali, d’un conflit impossible à résoudre, d’une “impasse relationnelle”, entraînant le sujet vers la seule issue par le corps. Sami-Ali évoque ainsi, en fonction de la structure de personnalité, quel type d’impasse relationnelle est en mesure de susciter la somatisation.

Il se penche en premier lieu sur l’expression de l’impasse dans la psychopathologie freudienne.

Concernant l’hystérie, il s’agirait, dans une attitude empreinte de domination et de séduction, d’une relation axée sur le pouvoir. Cette relation se verrait alors bloquée du fait de la maintenance des modalités de pouvoir de part et d’autre.

Dans les “situations liées à la pathologie organique”, on aurait affaire à une impasse qui naîtrait d’un conflit où la seule solution possible aboutirait à une séparation, séparation dont l’évocation provoquerait “une angoisse de perte intolérable” (2003, p21).

Pour ce qui est des troubles bipolaires, on observerait en premier lieu, avec l’état maniaque ou hypomaniaque, une fuite en avant dans la négation de toute limite ; cette fuite en avant étant marquée par un rythme déstructuré du fait d’un emballement frénétique ; et ce rythme débridé mènerait, au bout du compte, à l’épuisement, accompagné d’un état de dépression. La notion d’impasse résiderait ici dans le fait qu’il n’y ait pas possibilité de vivre les deux états conjointement.

Par ailleurs, Sami-Ali met l’accent sur un deuxième type d’impasse, se présentant comme un “cercle vicieux”. C’est-à-dire que, dans ce cas, la solution apportée pour résoudre le problème vient, dans le même temps, alimenter et renforcer ce problème. Il évoque notamment l’allergie. Sur un plan physiologique, le fait de se gratter représente à la fois la solution et l’alimentation du problème. Sur un plan psychique et relationnel, Sami-Ali parle de l’allergie comme d’une réponse somatique à l’impasse relationnelle (divorce des parents ou impossibilité de communiquer avec eux), mais qui déplace le problème vers le corps, alors que l’enfant aurait besoin d’une communication de l’ordre du subjectif, de sorte que l’allergie ne résout rien.

Sami-Ali appelle la troisième forme d’impasse “l’alternative absolue”, lors de laquelle

‘“le sujet affronte une situation où le jeu se conforme au principe de tout ou rien”.’

Du fait d’une difficulté de la part des acteurs de la relation à rester à bonne distance les uns des autres (ni trop près, ni trop loin), il se produirait, à partir de faits anodins, des conflits allant jusqu’à une intensité extrême, chacun maintenant sa position, sans aucun possibilité de compromis. Sami-Ali évoque alors une

‘“angoisse de se perdre dans l’autre ou de se perdre en perdant l’autre”.’

Cette relation conflictuelle, à mon sens très proche de la violence fondamentale telle que décrite par Jean Bergeret (1984), se fige jusqu’à épuisement des protagonistes, ouvrant alors la voie à la maladie organique.