1. L’État et le risque

Notre but dans cette sous-section est d’explorer la relation très étroite qui unit l’État et le risque. Nous nous efforcerons, après le survol de quelques-unes des théories de l’État, de proposer une explication de l’État prenant en compte le risque. Cette explication nous permettra de cerner la mission essentielle de l’État et les limites à son action, sa place centrale et son caractère exemplaire. Nous montrerons ainsi comment le risque est proprement structurant – perspective qui permet de réconcilier les approches libérales et dirigistes. Notre programme pour cette section est très ambitieux mais, si l’on pense que le risque est structurant et fondateur, il est nécessaire d’aborder l’histoire et le fonctionnement de l’une des principales institutions humaines.

L’État est le sujet par excellence de la philosophie politique. Ce n’est pas le lieu d’effectuer une revue de cette littérature qui serait de toute façon incomplète et très partiellement reliée à notre thèse. Cependant, une brève rétrospective sera utile à notre développement.

L’État, tel que nous le connaissons, est une invention relativement récente71 mais qui fait corps avec l’histoire de l’humanité. Selon Clastres (1974), certaines sociétés primitives ont pu faire l’économie d’un État ou d’un chef autoritaire – des sociétés sans État – en refusant à leurs chefs l’autorité nécessaire, les projets de conquête et en s’interdisant une croissance démographique. Selon Hegel « … les peuples ont pu vivre longtemps sans organisation étatique, tout en réalisant un important développement dans d’autres domaines. […] Encore à l’heure actuelle nous connaissons des peuplades qui forment à peine une société, encore moins un État72… ». Toutefois, pour cet auteur, « l’État est consubstantiel à l’individu et à l’Histoire, c’est dans l’État que s’unissent la volonté subjective et l’Universel, c’est l’État qui est la réalité où l’individu trouve sa liberté et la jouissance de celle-ci73,74 ».

Ainsi, pour Clastres, pour Hegel comme pour la majorité des historiens, l’Histoire commence avec la création des États. Dans les débuts, on trouve généralement un chef qui tient lieu d’État : il dirige les armées, administre la justice et commande parfois aux pluies. Ce n’est qu’avec les premiers empires ou les premières républiques que naissent les États modernes.

Le mot « État » est relativement récent ; les Grecs utilisaient plus volontiers les termes de « Cité » ou de « République », signe d’une organisation et d’une autonomisation encore incomplètes de l’État – la misthophorie introduite par Périclès ayant peut-être été le facteur séparant les notions de Cité et d’État75. Le terme se répand à partir du xv e siècle avec les premiers théoriciens de l’État tels Bodin, Machiavel ou More.

Mais, quelle que soit sa forme et quel que soit le philosophe, l’État est assimilé au pouvoir. J’ajouterai que l’autorité est son principe directeur. Un État n’existe que si son pouvoir est admis comme allant de soi, et s’exerce sans effort. Comment autrement expliquer la sujétion du grand nombre à un seul. C’était déjà l’interrogation de La Boétie (1548) dans son Discours sur la servitude volontaire. Et sa réponse était : « La première raison de la servitude volontaire est la coutume76. » L’explication semble insuffisante car elle justifie le maintien du pouvoir et non son émergence. Nous devons donc revenir à la genèse de l’autorité, elle-même source du pouvoir.

Si l’on reprend la classification de Kojève (2004) sur les types d’autorité, celle dont dépend l’État est principalement celle du Maître : une autorité fondée dans le présent. Il est d’ailleurs significatif que le mot « état » signifie aussi la situation présente77 , 78. Or, que dit Kojève sur l’autorité du Maître ? Dans son ouvrage La Notion de l’autorité, il reprend la fameuse dialectique du Maître et de l’Esclave de Hegel : l’autorité du Maître sur l’Esclave procède du risque de mort que le premier est disposé à assumer, contrairement au second.

