Le nouveau paradigme

Selon Kuhn, un paradigme ne disparaît que par son remplacement. Ce qui amène ce changement, c’est d’une part que les énigmes se multiplient et deviennent des anomalies et, d’autre part, qu’un concept émerge sur lequel peuvent s’accorder les scientifiques6. Or le risque est en train de devenir incontournable. À force de l’examiner sous toutes ses facettes, la communauté économique finira par lui rendre justice7. Le nouveau paradigme s’imposera naturellement. Dans quelques années, et peut-être déjà aujourd’hui, dans les manuels, les apprentis économistes apprendront que nos sociétés sont fondées sur la recherche de profit et sur la gestion des risques8. Comme on peut le constater dans la note de bas de page, c’est déjà le programme des institutionnalistes dont North est le chef de file.

Pour les pays en développement9, le changement de perspective aura des conséquences bien plus radicales que pour les pays développés. Selon Sen10, il faudra repenser les systèmes politiques. Mais sans doute, il apparaîtra dans certains cas que la démocratie à l’occidentale n’est pas la plus efficace. De toutes les façons, cela permettra une analyse économique normative du système le plus adapté. De même, les structures économiques pourront être réformées de façon plus rationnelle et moins idéologique. Le rôle de l’État, les monopoles privés, le protectionnisme, les nationalisations et les privatisations, les banques, le crédit, les investissements étrangers et bien d’autres devront être revisités selon le nouveau paradigme.

Notes
6.

. Kuhn (1983).

7.

. Pour Demange et Laroque (2001), les questions liées à l’incertitude « ont fait l’objet d’un très grand nombre de travaux, particulièrement dans les trente dernières années, tant en finance qu’en économie. La prise en compte de l’incertitude a été abordée de façon relativement autonome dans les deux disciplines » (p. 6).

8.

. Selon North (2005), « l’incertitude n’est pas une condition exceptionnelle : c’est la condition sous-jacente qui est responsable de l’évolution de la structure de l’organisation humaine tout au long de l’histoire et de la préhistoire » (p. 32).

9.

. La typologie économique distingue généralement entre pays développés, pays émergents, pays en développement et pays les moins avancés. Cependant les indicateurs basés sur le revenu ne reflètent pas toujours la réalité et entraînent parfois des disparités entre pays de lamême catégorie. Depuis les années 1990, de nouveaux indicateurs synthétiques, comme l’indicateur du développement humain (IDH) du PNUD, commencent à être diffuséset à servir de base aux comparaisons internationales. Une autre approche basée sur le niveau de risque paraîtrait séduisante pour notre thèse, mais serait certainement irréaliste compte tenu de la difficulté à comparer différents types de risque et différents environnements. Le choix que nous avons fait d’utiliser l’appellation quelque peu floue de pays en développement plutôt qu’une définition plus précise s’explique par notre conviction que nos observations et nos recommandations s’appliquent surtout à des pays en situation intermédiaire. À l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) il existe une autosélection des « pays en développement ». Ce sont les membres eux-mêmes qui annoncent la catégorie à laquelle ils appartiennent.

10.

. Sen (2000) fait le lien entre la liberté individuelle et le développement : la liberté facilite le développement économique et le développement réalise la liberté.