B.3.3- L’hypnose comme modèle de restauration de l’endocongruence

‘“La douleur m’est égale, je n’aime pas l’alternative”
Milton Erickson ’

L’individu souffre, et l’hypnose se présente probablement comme un moyen approprié de faire face, voire de transformer cette souffrance. Pourquoi ? Nous proposons l’hypothèse de Delbœuf défendue par Halfon, de la douleur chronique comme un modèle négatif d’auto-hypnose. En effet, le phénomène hypnotique semble posséder la même structure que le phénomène douloureux chronique. Seul le contenu change.

‘“La douleur chronique renvoie à l’hypnose. Elle est fixation de l’attention, réduction du monde sensoriel et affectif du patient, et elle s’amplifie grâce aux processus de pensée tels que l’imagination et la mémoire, à travers le langage intérieur fait de mots, d’images. La douleur chronique est un enfermement quasi hypnotique de la personne, et l’on comprend que parmi les approches thérapeutiques l’hypnose est une possibilité de libérer le patient de cette douleur/enfermement, de cette douleur/captation. La douleur est perturbation de la conscience et de son fonctionnement habituel” (Yves Halfon, 2004, p38).’

L’hypnose pourrait donc se présenter comme un antagoniste de la douleur chronique , remplaçant une forme de conditionnement par une autre. Au-delà d’une simple technique, l’hypnose, comme la douleur chronique, se pose comme un formidable attracteur, du fait de son action sur le système de pensée dans son ensemble. Mais, à l’inverse de la douleur chronique, probablement issue d’un système rigide et constituant un attracteur étroit et profond, l’hypnose génère un assouplissement et une évolutivité du système, en se constituant comme un attracteur large et peu profond. Il devient alors possible d’accompagner l’individu en souffrance vers une forme d’entropie, voie royale pour atteindre un changement co-évolutif avec l’environnement.

Dans la douleur chronique, le sujet convoque l’autre dans sa sphère intime. En hypnose, le sujet convoque le monde en lui.

Dans la douleur chronique, le sujet anticipe sa douleur, et contribue à la créer. Or, l’hypnose a la chance de véhiculer une forte charge anticipatoire : “L’hypnotiseur va me faire quelque chose, et je vais aller mieux”. L’anticipation du bien-être contribuera souvent à créer une partie de ce bien-être.

Notons, pour illustrer cette idée, l’étude menée pas Sumitani et al. (2007), montrant que le port de lunettes prismatiques, propres à changer la perception visuelle, modifie la perception de la douleur dans le cadre d’un syndrome régional complexe. Cette étude démontre combien, quand la réalité concrète se présente comme une métaphore de la réalité psychique, la vision du monde peut altérer la perception et le rapport à soi-même, à la manière des “lunettes perceptives” de Zeig.

La réalité douloureuse chronique a modifié la perception somatique, allant du schéma corporel à l’image du corps, toutes deux morcelées, dissociées.

Le schéma corporel, c’est la “cartographie” du corps, celle qui permet de savoir précisément quel membre mobiliser pour quelle action.

‘“Édifié sur les impressions tactiles, kinesthésiques, labyrinthiques et visuelles, le schéma corporel réalise dans une construction active contamment remaniée des données actuelles et du passé, la synthèse dynamique qui fournit à nos actes, comme à nos perceptions, le cadre spatial de référence où ils prennent leur signification” (Ajuriaguerra, 1970)’

Avec Paul Schilder (1968), l’image du corps s’impose comme un principe unificateur, déterminant la limite entre l’intérieur et l’extérieur. Selon Anne Sanglade (1983), l’acquisition psychogénétique de l’image du corps serait ultérieure à celle du schéma corporel.

L’image du corps lie profondément le sujet à son mythe, à son histoire, et à son environnement. Elle fait référence au

‘“corps objectalisé qui médiatise la relation à l’autre et agit comme le passage entre le dedans et le dehors, entre le Moi et les autres. Cette représentation de soi dépend des relations aux autres et de leur qualité, ainsi que de la formation du narcissisme. À tout moment elle peut être modifiée. Elle peut s’érpouver solide ou détruite, désirée ou rejetée, elle est liée à l’épreuve du narcissisme et à la vie relationnelle (Sanglade, 1983).’

À celle d’image du corps, Didier Anzieu (1995) ajoute la conception de “Moi-peau”, qu’il définit comme une “peau pour la pensée”.

L’image du corps n’est autre qu’un mythe concernant son propre rapport à soi et au monde à travers le corps.

Dans cette “désunion” intérieure et extérieure vécue par le douloureux chronique, celui-ci se révèle alors souvent inapte à réintégrer son corps dans un schéma fonctionnel.

Nous l’avons dit, avec le déficit d’endocongruence, le douloureux chronique est souvent trop “collé” à lui-même, dans une position “méta” rigide, pour avoir le recul d’une image cartographique de son corps. Paradoxalement, il est aussi devenu trop étranger à lui-même pour habiter et “repérer” son corps.

Quant à l’image du corps, elle devient un médiateur entre soi et le monde détérioré ou biaisé par le négatif, du fait du déficit d’interaction avec soi-même et l’extérieur, ainsi que du manque de circularité de l’énergie libidinale, ayant pour conséquence un appauvrissement sans fin du Moi.

Mais, comme l’explique Sanglade, l’image du corps n’est pas une donnée figée.

‘“L’image du corps se construit, se dissout, se reconstruit” (Schilder, 1968).’

Un mythe, si tant est qu’on l’y aide, peut recommencer à évoluer, à se transformer, et à se transmettre à nouveau de façon fonctionnelle.

Dans la douleur comme un négatif de l’hypnose, le schéma corporel et l’image du corps connaissent un “démantèlement”. Avec l’hypnose se produit, selon Erickson, une “réassociation de la vie intérieure” (Zeig, 1997, p144). Sur un même plan que la douleur, l’hypnose agit de l’intérieur du système.

‘“La douleur serait hypnotisante dans la mesure où elle porterait l’attention à se retirer du monde extérieur vers l’intérieur du corps propre” (Halfon, 2004, p37).’
Notes
.

Mais, encore une fois, si l’on observe avec une vision plus étendue, on s’aperçoit que toute construction d’une réalité mythique, tout entretien et toute transmission de cette réalité, fonctionnelle ou non, se produit sur le modèle hypnotique. Chacun est hypnotisé par ses croyances, ses valeurs, ses peurs, son système en général. L’hypnose thérapeutique se proposerait ainsi d’utiliser les ressources d’un potentiel existant en le canalisant, pour réorienter la réalité douloureuse. Dès lors l’hypnose serait à la réalité ce qu’un barrage serait à une rivière. “Mon but est de vous apprendre à passer d’une absurdité déguisée à une absurdité patente”, annonçait Ludwig WITTGENSTEIN.