Peut-on en déduire que l’autorité des États proviendrait de la maîtrise du risque suprême ? Cela était incontestablement le cas lorsque l’État s’identifiait à une personne : le Prince était prêt à risquer sa vie, et le sujet à accepter une perte de liberté en échange d’une prise en charge de son risque. C’était même là le contrat féodal : le seigneur s’engageait à protéger le paysan contre un danger extérieur en échange de sa liberté.

L’anonymisation du pouvoir n’a certainement pas affaibli cette composante. Il est même vraisemblable que le rôle s’en est trouvé élargi : l’État reçoit une sorte de mandat pour gérer le risque du groupe.

Si nous acceptons cette conjecture, nous avons donc cette clause supplémentaire (peut-être en petits caractères) dans le Contrat social : l’État s’engage à gérer le risque des citoyens en échange du pouvoir qu’il exerce sur eux79.

Cela n’est, d’ailleurs, pas incompatible avec la thèse de Hobbes (1651) dans le Léviathan : « On dit qu’un État est institué […] dans le but [pour le citoyen] de vivre en paix et d’être protégé contre les autres80 » ; ni avec celle de Locke : l’État doit protéger la propriété privée ; plus conforme aussi à l’esprit de l’État libéral : un État minimal chargé d’assurer la sécurité des citoyens. Cela s’accorderait également avec le concept de Rawls du « voile d’ignorance ». En effet, autant il est difficile d’utiliser le voile d’ignorance pour des actions de discrimination positive (il n’est guère aisé de convaincre un individu fortuné qu’il aurait pu être pauvre et malade, et que par conséquent il devrait accepter, pour des motifs rationnels, que l’on aide les personnes pauvres et malades), autant il est facile de le faire pour la mutualisation, la redistribution ou l’amoindrissement du risque81.

Cette compatibilité ne doit pas masquer les différences d’approche :

  • dans le Contrat social de Rousseau, le citoyen renonce à la liberté individuelle contre une liberté collective. Le risque que veut éviter le citoyen est un risque de despotisme. C’est celui-ci dont il se protège par le Contrat social ;
  • chez Hobbes, l’État monopolise la violence et protège les citoyens contre les violences qu’ils s’infligeraient ;
  • pour Locke, l’État doit protéger la propriété privée, extension de la liberté individuelle ;
  • l’État providence doit amoindrir les conflits sociaux par la solidarité qu’il organise. L’objectif premier serait donc la cohésion sociale et non pas un contrat individuel : risque contre liberté.

Notre proposition (l’État a pour rôle principal d’aider les citoyens à gérer leur risque et parfois à l’assumer pour eux) est donc compatible avec les approches classiques, sans pour autant qu’elles se recouvrent intégralement82.

Cette brève introduction étant faite, nous allons maintenant examiner comment s’exerce ce mandat, sachant que nous négligerons des aspects liés au mode de fonctionnement de l’État. Par suite, nous ne distinguerons pas entre État démocratique ou non ni entre les différents pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). L’État sera un, quelle que soit sa forme, l’organe intervenant ou son organisation, et ce malgré les implications économiques – et surtout en regard du risque – liées à ces paramètres83.

Tout d’abord, définissons la mission de l’État en matière de risque.

1. L’État doit évidemment réduire le risque collectif : cela peut se faire par un arbitrage entre le risque actuel et le risque futur, par une répartition du risque entre les citoyens, par une mutualisation ou par des systèmes permettant aux agents de mieux gérer les risques.

2. L’État doit aussi diminuer un certain type d’aversion au risque des citoyens : cela peut se réaliser entre autres par l’éducation, l’exemple, une structure juridique ou un mécanisme de subvention.

Va-t-il de soi que l’État doive réduire l’aversion au risque ?

Notre période a une certaine méfiance envers l’État, la modernité et le changement en général ; elle oublie que la première obligation des chefs est d’insuffler le courage et, par leur mépris du danger, de donner l’exemple ; en d’autres termes de réduire l’aversion au risque. Elle néglige le fait que c’est à la prise de risque que l’humanité doit ses plus grandes réalisations et quotidiennement la plus grande partie de ses entreprises. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, pour assurer la prospérité de la Nation l’État doit réduire le risque objectif mais aussi le risque perçu, et parfois les deux84.

