B.4- Discussion

B.4.1- Comparaison des EVA

Que ce soit en condition d’éveil ou d’hypnose, on peut noter dans un premier temps que la communication d’une suggestion d’analgésie se révèle efficace pour diminuer l’intensité de la lombalgie chronique. Notons cependant que la même communication en état d’éveil ne produit que 28,5% de diminution, contre 64,2% pour l’hypnose, concernant la totalité des sujets. Ces résultats confirment ceux de la littérature (notamment, Faymonville et al., 2003).

Par ailleurs, les deux types de suggestion, indirect ou direct, ne produisent pas, en hypnose, des taux moyens d’auto-évaluation de la douleur significativement différents l’un de l’autre.

On peut ainsi se poser la question de la nécessité d’une spécificité de la nature de la suggestion. L’efficacité de la suggestion dépendrait-elle majoritairement de l’état de vigilance du sujet auquel on la communique ?

Les résultats des EVA comparées entre suggestion indirecte et directe en état d’éveil tendent à infirmer cette hypothèse, puisqu’elles montrent une différence (de respectivement 18,6% et 38,2%) dans la baisse de la sensation douloureuse, après la suggestion en état d’éveil. Pour autant, on ne retrouve pas cette différence après la suggestion hypnotique.

Également, l’étude de Derbyshire et al. (2004) ne va pas dans le sens de l’hypothèse émise, montrant qu’une suggestion d’algie engendre une augmentation de la douleur estimée par le sujet (par EN), laissant supposer que la teneur de la suggestion est directement corrélée avec la nature de son impact. Cependant, on peut relativiser cette réflexion du fait de la différence, dans l’étude précitée, entre les EN en état d’hypnose et d’imagerie mentale d’une douleur. Là encore, la suggestion hypnotique (d’algie, cette fois) a pour conséquence une moyenne d’EN très supérieure à la suggestion douloureuse par imagerie mentale. On pourrait en conclure que l’impact d’une suggestion dépend de deux facteurs conjoints : l’état de conscience du sujet quand on la lui communique, et sa teneur générale. En effet, si le contenu précis d’une suggestion ne semble pas influencer le vécu douloureux, le contenu général (suggestion positive versus suggestion négative, par exemple) s’avère impactant, et davantage encore s’il est communiqué par hypnose, en comparaison avec un état d’éveil.

Dans la comparaison des EVA entre les suggestions indirecte et directe, on note par ailleurs une différence concernant l’effet de perduration du bénéfice de l’hypnose. C’est ainsi qu’après le Repos3 succédant directement à l’hypnoanalgésie indirecte, le vécu douloureux continue de baisser d’encore 6,8%, alors qu’il augmente de nouveau de 50,4% après le Repos3 succédant directement à l’hypnoanalgésie directe. Ces résultats indiquent un phénomène de rémanence de l’effet de l’hypnoanalgésie indirecte, alors que l’effet de l’hypnoanalgésie directe semble s’atténuer dès l’arrêt de la stimulation hypnotique.

En revanche, dans les trois jours consécutifs à l’examen, les EN relatives à la suggestion indirecte augmentent de nouveau progressivement jusqu’à atteindre une hausse de 14,1% par rapport à l’” avant hypnose”, alors que les EN relatives à la suggestion directe diminuent de nouveau progressivement jusqu’à atteindre une baisse de 30% par rapport à l’” avant hypnose”. Bien qu’ils montrent une diminution de la douleur plus “spectaculaire” grâce à l’hypnose directe, ces résultats suggèrent une action plus harmonieuse ou moins brutale de l’hypnose indirecte dans le vécu du sujet, laissant supposer qu’une multiplication des séances d’hypnose tendrait modifier positivement et sans heurts son expérience algique.

Dans la comparaison entre les patients suggestibles (S) et non suggestibles (NS), on note de très nettes différences. Tout d’abord, les diminutions d’EVA se révèlent considérablement plus importantes en moyenne, en éveil comme en hypnose, chez les sujets S (respectivement 41,4% et 81,4%) que chez la totalité des sujets (respectivement 28,5% et 64,2%), alors ce ces diminutions se montrent extrêmement plus faibles chez les sujets NS (respectivement 10,5% et 40,3%), en comparaison avec la totalité des sujets, atteignant à peine, avec l’hypnose, un pourcentage de diminution égal à celui des patients S à l’état d’éveil. On observe ainsi, entre les sujets S et NS, une différence d’impact de la suggestion d’analgésie de plus de 30% en état d’éveil et 40% en état d’hypnose, à la faveur des patients S. Ces résultats évoquent une action considérablement plus efficace de la suggestion chez les sujets S, ajoutant la suggestibilité comme un troisième facteur apportant de l’impact à une suggestion, les deux autres étant l’état de conscience du sujet, et la teneur générale de la suggestion.

En outre, on s’aperçoit que les EN estimées par les sujets S dans les trois jours consécutifs à l’examen confirment une diminution, alors qu’elles augmentent très brutalement à J1 chez les sujets NS, pour atteindre cependant presque le même taux de diminution moyen que le groupe des sujets S au troisième jour. Ces résultats évoquent une tendance plus harmonieuse, chez les sujets S, pour parvenir à la même diminution de la lombalgie chronique.

Cependant, ces résultats peuvent se voir relativisés du fait du faible nombre de patients NS (5), amoindrissant probablement de façon conséquente la significativité de la cartographie cérébrale correspondante.

Par ailleurs, il est à noter que le score moyen à l’Échelle de Roland, évaluant la dimension handicapante, dans le quotidien, de la lombalgie chronique, se révèle, étonnamment corrélé avec la suggestibilité. Si la moyenne des 12 sujets est de 10,4/24, celle des sujets S est de 11,7/24, et celle des sujets NS de 8,8/24, ce qui constitue une différence de 24,6%. Étonnamment, les sujets s’estimant les plus handicapés par leur douleur se montrent aussi les plus suggestibles.

On peut, finalement, tirer de ces résultats les conclusions suivantes :

  • La suggestion d’analgésie exerce un impact sur la lombalgie chronique, et ce davantage lorsqu’elle se voit communiquée en état d’hypnose, en comparaison avec l’état d’éveil.
  • Si les suggestions hypnotiques indirecte et directe ne se différencient pas quant à la diminution de la douleur au moment même de leur communication, elle se différencient par la suite, au niveau de la constance de l’évolution moyenne de la douleur, à la faveur de la suggestion indirecte, la suggestion directe semblant générer des variations algiques multiples et de grande amplitude.
  • La suggestibilité des patients influence nettement l’efficacité de la suggestion, que ce soit dans l’immédiateté de sa communication, ou dans un temps consécutif.
  • La lombalgie chronique se voit donc immédiatement amoindrie par la suggestion d’analgésie, davantage encore si elle est communiquée à un sujet en état d’hypnose puis davantage encore si ce sujet est suggestible. Ultérieurement, une perduration constante de l’analgésie semble s’opérer, dès lors qu’il a été procédé à une suggestion indirecte, qui plus est sur un sujet suggestible.