Frank Knight et l’entreprise

Le point de départ de Knight était de justifier le profit. Comme nous l’avons mentionné plus haut, il le fait en mettant en avant la prise de risque. Signalons que Knight, comme beaucoup d’économistes de son époque, conclut à la disparition à long terme du profit. En effet, celui qui résulte du risque probabilisable devrait se résorber92, et celui généré par l’incertitude non probabilisable devrait s’annuler entre les différents intervenants et dans le temps, comme profits et pertes finissent par s’égaliser pour les joueurs de casino (déduction faite de la marge du casino).

Mais pour notre thèse, plus important que la justification du profit, l’essentiel est dans la mise en évidence du rôle de l’entreprise. Les économistes d’alors cherchaient à expliquer les raisons de l’existence des entreprises et de leur croissance. Pour Coase, c’était la réduction des coûts de transaction ; pour Knight, c’est la diminution du risque pour les différents intervenants. Ce serait le risque qui donnerait lieu à une spécialisation entre managers (capables de jugement), employés (ayant besoin de revenus fixes) et actionnaires (garantissant la réalisation de certains contrats)93. Demsetz94 affirme à tort que l’approche de Knight ne rend pas compte de la croissance des entreprises parce que la différence dans la capacité de prendre des risques ne joue que dans la relation employés-entrepreneurs et ne peut donc expliquer une fusion entre deux entreprises ; de plus, le système des prix, sans l’aide des entreprises, serait capable de résoudre le problème de la distribution de risque. L’erreur de Demsetz est de croire que le marché – sauf apparemment en ce qui concerne les coûts de transaction – est capable par le système de prix de trouver le bon équilibre quelle que soit la structure – par là Demsetz assigne à la « main invisible » un rôle à la fois trop modeste et trop ambitieux : il écarte la possibilité que les structures puissent changer tout en estimant que le résultat final sera le meilleur. Nous pensons au contraire que le marché induit des changements de structure, mais que ces changements ne se produisent spontanément qu’avec beaucoup de lenteur. Nous montrerons que le risque est un facteur explicatif de certains échanges, qu’il explique – bien mieux que le coût des transactions – l’existence des entreprises et leur croissance et enfin qu’il détermine une configuration spécifique de l’économie.

Notes
92.

. Knight (1921) : « … en l’absence d’incertitude, les coûts et les valeurs devraient être égaux dans le système, c'est-à-dire qu’il y aurait une parfaite (sic) et sans profits organisation de la production et des échanges », p. 159.

93.

. Knight, p. 275-280

94.

. Demsetz H. (1997), p. 2-6.