Sans plus ample démonstration, nous tiendrons pour acquis que l’État doit réduire le risque et instiller le courage lorsque cela est nécessaire.

Pour cerner cette double mission, reprenons la typologie dégagée dans la première section de ce chapitre : le risque se conjugue en probabilité objective, probabilité subjective, conséquence objective et conséquence subjective.

Lorsque l’État réduit la probabilité objective ou la conséquence objective, il réduit le risque ; lorsqu’il réduit la probabilité subjective ou la conséquence subjective, il augmente le courage. Supposons que l’on puisse additionner probabilités et conséquences et qu’il existe (à l’instar de l’utilité) des probabilités et des conséquences collectives. Supposons aussi que l’État maintienne une sorte d’optimum de Pareto en matière de risque, autrement dit qu’il réduise le risque d’un individu uniquement s’il n’y a pas d’augmentation de risque pour un autre individu. Analysons quelques-unes des actions de l’État à l’aune du risque à partir de ces éléments.

Prenons d’abord pour exemple l’instauration de lois et de tribunaux. Comparons un état de nature où les individus chassent et peuvent être délestés de leur gibier si, revenant de la chasse, ils rencontrent un individu plus fort qu’eux, et la situation après création de lois et établissement de tribunaux. Les probabilités et les conséquences objectives agrégées ne varient pas. En effet, sans modification des comportements, les résultats collectifs seront les mêmes : le gibier n’aura pas changé, simplement le titulaire final sera peut-être différent. À l’inverse, les probabilités subjectives et les conséquences subjectives seront autres : avant changement, le chasseur faible aura tendance à majorer sa probabilité de perdre son butin, le « voyou » fort ne surestimera pas suffisamment sa probabilité de trouver un chasseur faible revenant de la chasse (pour compenser la « crainte » du chasseur faible) ; de même, les conséquences subjectives négatives seront certainement plus graves pour le chasseur faible que les conséquences ne seront positives pour le « voyou » fort.

Remarquons que le raisonnement est encore plus vrai lorsqu’il y a absence de « voyous ». Soit le cas de fruits poussant sur des arbres dans un champ et tombant dans le champ voisin. Ces fruits appartiennent-ils au propriétaire du premier champ ou à celui du second ? La présence d’une loi déterminant la propriété de ces fruits ne modifie en rien les probabilités et les conséquences objectives, mais altère profondément les probabilités subjectives agrégées85.

Avant de dépeindre l’intervention de l’État, nous allons diviser les risques en anonymes et personnalisables. Le risque de tomber malade est un risque anonyme : nous ne pouvons pas (généralement) en attribuer la responsabilité à quelqu’un ; le risque d’être renversé par une voiture peut être conféré à une personne.

Le rôle traditionnel des États était de minimiser le second type de risque. La plus grande part du Droit est issue de cette préoccupation, les tribunaux et la police existent principalement pour cette catégorie de risque. Certains tenants du libéralisme souhaitent cantonner l’État exclusivement à cette fonction. Salin va par exemple plus loin et termine son ouvrage Libéralisme (2000) par le brûlot suivant : « C’est pourquoi nous devons, sans aucune réticence, manifester notre opposition aux monopoles publics, nous devons savoir et proclamer que l’État est notre ennemi et nous ne devons pas hésiter à répéter sans relâche que l’État n’est pas un bon producteur de règles86. »

Les libéraux négligent l’importance primordiale du risque ou supposent qu’il est toujours assurable.

Une nouvelle fois nous allons faire appel à une perspective historique. Les États sont bien plus anciens que les entreprises. Alors que les premiers remontent aux temps immémoriaux, les secondes ont attendu un cadre légal, une protection juridique, avant de voir le jour. De plus, les États ont eu dans l’éclosion des entreprises une triple intervention : ils étaient « institution » et donc agent à part entière dans la vie sociale, ils étaient modèles pour les institutions privées – c’est à l’image des petits États que les entreprises privées se sont façonnées –, et ils étaient l’ordre qui permettait aux autres institutions d’opérer.

