Discussion conclusive

Qu’est-ce que l’hypnose ?... Un discours fantaisiste qui fait penser à une chanson douce, dans un rythme apaisant, sollicitant des représentations connotées d’émotions agréables… un état d’esprit, une façon d’être au monde, plus souple, plus ouvert, plus résistant aussi.

C’est donc ça ? Un simple “blabla”, qui pourrait transformer la manière de vivre une expérience, une étape de vie, une perception de soi-même, des autres, de son environnement, une sensation douloureuse en une sensation commune, voire même agréable ?

Nous l’avons vu, un douloureux chronique n’est pas simplement quelqu’un qui a mal fréquemment. Il s’agit d’une personne qui souffre très probablement de ne pas être en lien, tant avec lui-même qu’avec le monde. La communauté d’émotions lui est difficile. Et quand elle est possible, c’est souvent au travers d’émotions négatives, dont le malade douloureux a peine à se défaire de la contagion. On le croit empathique, car il se montre très perméable à la relation et aux aléas de la vie. En réalité, il ne semble pas être doté de la carapace naturelle qui nous permet de nous distancier de l’autre, tout en en étant proche, afin de préserver notre autonomie identitaire.

Sa façon d’avoir mal est certainement le fruit d’un apprentissage très long et très ancré, provenant à la fois de sa culture, de sa manière de se sentir aimé ou mal aimé à travers la douleur, et d’un entretien soigneux de cette perspective, en la validant et en la faisant valider par son système familial, social, médical.

Le douloureux chronique est aussi quelqu’un qui souffre de résister en permanence au monde et à ses sollicitations, de façon frontale, par anticipation d’une souffrance plus grande. Il utilise ainsi toute son énergie pour résister, se défendre. Pour ne s’occuper que d’une bataille, il se coupe davantage encore du monde, et vit alors un décalage de plus en plus grand d’avec son environnement. Il n’est plus dans la même mouvance, plus dans le même rythme. Les stimuli et informations extérieurs lui parviennent ainsi déjà transformés, en un danger potentiel.

L’un des résultats les plus marquants de l’étude que nous avons menée par TEP, dans le cadre de la lombalgie chronique, est la mobilisation, sous hypnose, du réseau neuronal de l’empathie, alors que la condition d’hypnose se révèle justement celle qui engendre la modulation douloureuse la plus importante. Bien sûr, on ne peut tirer de relation directe de cause à effet dans le phénomène observé. Autrement dit, on ne peut pas affirmer que l’hypnose stimule le réseau cérébral de l’empathie chez les sujets lombalgiques chronique parce que c’est précisément le réseau qui semble faire défaut dans cette population. On ne peut pas déclarer non plus, si déficit empathique il y a, et si ce déficit se voit pallié par l’hypnose, comme nous l’avons vu, que c’est ce processus qui exerce une quelconque influence sur la douleur, bien que les deux phénomènes "empathie" et "baisse de douleur" soient concomitants dans la condition d’hypnose. Pour confirmer cette hypothèse, il conviendrait de mener plus avant nos recherches, d’abord, sur un éventuel trouble de l’empathie chez des patients douloureux chroniques, puis sur une possible modulation nociceptive après une mobilisation des ressources empathiques au travers de l’hypnose.

Le processus empathique se montre proche de trois phénomènes décrits en psychologie :

  1. L’accordage affectif (Stern, 1985) lors duquel le partage d’affect, de sensation à sensation, sous forme de “correspondance transmodale”, permet au sujet de se constituer un “sens de soi” ;
  2. L’intersubjectivité, que Rochat (1999) définit comme “le sens de l’expérience partagée, qui émerge de la réciprocité”, et qui permet la différenciation d’avec l’autre ;
  3. L’image du corps, que Schilder (1968) présente comme un principe unificateur entre l’intérieur et l’extérieur de soi-même, et qui ne peut se construire qu’au travers de la relation à l’autre.

Ces trois phénomènes, impliqués dans l’empathie, révèlent en commun une forte corrélation entre la sensation physique et la relation émotionnelle à autrui, comme un élément fondamental de la constitution identitaire, séparant le sens de soi du sens de l’altérité. L’empathie, comme la douleur chronique, revêt ainsi plusieurs dimensions : émotionnelle, identitaire, relationnelle et sensorielle. Dans la douleur chronique, l’empathie mobilise alors le système de croyance et de perception concernant son corps, allant du schéma corporel à l’image du corps. C’est ainsi que la question d’une probable dysfonction du processus empathique dans la douleur chronique demande à être étudiée sous toutes ces dimensions.

Sur un plan cérébral plus global, on a vu que la lombalgie chronique se montre hautement corrélée avec une atrophie de la substance blanche, celle-là même qui permet de conduire l’information dans le cerveau de façon fluide et efficace, celle qui permet aussi aux fibres nerveuses d’être myélinisées, “gainées”, et donc protégées. On peut imaginer ainsi combien, à la fois sa “psyché” et son cerveau sont “formatés” pour ressentir “danger”, “compensation”, “lenteur”… Par ailleurs, ces résultats évoquent aussi une correspondance avec un déficit empathique dans la douleur chronique, dont les symptômes généraux pourrait s’avérer transposables : manque de circularité de l’énergie libidinale, “fluide turbulent”, sentiment d’insécurité interne.

Avec l’hypnose, on se rend compte que ce ne sont pas que quelques mots, que ce n’est pas qu’une technique narrative, qui vont amener l’individu vers un épanouissement. L’hypnose, grâce aux représentations qu’elle mobilise chez le lombalgique chronique, semble se poser comme une porte d’entrée cognitivo-émotionnelle pour le changement. Son impact sur l’activité cérébrale se situerait ainsi dans le registre du plaisir retrouvé, dans le lien endocongruent et empathique, comme un réapprentissage du chemin neuronal pour se positionner différemment dans le monde et dans son corps. Bien sûr, la même suggestion, communiquée sans hypnose, exerce une influence sur la douleur, mais cette influence semble plus ponctuelle et éphémère.

