B.2.3- Créer le symbole, la métaphore

‘“J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ;
des guirlandes de fenêtre à fenêtre ;
des chaînes d’or d’étoile à étoile… et je danse”
Arthur Rimbaud, Illuminations’

Dominique Megglé met l’accent sur les vertus associatives de l’hypnose, lors de laquelle

‘“l’activité mentale se retourne vers l’intérieur, pour connecter les apprentissages récents avec ceux du passé. Cette connexion n’opère pas suivant une logique rationnelle, mais associative et analogique. C’est une recombinaison des associations mentales de la personne pour qu’elle unifie son expérience” (1998, p64).’

La pensée humaine fonctionne essentiellement par le biais associatif. Le phénomène d’apprentissage et de mémoire, par exemple, se voit directement corrélé avec le contexte dans lequel s’est effectué cet apprentissage. Chacun sait précisément ce qu’il faisait et où il se trouvait le jour du 11 septembre 2001, aux alentours de 15h. En revanche, qui se souvient de son “emploi du temps” du 10 ou du 12 septembre 2001 ? De la même façon, une étude (Rasch et al., 2007) a pu montrer que des sujets sains séparés en deux groupes, et auxquels on donne à effectuer le même apprentissage, auront de meilleurs résultats s’ils font partie du groupe ayant respiré un parfum de rose pendant l’apprentissage, et pendant la nuit (moment de la consolidation mnésique) suivant cet apprentissage. L’apprentissage, associé au parfum, à un contexte spécifique, se voit davantage consolidé.

Au-delà du contexte, on a pu faire l’expérience de l’impact de l’émotion sur la mémoire. L’émotion agit comme un “catalyseur mnésique”, de sorte qu’un souvenir dont le contexte serait chargé d’émotion laisserait une trace mnésique plus forte qu’un souvenir dont le contexte serait plus neutre sur le plan émotionnel.

La pensée se présente ainsi sous forme d’une “carte heuristique”, sur un mode circulaire, où chaque stimulation serait l’initiatrice d’une chaîne associative, dont nous serions plus ou moins conscients, en fonction de son utilité. Notre esprit produit ainsi en permanence des centaines, voire des milliers de chaînes associatives, dont la somme et la combinaison créent notre “univers interne”, notre manière de percevoir la réalité. En fait, cette combinaison des chaînes associatives n’est autre qu’une forme de conditionnement des stimulations de l’environnement pour créer une réalité.

Il nous est, par exemple, arrivé à tous de nous demander pourquoi, soudainement, telle pensée surgissait dans notre esprit, sans raison logique, sans crier gare. Or, lorsque nous parvenons, ce qui n’est pas toujours le cas, à “remonter le fil” de cette pensée, c’est par le biais d’une chaîne d’associations mentales “à l’envers” que retrouvons l’idée initiale.

L’utilisation d’une pensée linéaire, rationnelle, dite “digitale”, n’advient que lorsque nous concentrons notre pensée pour structurer notre langage, écouter, écrire, compter, élaborer un projet… autant d’applications qui nous mettent en relation avec le monde, et n’excluent pas, pour autant, une pensée “associative”, dite “analogique”, parallèle.

La pensée analogique procède essentiellement par “tropes”, par figures de style. Selon Nadine Bertoni,

‘“Ce serait la carence du langage ou des possibilités d’expression verbale qui nous aurait conduits à développer des modes de pensée ‘tropologiques’” (1998, p148).’

Ainsi, la pensée digitale semble la plus couramment employée pour l’établissement d’une structure commune de communication avec l’environnement, alors que la pensée analogique serait plus abondante dans une communication interne et intime, de soi-même à soi-même.

Pourrions-nous aller jusqu’à amalgamer d’un côté la pensée digitale avec la représentation de mot propre au processus secondaire, sous-tendant une énergie liée au sein du système Préconscient/Conscient, et mue par le principe de réalité, et de l’autre la pensée analogique avec la représentation de chose, sous-tendant une énergie libre au sein du système Inconscient, et mue par le principe de plaisir ?

On en revient, dès lors, à la distinction entre un raisonnement logique et une approche perceptive, entre les démarches cartésiennes et pascaliennes, entre les théories réductionnistes et constructivistes, pour situer le fonctionnement de l’hypnose, au sein d’une approche systémique de l’individu.