Dans un environnement où la seule institution est encore l’État, il est inconcevable que les individus puissent s’assurer (pour des risques conséquents) ailleurs qu’auprès de lui. Même dans nos sociétés plus évoluées, les États sont toujours les principales institutions. Si donc les institutions ont un rôle essentiel pour garantir le risque, les États ont la part du lion dans l’activité de garantie.

En outre, les règles qui gouvernent les institutions, par exemple le droit des sociétés, ne sont pas exclusivement du droit naturel ; c’est un droit positif, qui à l’intérieur des normes d’équité recherche un but social donné. On ne peut guère imaginer que cela puisse être réalisé et maintenu spontanément sans la volonté étatique.

Enfin, le risque que nous avons qualifié d’anonyme ne peut être assuré par le secteur privé parce qu’il n’est pas délimité et que son amplitude n’est pas à la mesure des moyens du secteur privé. Si un individu allait auprès d’une compagnie d’assurance et lui demandait d’être assuré contre tout ce qui peut lui arriver de préjudiciable, on le prendrait pour un fou. Pourtant, lorsqu’il arrive quelque chose d’inattendu – vague de froid, tsunami, marée noire… personne n’est choqué par les demandes d’indemnisation. Cela prouve bien que le « Contrat social » inclut l’indemnisation des conséquences des événements imprévus. Cela montre aussi la nécessité pour l’État de baliser les risques, de les rendre moins inconnus, pour permettre au secteur privé de les assurer.

Ainsi, l’origine de l’État est le risque, son but est la réduction du risque objectif et de l’aversion au risque, ses moyens sont la création d’institutions87 par lesquelles il fournit à la fois des règles, des biens et des services.

Essayons maintenant de cerner les contours de l’action de l’État en matière de risque.

Si nous schématisions les risques en portant en ordonnées l’impact des risques (événements) et en abscisses leur fréquence, nous aurions une courbe décroissante (C) qui ressemblerait à ceci :

Graphique 23 : Domaine d’élection de l’État
Graphique 23 : Domaine d’élection de l’État

Les risques ayant l’impact le plus élevé ont généralement la fréquence la plus faible. Le domaine d’élection de l’État est la partie la plus à gauche du graphique, celle où les risques sont peu fréquents, mais dont l’impact est très grand et qui ne peuvent pas être assurés avec la structure privée existante88. Est-ce à dire que l’État est systématiquement plus efficace que le secteur privé, que de bonnes nationalisations relanceront les économies ?

L’expérience montre que les États sont, en général, de piètres gestionnaires et que lorsque des sujets privés ont opéré des activités publiques, ils ont été meilleurs. C’est que les États peuvent supporter des conséquences économiques plus importantes que les individus, mais que les fonctionnaires ont bien plus d’aversion au risque administratif que les employés du privé et qu’en sus les politiciens ne sont sensibles qu’aux risques politiques. A-t-on jamais vu un fonctionnaire démis parce que son département a stagné, a-t-on déjà octroyé un bonus aux fonctionnaires qui avaient développé l’activité dont ils avaient la charge.

Il n’y a guère d’indicateur économique à l’action d’un État. Lorsqu’une entreprise commandite à une société de conseil un nouvel organigramme, elle mesure le rendement additionnel qu’il lui procure ; en revanche, il n’existe pas de repère d’efficacité pour une nouvelle législation. De même, une entreprise peut connaître l’enrichissement qu’une activité lui génère ; un État est dans l’ignorance des effets de son action sur la collectivité89. Un État est efficace pour gérer les grands risques parce que son « capital » est très important, mais son organisation le rend inapte à gérer les petits risques. Par nature, les employés du secteur public n’aiment pas prendre des risques.