La technique de la suggestion directe permet d’obtenir des résultats tout aussi directs. Mais avec la vision élargie de la suggestion indirecte, les résultats paraissent davantage pérennes et robustes:

Avec la suggestion directe, je souffre moins, maintenant, et je donne à mon système neuronal la possibilité d’un réapprentissage du vécu non-douloureux, et d’une adaptation à celui-ci.

Avec la suggestion indirecte, je me sens mieux avec moi-même et dans mon élément, je suis à nouveau au contact avec des émotions agréables, dont je perçois qu’elles proviennent de mon propre “bagage interne”, et que je peux les mobiliser à nouveau sans effort particulier pour changer.

Si la nature de la suggestion semble agir différemment sur la cognition ou sur les émotions pour transformer l’expérience douloureuse, la question s’est posée de savoir si l’état hypnotique était réellement nécessaire pour la communiquer. L’hypnose ne représenterait-elle qu’un folklore du champ thérapeutique ?

Nos résultats montrent qu’il existe une différence entre les réseaux cérébraux mobilisés en état d’hypnose et en état d’éveil, pour une même suggestion. L’hypnoanalgésie semblerait plus encline à exercer une action sur les dimensions cognitive et émotionnelle de la douleur, alors que la suggestion en état d’éveil susciterait une réponse cognitive et sensori-motrice. Pour autant, dès lors que le type de suggestion employé modifie l’influence sur le vécu du sujet, on peut émettre l’hypothèse que c’est la conjugaison des effets de l’hypnose et de la suggestion qui donne tout son poids au phénomène en jeu.

L’état d’hypnose semblerait ainsi préparer un terrain de fond pour le changement, par une réassociation des émotions agréables avec une expérience interne. Bien sûr, nous ne sommes pas étonnés de nous rendre compte que la suggestion connaît un impact plus fort quand elle est communiquée chez des sujets suggestibles. La suggestibilité, à notre avis, représente déjà une forme de souplesse cognitive plus propice à une évolution, alors que la non-suggestibilité semble témoigner d’une forme de rigidité constituant un frein au changement, et demandant au thérapeute davantage de “malice” pour contourner les résistances.

Ces résultats peuvent ainsi se montrer comme un formidable outil à l’attention du thérapeute, qui saura, en fonction du patient et de l’étape où il se trouve dans son parcours vers la santé, dissocier ou conjuguer les suggestions pour une efficacité maximale, et choisir la manière, plus forte, plus douce, de communiquer son message, en sachant que l’impact produit ne sera pas le même en fonction de son choix.

Avec l’hypnose, le thérapeute propose à son patient une autre manière d’être au monde. Mais, bien sûr, il reste nombre de questions qui n’ont pas encore trouvé réponse quant au fonctionnement de cette approche. Le pouvoir de l’hypnose repose-t-il majoritairement sur ses vertus “placebo”, autrement dit sur l’anticipation d’un état de conscience différent ? Par ailleurs, que se passe-t-il exactement, lors de l’induction hypnotique, pour que le sujet “bascule” d’un état de conscience à un autre ? Des analogies se voient souvent proposées entre l’hypnose et le sommeil. Le mot “hypnose” lui-même provient du grec “sommeil”. L’hypnose, comme le suggère François Roustang, représenterait-elle une autre manière de rêver ? Dans ce cas, il semblerait intéressant d’étudier en parallèle les vertus du rêve et celles de l’hypnose, pourquoi pas au travers du rêve lucide, reposant sur un entraînement à être promoteur et acteur de ses rêves nocturnes, et dont certains chercheurs (Holzinger et Klösch, 2008) commencent à percer les mystères ?

Concernant la relation entre l’hypnose et la douleur chronique, de multiples champs restent également à explorer. Sur un plan systémique, il paraît fondamental d’étudier la douleur chronique dans son cadre d’émergence familiale, d’approfondir la question du mythe autour de la douleur, et de proposer une prise en charge hypnotique en conséquence, auprès de l’individu seul et de sa famille, afin de mesurer les effets.

Bien sûr, les phénomènes de sensibilisation ou d’habituation semblent représenter un point clef de la compréhension de la douleur chronique. Peut-être l’hypnose peut-elle permettre une alternative à la sensibilisation ?

Mais, nous l’avons évoqué plus haut, il semble aussi que la question de l’empathie n’est pas encore tarie. Si notre recherche a commencé d’ores et déjà à ouvrir ce champ, nous sommes loin d’avoir cerné les tenants et les aboutissants de l’influence d’une éventuelle problématique empathique sur la douleur chronique, et d’une remédiation possible par différentes approches telles que l’hypnose.

“BIOPSYCHOSOCIAL” : Il ne peut exister, selon nous, de prise en charge écologique que dans cette perspective systémique. Il paraît désormais évident à tout praticien en médecine ou en psychologie, que l’Homme ne peut davantage se voir perçu et pris en charge de façon "découpée", comme s’il n’était qu’un dos, qu’un bras, qu’une émotion, qu’une souffrance, qu’un neurone… L’Homme représente cela, certes, mais bien plus encore. Pour la santé globale du patient, il nous faut absolument pérenniser une observation de ses interactions, tant avec toutes les dimensions de lui-même, qu’avec toutes les dimensions de son environnement. C’est dire combien la pensée systémique demande de ne pas céder systématiquement à la facilité de nos automatismes de chercheurs et de cliniciens, et d’ouvrir la porte, nous aussi, à la "combinaison complexe" de nos ressources.