Quels effets les politiques économiques ont-elles sur les fonctions de risque agrégées et lesquelles choisir ?
Reprenons notre graphique risque-rendement et examinons les effets de chacune des politiques monétaires et budgétaires : avec une politique monétaire, en admettant que cette politique (expansionniste) abaisse le taux sans risque, le rendement net (après déduction du taux sans risque) d’un investissement augmente.
Les points A et B sont des taux sans risque. Lorsque la politique monétaire devient moins accommodante, le taux sans risque passe de A en B, et des investissements entre les deux courbes sont abandonnés.
Dans le cas d’une relance par politique budgétaire, c’est la perception du risque (voire le risque lui-même) qui est modifiée. La promesse de contrats publics, la réduction du chômage (ou sa meilleure indemnisation) et une réduction des impôts améliorent les anticipations des agents.
La pente de la courbe devient plus ou moins pentue, rendant des investissements moins ou plus intéressants. Ainsi, dans notre schéma, la courbe A représente une politique budgétaire moins expansionniste qu’en B.
Toutefois, le taux sans risque pour un agent d’un PED n’est pas le taux qui est payé sur sa monnaie nationale par l’État dont il est le citoyen. Le taux sans risque est le taux appliqué sur sa monnaie de référence par l’État qui a émis cette monnaie de référence. Ainsi, dans la plupart des pays du monde la monnaie de référence est le dollar. Le taux sans risque au Liban n’est pas le taux payé par le gouvernement libanais sur sa dette en livres libanaises, mais le taux payé par le gouvernement américain sur les bons du Trésor américain.
Toute action du gouvernement libanais modifiera les prévisions de risque des agents et non pas leur taux de référence.
Les PED ont donc intérêt à faire des politiques structurelles ou budgétaires, les politiques monétaires ayant peu d’effet.
À l’inverse, compte tenu des pentes différentes, les pays développés ont probablement plus intérêt à faire des politiques monétaires.
Le graphique ci-dessous illustrera ce point :
La politique budgétaire aplatit la courbe du risque, parce que les agents ont la certitude d’avoir certains marchés. De plus, lorsqu’un État cherche à améliorer le niveau de risque des agents, cela se fait d’ordinaire par le biais de la politique budgétaire.
La politique monétaire fait varier à la hausse ou à la baisse le taux sans risque et donc la courbe d’indifférence risque-rendement.
Compte tenu de la courbure des fonctions respectives, une politique budgétaire a, en temps normal, relativement plus d’efficacité dans un PED que dans un pays développé. Nous traiterons plus loin des politiques économiques les plus efficientes pour un PED.
Le protectionnisme est une politique qui est passée de mode. S’il continue à s’appliquer dans certains secteurs ou dans certains pays, c’est pour des raisons politiques ou à cause de retards dans l’application des réformes. L’aéronautique ou l’agriculture sont parmi ces secteurs où subsiste le protectionnisme pour des raisons d’indépendance nationale ou de politique interne.
Cela dit, la base théorique du protectionnisme a presque totalement disparu57. Dans toutes les réformes économiques mises en œuvre dans les pays du Sud, que ce soit avec le concours ou non de la Banque mondiale, l’élimination des barrières commerciales et l’entrée dans l’OMC sont une étape obligée.
Pourtant, le protectionnisme a fonctionné. Les pays d’Asie du Sud-Est, la Chine, le Japon il y a quelques décennies, ont utilisé le protectionnisme et s’en sont très bien accommodés. Comment expliquer ce décalage entre les résultats et les conclusions que l’on en tire ?
Nous pensons que la théorie du protectionnisme était faible, mais que le protectionnisme a certains mérites qui n’ont pas été cernés par la théorie.
List (1841), qui en fut le chantre, pensait qu’il devait avoir un rôle éducateur, qu’il devait s’appliquer durant une certaine phase du développement jusqu’à ce que l’industrie protégée devienne assez forte pour ne plus craindre la concurrence étrangère.
Cette argumentation a été critiquée notamment parce que les barrières appauvrissaient le plus grand nombre au bénéfice de quelques industriels et, sur le long terme, réduisaient les capacités compétitives de la nation. Elles donnaient lieu également à des mesures de rétorsion. Et enfin il n’y avait aucune garantie que l’État protectionniste sache quelle industrie protéger, jusqu’à quel point et pour combien de temps.
La cause serait mieux défendue en s’appuyant sur la réduction de risque : en protégeant une industrie, l’État fait plus qu’aligner sa rentabilité sur celles de ses concurrentes étrangères, il en réduit le risque.
Ainsi dans le graphique rendement-risque, un investissement dans ce secteur se déplace vers le Nord-Ouest et devient donc attractif pour les agents économiques :
De plus, une réduction de risque n’occasionne pas d’effets d’éviction ; bien au contraire, la réduction de risque produit des effets de contagion positive : les industries protégées réduisent le risque pour leurs fournisseurs, leurs clients, leurs employés, et encouragent d’autres entrepreneurs nationaux à se lancer dans cette activité, créant ainsi ce que Porter (1990) appelle un « cluster ».
Enfin, le protectionnisme peut être bénéfique également pour les pays qui sont la cible des mesures. Prenons deux pays : A et B, le premier a un risque plus faible que le second. Supposons que les investissements (différentes industries) ont un couple risque-rendement identique dans les deux pays, et que seule l’aversion au risque des agents des deux pays diffère.
Dessinons les fonctions de risque pour A et B :
Les industries se répartissent dans l’ensemble de l’espace, mais sont probablement regroupées autour des deux courbes.
Dans la zone située à la gauche de B, les agents de A et de B vont investir. À la droite de B et à la gauche de A, seules existeront des industries de A. Le protectionnisme de B permettra le développement d’industries dans B qui concurrenceront celles de A, au plus grand bénéfice des consommateurs.
Le protectionnisme, toutefois, ne crée, au mieux, qu’un optimum de second rang. Cela ne devrait être une solution que pour les États qui sont dans l’incapacité absolue d’améliorer la situation de risque de leurs agents. Mais nous verrons plus loin qu’il existe des moyens plus efficaces et moins ambigus pour réduire le risque.
. Lorsque le protectionnisme est encore défendu, c’est pour des industries oligopolistiques et dans un contexte stratégique. Voir par exemple Harris (1989).