Délimiter le champ de l’État n’est pas dans le cadre de notre étude, c’est pourquoi nous allons simplement brosser une esquisse de ce qu’il devrait être en fonction des risques collectifs.

Les activités, les biens et les services seraient classés en fonction du risque de celui qui les assumerait, et de leurs nécessités collectives. L’État interviendrait dans ceux qui sont à la fois très nécessaires et très risqués. À l’intérieur de chaque activité publique, il essaierait de créer une zone à faible risque qui serait laissée au secteur privé et à la concurrence. À l'intérieur des activités privées, il tenterait de susciter ou de générer de nouveaux modes d’organisation permettant une réduction du risque objectif ou davantage de courage face au risque.

Le tableau des activités se présenterait ainsi :

Tableau 14 : Tableau des activités
  Risque élevé Risque faible
Nécessité élevée Secteur public Secteur privé
Nécessité faible Secteur privé Secteur privé

Un pays comme le Liban pourrait déduire de cette grille d’analyse que « Électricité du Liban » devrait être privatisée car les « Utilities » sont à risque faible mais que la compagnie de transport aérien représente un dilemme : la nécessité est élevée, le risque objectif est élevé, mais si la situation politique est acceptable, l’offre internationale rend la nécessité plus faible.

Cette grille permet également, au sein du secteur public, d’externaliser certaines tâches. Rien n’interdit par exemple de nourrir une armée nationale par des sociétés de restauration (« Catering »).

Pour conclure, on ne peut à partir de certains cas de mauvaise gestion par les États prononcer leur arrêt de mort. Suivant la formule consacrée, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Les États sont indispensables, mais à des degrés différents suivant le stade du développement de la société. Dans certains cas, ils seront presque exclusivement producteurs de règles, dans d’autres ils offriront aussi des biens et des services. C’est le pragmatisme qui doit gouverner la délimitation du secteur public. Ce sont les principes qui doivent dicter les normes de conduite de l’État.

Il ne doit pas y avoir quelque chose qui s’appelle le domaine réservé de l’État ou les fonctions régaliennes. L’État est au service de la communauté, pour réduire le risque des individus qui la forment, il n’est pas cause à lui-même, et il est l’institution créée par la société pour générer toutes les autres.

L’État qui augmente les risques perçus devient illégitime. Il abuse de son mandat pour donner le contraire de ce pour quoi il existe. Ainsi, un État arbitraire serait contraire à son principe même et un État de droit conforme à ce même principe.

De même, un État qui se désintéresserait des citoyens accablés par l’infortune ne remplirait pas correctement sa fonction.

Enfin, l’État qui essaierait de perpétuer son « offre » en ne permettant pas aux citoyens de mitiger eux-mêmes leurs risques pervertirait son rôle en réduisant son propre risque aux dépens des citoyens.

On voit donc que le facteur risque permet de repenser la genèse de l’État, son principe et sa fonction. Il aide aussi à comprendre la direction que doit prendre le développement de l’État et les limites à son action90.

Notes
71.

. Selon Prélot et Lescuyer (1980), Machiavel serait le créateur du terme. Ce serait lui qui, dans les premières lignes du Prince aurait employé le mot « État » dans son sens moderne (p. 208).Voir aussi Arendt (1972) : « … pour lequel il employa donc le terme jusque-là inconnu lo stato, l’a fait reconnaître […] comme le père de l’État-nation moderne… (p. 181).

72.

. Hegel (1965), p. 192.

73.

. Ibid., p. 134 sq.

74.

. Conception qui est proche de ce que Benjamin Constant qualifiait de liberté chez les Anciens.

75.

. La rémunération des magistrats permet l’autonomisation de l’État car cela engendre un corps de fonctionnaires permanents doté d’intérêts communs et attaché à la survie de cet État. Il faut peut-être y trouver aussi l’origine de la liberté chez les modernes : tant que les fonctionnaires n’étaient pas rémunérés, les citoyens participaient tous au fonctionnement de la Cité ; à partir du moment où une rémunération était offerte, seule une minorité le faisait, les autres recherchant dès lors la protection de leur liberté.

