Anticipations “négatives”

Si une expérience (douloureuse ou non) est vécue et rappelée à la conscience comme traumatique, on peut supposer, par un mécanisme cognitif associatif, que toute perspective d’expérience du même ordre va placer l’individu dans le même contexte émotionnel et sensoriel, et l’inciter à s’en prémunir. Ce sont là les prémisses de l’anticipation. Car, afin d’éviter la reproduction de cette situation, l’individu va, en premier lieu, sélectionner dans la réalité toute information susceptible d’être liée au vécu traumatique originel pour être en mesure de s’en défendre. Or, cette sélection préventive aura pour effet d’activer plus rapidement les représentations associées à l’expérience de base.

Dans le cadre de la douleur, comme nous l’avons vu plus haut, on sait que la connotation nociceptive plus ou moins grande liée à une expérience sensorielle, sera largement fonction de son interprétation émotionnelle en comparaison avec les ressentis antérieurs face à une expérience de même ordre.

Il apparaît ainsi que l’anticipation de la perduration des symptômes algiques agisse en partie sur la chronicisation de la douleur (Laurent et al., 2002 ; Young Casey et al., 2008). En effet, les mécanismes attentionnels ne sont pas, comme nous l’avons vu, uniquement capturés par la sensation douloureuse, mais aussi par la représentation, mise en perspective, d’une douleur potentielle. Cette forme “négative” d’anticipation serait fortement susceptible de précipiter l’individu dans un cycle récurrent.

Par ailleurs, si la douleur chronique inhibe physiquement, il semble en aller de même sur le plan de la dimension psychique. Nous savons qu’il existe un lien entre la nature négative des connotations anticipatoires et l’état dépressif (Gracely et al. 2004). Cet état se caractérise principalement par l’anhédonisme, c’est-à-dire l’incapacité à vivre et à se représenter toute situation comme une source potentielle de plaisir. Il apparaît, en outre, une corrélation entre l’état dépressif et la douleur chronique (Gracely et al., 2004).

En effet, il semble que la douleur persistante s’accompagne, dans la majorité des cas, des symptômes de la dépression : isolement social, troubles du sommeil et de la mémoire, rumination mentale, incapacité constante au bien-être, manque d’espoir en l’avenir (anticipations “négative”).

Tout porte à penser (Young Casey et al., 2008) que la dépression, liée à un processus anticipatoire pessimiste, se présenterait comme le plus puissant prédicteur de chronicisation de la douleur.

En outre, l’étude de Sumitani et al. (2007) montre une modification de la perception de la douleur, chez des sujets souffrant de syndrome régional complexe, du fait du port de lunettes prismatiques, une fois par jour pendant 14 jours, déviant la vision de 20 degrés à partir de côté non affecté par la douleur. On peut en déduire combien les processus cognitifs impliqués dans l’” apprentissage de la douleur” et d’une perception négative de son corps peuvent influencer les sensations qui en proviennent.