‘“Dans une séance hypnotique, il y aura toujours cette tentative de court-circuiter le fonctionnement logique, analytique pour privilégier cette capacité de synthétiser en image nos perceptions, nos expériences émotionnelles. Cela permet de reconstruire l’abstrait et de recréer une image du monde immédiate et globale, de mobiliser l’intuition et cette capacité d’associer les idées et de créer des connexions spontanées” (Yves Halfon, 1998, p68).’

L’hypnose, en effet, se positionne ouvertement dans le courant constructiviste, et développe tout l’univers de la pensée analogique pour entrer en contact avec le patient, pour le toucher directement dans son fonctionnement intime, d’abord, par l’annulation du principe d’altérité, décrite par Melchior, puis par une communication suggestive imagée, pour un nouveau conditionnement de la réalité.

‘“Faire une image revient à préférer le figuré au littéral” (Yves Halfon, 1998, p66).’

“Le figuré”, autrement dit la manière dont on se figure, dont on se représente le monde par des images. À nouveau, il s’agit ici de partir du principe qu’aucun “littéral” n’existe en tant que réalité absolue, et qu’on ne peut approcher un patient qu’en se fondant dans son univers intime, qu’en parlant son langage.

D’abord, l’hypnothérapeute s’attellera donc à cerner le mythe “moteur” chez son interlocuteur. De là, il utilisera une palette spécifique de symboles et de métaphores, puisés dans la culture familiale et personnelle du patient, car

‘“La plus grande partie de notre système conceptuel est structuré métaphoriquement et les métaphores qui nous font vivre, penser, agir, ont leur fondement dans l’expérience individuelle ou culturelle” (Nadine Bertoni, 1998, p149).’

Ces métaphores permettent de transposer une information complexe et dense, en une synthèse touchant le cœur du mythe, car employant le même langage, la même “longueur d’onde”. Ainsi, nous dit, Yves Halfon,

‘“L’allégorie, c’est l’art de la transposition” (1998, p66).’

Il y avait un film, dans mon adolescence, où une jeune fille et sa grand-mère, pour décrire une personne, s’amusaient à imaginer de qui cette personne aurait pu être l’enfant : “Ce garçon, ce serait le fils de Georges Sand et de Zorro, ou encore de Grâce Kelly et d’Arsène Lupin”… Pas besoin d’un long discours, les images parlent d’elles-mêmes, les mythes se combinent entre eux. Nulle utilité d’une description analytique “C’est quelqu’un qui a un caractère comme ça, et qui aime ceci et cela, parce que, quand il était petit…”.

L’Inconscient calcule les formules ultra-complexes des métaphores employées, il associe et donne la solution, une manière de percevoir le réel.

Cet exemple de cinéma me semble d’autant plus fort qu’il représente vraiment l’idée d’un mythe familial qui se transmet et se recompose, en fonction d’une nouvelle réalité, et de la prépondérance du mythe dans la construction de la perception d’un individu.

La publicité utilise aussi la communication tropologique, ou métaphorique. Plutôt que d’exprimer rationnellement l’idée qu’un club de vacances est “propice au bonheur, parce que le cadre y est agréable, qu’il offre des activités sportives diverses et variées, qu’on y mange bien, mais que ce n’est pas un de ces lieux où l’on vous prive de vos libertés en vous poussant lourdement à une vie grégaire”, on montre simplement une image synthétisant des symboles de bien-être, avec un court slogan “Le bonheur, si je veux”.

Ainsi, Bertoni propose-t-elle l’idée que

‘“La métaphore devient le plus petit dénominateur commun entre les êtres, la plus petite unité objectivement communicable […].  Entre autres figures tropologiques, la métaphore nous permet de nous approprier les pensées métaphysiques et intellectuelles complexes. […]  Ordinairement, la métaphore, qui nous sert à représenter quelque chose de complexe (j’assume trop de choses) au moyen de quelque chose de plus simple, parce que correspondant à une expérience corporelle (j’en ai plein le dos), a une visée communicationnelle : la métaphore sert à représenter mon rapport au monde et à autrui, cet autrui fût-il moi-même. (Nadine Bertoni, 1998, p154).’

On perçoit, dès lors, la métaphore comme le noyau qui rend possible l’intersubjectivité, l’interpénétration de deux univers internes, sans le passage obligé par la case “compréhension analytique” d’autrui.

Mais, tout comme le mythe, toute métaphore, tout symbole, pour garantir une évolution saine, doivent être de structure intelligente, c’est-à-dire évolutive, souple et adaptable à une expérience nouvelle.