76.

. La Boétie (1548), p. 150.

77.

. On peut certes retrouver des éléments des autres formes d’autorité dans celle manifestée par l’État : l’autorité du Père lorsque l’origine de l’État ou de son détenteur se perd dans la nuit des temps, celle du Chef pour les projets qui mobilisent totalement la Nation ou celle du Juge quand les titulaires des fonctions publiques ont un prestige et une tenue morale supérieure.

78.

. A contrario, on peut trouver des penseurs qui estiment que le pouvoir de l’État repose sur d’autres fondements. Ainsi Weber considère que la « domination » est charismatique et légale, donc issue de l’« autorité du passé » et de celle de « l’intemporel ».

79.

. Rappelons que le Contrat social pour Rousseau est un contrat fictif que chaque citoyen aurait conclu avec la société par lequel il renonce à sa liberté et en contrepartie participe au pouvoir.

80.

. Voir Simonnot (2003), p. 51.

81.

. Pour Ricœur (1995), à l’inverse, les États se seraient institués en infligeant la violence et non en protégeant du risque. « … car, au fond, il n’existe probablement pas d’État qui ne soit né d’une violence… », p. 151.

82.

. L’approche fonctionnaliste, à notre sens, ne saisit pas l’essence de l’État. Par exemple, voir Touraine (2005) : « L’État national a eu trois fonctions principales : créer une bureaucratie d’État capable d’intervenir dans le développement économique ; exercer un contrôle sur les mœurs et les sentiments […] ; faire la guerre pour constituer un territoire national… » (p. 66).

83.

. Un nouveau courant économique établit un lien empirique entre la qualité des institutions politiques et la croissance économique. La cause de ce lien pourrait être le comportement des agents face au risque politique (Persson et Tabellini [1992] cité in Helpman [2004], p. 208).

84.

. Nous avons, dans notre thèse, confondu parfois le risque objectif et le manque de « courage », les qualifiant tous deux de risque.

85.

. Pour s’en convaincre, il suffit de se mettre alternativement dans chacune des deux positions, de supposer qu’il n’y a pas de loi et de se demander quel pourcentage de fruits on accepterait de prendre pour éviter un conflit. Comme, en l’absence d’une loi, on ne peut être absolument sûr de son droit, tout individu sensé ne réclamera jamais plus de la moitié des fruits mais légèrement moins. La somme des pourcentages sera donc inférieure à un, et par conséquent la somme des probabilités subjectives est inférieure à celle des probabilités objectives qui ne peut être que de un. Une autre façon de s’en convaincre est d’imaginer l’effort qui sera fait par le propriétaire des arbres pour éviter que les fruits ne tombent chez le voisin. Ces efforts représentent le coût transactionnel associé à l’incertitude due au manque de loi. Une autre approche de la question, par les coûts de transaction, a été faite par Coase avec sa fameuse fable de la caverne.

86.

. Salin (2000), p. 498.

87.

. Nous prenons ici le terme institutions dans un sens large incluant à la fois les organisations et les règles.

88.

. Michel-Kerjan (2007) relève que « … certaines régions des États-Unis sont en train de tendre vers une intervention gouvernementale massive [pour les risques extrêmes]… » mais constate aussi que des capacités nouvelles de marché se mettent en place.

89.

. Cela explique l’efficacité des lobbys dans la vie démocratique : un petit groupe connaît quelles conséquences une action gouvernementale peut avoir sur lui, alors qu’il est difficile d’en mesurer les effets sur la collectivité.

90.

. L’ouvrage pourtant bien inspiré de Bienaymé (2006) ne met pas en valeur le rôle essentiel de l’État : « … si dans un premier temps, il était sollicité de remédier aux imperfections des marchés, il n’échappe pas au sort commun à toute entreprise humaine. Bien des illusions se dissipent » (p. 230). Assureur en dernier ressort, l’État ne compense pas les imperfections du marché (ou plutôt de la société), c’est lui qui lui donne son équilibre.