La ruse des esprits animaux

Est-ce la fin de l’histoire ? Les pays à risque sont-ils condamnés à traîner éternellement leur misère ? Paradoxalement, l’existence du risque permet à ces nations, par une ruse de la nature, de maximiser leurs chances de rattraper, un jour, leur retard. Nous énumérerons ici quelques-unes de ces stratégies collectives.

  • Les PED ont des taux d’épargne supérieurs à ceux des pays développés. Ce résultat étonnant est obtenu par l’inégalité sociale et par la nécessité, du fait du risque (de l’inexistence aussi de filet social), pour chacun des agents, de conserver une réserve de sécurité61.
  • L’intensité capitalistique des entreprises des PED est relativement plus grande que celle des entreprises des pays développés62. Par conséquent, une modification des processus entraînerait automatiquement un net bond en avant, comme cela a été le cas dans le Japon de l’après-guerre. Le rôle des flux tendus, de la qualité totale, du « toyotisme » en général dans le succès industriel du Japon a été déterminant. Cette innovation organisationnelle a permis aux entreprises automobiles japonaises de dominer le marché mondial alors qu’elles étaient bien moins capitalisées, équipées et technologiquement avancées que leurs concurrentes américaines63. Il en serait de même si les entreprises des PED pouvaient améliorer leurs processus (internes et externes).
  • Les nationaux des PED disposent, comparativement à leur patrimoine, d’investissements plus importants dans les pays développés que les nationaux des pays développés dans les PED. Cela signifie que les nationaux des PED peuvent gagner dans la plupart des « coups » : si les pays développés ont une meilleure performance que les PED, ils ne sont pas si mal lotis ; en revanche, si leur pays fait mieux que les pays développés, ils ont un meilleur rendement que les nationaux des pays développés.
  • L’émigration dans les pays riches permet aux PED de maintenir un certain flux de revenu, donne l’envie d’imiter les pays riches et assure une formation technique supportée par ceux-ci.
  • En côtoyant quotidiennement le risque, les individus issus des pays pauvres ont une grande aptitude à entreprendre – pourvu que les circonstances le permettent.

Pour résumer par un paradoxe et contrairement à ce qu’affirme Ragnar Nurske, les pays pauvres le sont parce qu’ils ignorent qu’ils sont riches64. Le retard de développement et les crises des PED ne sont peut-être pas dus à une pénurie de capitaux, mais à une mauvaise organisation juridique et administrative et à un environnement incertain. C’est ce cadre qu’il s’agit de modifier pour que les PED, non seulement accumulent de la richesse pour être un jour à niveau, mais, ici et maintenant, en profitent sans s’appauvrir, et s’insèrent dans le groupe des pays prospères.

Notes
61.

. Une part substantielle de cette réserve est constituée par des actifs immobiliers.

62.

. Pour la plupart des entreprises, à chiffre d’affaires identique un capital (propre et emprunté) beaucoup plus important doit être mobilisé dans un pays émergent. Pour prendre l’exemple d’un supermarché, en France le stock moyen y est de quatre jours, au Liban il est de vingt-cinq jours. Dans un autre contexte, les formalités douanières sont de plus d’une semaine dans la plupart des PED, alors qu’elles sont faites à Singapour avant même l’arrivée des marchandises, ce qui signifie qu’un capital équivalent à une semaine d’importation est immobilisé dans les PED du fait de l’inefficacité des administrations douanières. En revanche, du fait de la faible concurrence, le rendement des capitaux y est plus élevé.

63.

. Pour une explication simple du toyotisme voir Womack (1991).

64.

. Assidon (2002), citant Nurske : « Un pays est pauvre parce qu’il est pauvre » (p. 11).