Le canal du crédit, analysé dans des pays développés, fonctionne également dans les PED. Cependant les particularismes de ces pays ont des répercussions sur son fonctionnement. Ce ne sont cependant pas les faillites de banques qui nous intéresseront (le canal en cas de crise), mais plutôt le comportement normal des banques dans les PED. Notre objectif est, en effet, de comprendre ce qui conduit à des taux de croissance anémiques malgré des niveaux d’épargne élevés (les niveaux d’épargne accumulée sont encore plus impressionnants) et un retard en développement qui devrait garantir une croissance élevée par l’effet de rattrapage.
Bien évidemment, nous n’ignorons pas à quel point les situations des PED peuvent être disparates et notre exposé pourra paraître parfois inadapté, voire caricatural. Mais c’est le prix à payer pour obtenir une synthèse.
Lorsque l’on examine les structures de ces pays, qu’on les compare à des pays plus développés, en gardant à l’esprit les conditions implicites des modèles économiques, on peut constater un certain nombre de différences :
Les phénomènes observés sont directement le résultat de ces particularismes.
La surréaction. Une très forte dépendance sur le capital couplée à un risque très élevé explique les contractions brutales d’activité lorsqu’un choc exogène se produit ou lorsque la perception du risque augmente. En quelque sorte, les pays émergents seraient dans la situation décrite par Keynes dans les derniers stades d’un boom113 : « … les prévisions relatives au rendement futur des biens capitaux sont assez optimistes pour compenser l’abondance croissante de ces biens, […] il est conforme à leur nature que les cours baissent d’un mouvement soudain et même catastrophique quand la désillusion s’abat sur un marché surévalué et trop optimiste. » En matière de crédit, le secteur tend à exagérer les mauvaises nouvelles et à atténuer les bonnes. C’est que les banques sont bien plus accoutumées aux mauvaises nouvelles qu’aux bonnes, et sont mieux rodées à réagir aux premières qu’aux secondes. Si l’on reprend le graphique 24, on est dans le cas Y pour les mauvaises nouvelles et dans le cas X pour les bonnes.
Les dépôts bancaires rapportés à la production nationale sont en deçà de la norme internationale et ce alors que ces économies sont des économies d’endettement et non des économies de marché. Cela s’explique par le risque perçu par les déposants nationaux. Ce n’est un secret pour personne que les banques occidentales regorgent de dépôts issus des PED. Les épargnants de ces pays semblent réserver aux banques locales l’épargne transactionnelle et conserver auprès des banques occidentales l’épargne stratégique114.
Les banques sont elles-mêmes trop engagées avec leurs gouvernements nationaux et ne jouent pas leur rôle naturel. Elles se contentent pour une large part de faire office de collecteur de dépôts pour l’État. Une trop grande part de leurs emplois est en prêts au gouvernement.
De plus, les banques gardent une proportion élevée en liquidité. Ce faisant, le multiplicateur ne peut pas donner son potentiel.
Avant d’aborder les mécanismes qui transmettent les fluctuations du crédit bancaire dans l’économie réelle, nous allons examiner ceux qui existent au sein du secteur. Pour plus de clarté, nous commencerons cependant par un bref rappel des risques d’actif et de passif rencontrés par les banques. Il va sans dire que nous n’avons pas la prétention de l’exhaustivité mais, par cette énonciation partielle, nous pensons donner la mesure du problème.
. Le triangle d’incompatibilité de Mundell postule qu’un pays ne peut simultanément disposer d’une politique monétaire autonome, avoir une parité fixe pour sa monnaie et avoir une liberté des capitaux. Il ne peut choisir que deux objectifs sur trois. Nous examinerons dans la deuxième partie s’il existe une alternative à ce dilemme.
. Keynes (1936), p. 313-314.
. A contrario, certains pays comme le Liban, traditionnellement refuge de capitaux, ont un ratio dépôts bancaires/PIB très élevé.